Revue de la B.P.C.                               THÈMES                                                I/2011

 

Bibliothèque de philosophie comparée

http://www.philosophiedudroit.org

 

mise en ligne le 7 mai 2011

______________________________________________________________________

 

 

Le problème de la prise de conscience

dans la philosophie SâmKhya (*)

 

par Raymond Gélibert ()

 

 

 

       Le sâmKhya n’a pas bonne presse. Il semble que les interprétations modernes se satisfont, sans plus, de dénoncer l’inconsistance de son dualisme. N’y a-t-il pas une contradiction interne immédiate à poser la dualité absolue de deux principes et à affirmer l’accord (samyoga), de leur développement ? Si l’esprit est l’esprit et la nature la nature, et s’il n’y a rien en dehors d’eux, ou s’ils s’ignorent ils coexistent, ou s’ils se connaissent ils se contrarient. « Pour l’intellection de la Nature, aussi bien que pour l’isolement de l’Esprit (s’opère) une union des deux (précédentes réalités), analogue à celle d’un boiteux et d’une aveugle. La ‘création’ est agencée en vue de cette fin » 1 : voilà ce qui serait impossible. Le raisonnement n’abdique-t-il d’ailleurs pas devant une image, et cela non pas à l’occasion d’un commentaire plus ou moins cursif, mais dans la texture même de l’exposé fondamental ? Faiblesse à laquelle s’ajoute, évidemment, celle de l’image elle-même, la parfaite inadéquation du drstânta invoqué : un boiteux et un aveugle qui s’associent ne ressortissent pas à deux ordres distincts de la réalité, ils poursuivent un but commun dans la communication et l’identification de leur vouloir, ils sont co-participants dans une même opération. Il n’y a rien ici qui puisse traduire l’union, le développement conjugué d’un principe purement lumineux et immobile avec un principe de pure inconscience et de pur mouvement.

       On pourrait dire, il est vrai, que c’est là l’inévitable contradiction de tout dualisme, et comme l’ « irrationnel » que toute doctrine s’édifiant selon son inspiration doit nécessairement assumer. Il y aurait ainsi quelque mauvaise grâce à le reprocher spécialement au sâmKhya. Peut-être est-ce en raison de la particulière netteté de sa terminologie que la critique achoppe d’emblée à la difficulté majeure du point de vue, et dans cette hypothèse, il faudrait au contraire lui reconnaître le mérite d’une exacte conscience de ses présupposés. Pour nous en tenir à un exemple, Descartes ne parle-t-il pas également de l’union d’un principe spirituel purement pensant avec un principe matériel relevant de la seule extension géométrique et du mouvement mécanique ?

       Cela est exact. Mais ce que Descartes n’énonce pas, c’est que l’union de l’âme et du corps s’opère afin que l’âme apprenne à se distinguer du corps par prise de conscience de l’incompatibilité de leurs carences respectives. Il n’énonce pas que l’intervention du principe corporel est nécessaire pour que le principe spirituel se connaisse, et connaisse le corps comme distinct de lui. On sait que ceci représenterait au contraire l’absolue négation des thèses cartésiennes. L’insupportable contradiction - véritablement ex terminis – du dualisme sâmKhya n’est donc pas d’opposer un principe intellectuel à un principe matériel, mais de prétendre en même temps exposer la genèse du premier à partir du second, alors même qu’il en maintient la rigoureuse indépendance. Ce n’est pas la thèse qui pèche, en soi, mais sa démonstration. Tout se passe comme si notre doctrine ne parvenait pas à la maintenir jusqu’au bout, ou, pire, comme si tout en pensant la défendre, tout en croyant établir que l’esprit est distinct de la nature, il décrivait en même temps quelque chose comme une histoire naturelle de l’esprit qui en constitue l’exacte contradiction.

       L’exemple de Descartes nous montre que c’est le contraire qui de toute évidence est le vrai, que pour fonder la dualité de l’esprit et de la nature, de l’âme et du corps, ce n’est pas une histoire naturelle de l’esprit, mais quelque chose comme une histoire spirituelle de la nature qu’il faut écrire. Si l’âme est distincte du corps, et pure chose pensante, c’est que d’abord elle se connaît elle-même, indépendamment du corps ; c’est que, dans la sensation, c’est la pure détermination intellectuelle qu’elle vise, non la qualité évanescente, et cela par « inspection de l’esprit », indépendamment donc des sens, etc. Bref, tout ce que l’on pourrait penser en termes de devenir naturel, Descartes apprend à le résoudre en termes d’intellection et de présence spirituelles. Il y a ici deux langages entre lesquels Descartes nous demande de choisir, étant bien entendu qu’il n’y en a qu’un qui établisse la thèse qu’il veut démontrer. On ne peut pas parler le langage des sens et de l’imagination et prétendre établir la distinction même qu’il a pour essence d’abolir. Ou pire encore, dans le comble de la « précipitation », brouiller inconsciemment les deux langages et les étayer réciproquement, parler d’un seul tenant celui de la « distinction » lorsque l’ « ordre des raisons » presse de l’adopter, et celui de l’ « union » lorsque l’ « expérience de la vie » commande aussi inéluctablement l’optique contraire.

       On sait en effet que Descartes recommande  explicitement de distinguer ces deux perspectives, « ne me semblant pas, concède-t-il, que l’esprit humain soit capable de concevoir bien distinctement et en même temps, la distinction entre l’âme et le corps, et leur union ; à cause qu’il faut, pour cela, les concevoir comme une seule chose, et ensemble les concevoir comme deux, ce qui se contrarie » 2. Mais où réside, en définitive, selon Descartes, la difficulté ?

       C’est que, pour concevoir l’union d’un principe spirituel et d’un principe matériel, après avoir pénétré par ailleurs toutes les raisons qui commandent leur distinction, nous ne pouvons faire à moins que d’intervertir leurs attributions, prêtant ainsi à l’âme, pour pouvoir « imaginer » son action sur les corps dans la volonté et l’action du corps sur elle dans la passion, les caractéristiques de l’étendue et du mouvement matériel 3. C’est ce que nous ressentons comme contradictoire, après tout ce que nous avons appris sur elle. Bref, nous nous verrions contraints de nier toute notre philosophie, et de l’âme (seule), et du corps (seul) pour pouvoir nous représenter en fin de compte la philosophie totale du « composé humain ». En fait, il n’en est rien. Il suffit de renoncer à l’ « imagination des choses matérielles » dans un domaine qui n’est que le sien, et qui contredit évidemment les certitudes obtenues dans le domaine de l’entendement. Il y a un troisième domaine, une troisième source transcendentale de « notions primitives » : après la pensée, après l’extension géométrique, l’union de l’âme et du corps, génératrice des sensations et des passions 4 ; «  je considère, écrit Descartes avec beaucoup de force, que toute la science des hommes ne consiste qu’à bien distinguer ces notions, et à n’attribuer aucune d’elles qu’aux choses auxquelles elles appartiennent » 5. Dès lors, ce que Kant appellera plus tard la question critique est posée 6  et dévoilée en même temps l’origine d’une véritable « illusion transcendantale ». Le rapport de l’âme et du corps doit être pensé exclusivement selon l’a priori qui lui correspond et qui ne saurait contredire une connaissance obtenue légitimement selon un a priori distinct. Ce n’est que sa traduction éventuelle dans le cadre d’un autre a priori qui est source de contradiction. Comme nous avons défini, à juste titre, l’âme par la seule pensée, et le corps par la seule extension, nous nous voyons par la suite contraints, afin de déterminer leurs rapports réciproques, de prêter à l’âme les attributs de l’extension corporelle et nous achoppons à cette contradiction. La vérité est que nous la créons par cette opération même et qu’il convient de rapporter l’union de l’âme et du corps à un a priori distinct. Selon la perspective dans laquelle nous nous placerons et qui sera soit celle de la pensée, discriminative, soit celle des sens et de l’imagination dans la « pratique ordinaire de la vie », âme et corps sont déterminés comme distincts ou comme unis.

       Il est évident que le sâmKhya ignore tout de cette dualité critique. Comme s’il ne soupçonnait pas la contradiction, il entreprend d’expliquer par la même « chaîne des raisons » la distinction et l’union des deux et très exactement d’établir la première thèse à partir de la seconde. C’est par la coalescence préalable de la nature et de l’esprit que se développent en ce dernier les aptitudes psychologiques qui lui permettront en bout de course de se libérer d’elle. L’esprit ne se saisit pas originellement comme principe, il n’y a rien dans la doctrine qui constitue l’équivalent d’un cogito, et on pourrait, en un sens, la caractériser tout entière comme une tentative de lui chercher un substitut sur le plan de la causalité naturelle du devenir historique des choses.

       En effet, le salut de l’esprit est de se connaître en tant que tel, c’est-à-dire distinct de la nature, d’accéder au stade de la connaissance pure, rigoureusement discriminée (vis’uddha Kevala jnana 7) qui ne circonscrit plus que son strict contenu (aparis’esa 8). Mais, précisément, il ne peut connaître, en général, que par la médiation de cette même nature, par réflexion successive, au stade de la « procession » cosmogonique où se créent en lui diverses instances psychologiques, du jeu des guna sur sa pure essence contemplative, et se connaître, parvenu au stade de la libération spirituelle, que par sommation réflexive encore, recollection exhaustive des « principes » de la procession (tattvabhvasa 9). Seul ce qui le lie se révèle en fin de compte capable de le libérer, comme si par là il lui était imprimé un élan tel qu’il dépasserait sa source et se révèlerait capable d’invertir son propre mouvement. Dans une très belle image abondamment citée, la Kârikâ 67 décrit le délivré qui reste lié à son corps alors que son vouloir-vivre n’en anime plus les forces, telle la roue du potier qui continue pour un temps de tourner alors qu’on a cessé de lui communiquer du mouvement. Qu’on imagine au contraire un mouvement qui irait sans cesse croissant, ou mieux, une impulsion qui déclencherait en son objet une énergie telle que son mouvement, passé un seuil donné, deviendrait capable de s’engendrer lui-même, d’effet passer au stade de cause, et on aura l’image de l’action de prakrti sur purusa à son point d’achèvement. Elle agit comme un déclencheur, une amorce ou un ferment catalytique ; elle porte en quelque sorte l’esprit jusqu’au stade de l’autonomie, où la causalité se renverse, où celui-ci se détache de son support ; son rôle achevé 10, il ne lui reste plus qu’à se résorber dans son indistinction première 11. Purusa iti puri liùge s’ete : « le  purusa, c’est-à-dire ce qui repose sur le siège du corps subtil », écrit Vâcaspati dans une tentative curieuse de justification étymologique 12.

       Corrigeons d’ailleurs immédiatement l’image dont nous venons de nous servir, car en toute rigueur il ne saurait s’agir de la communication quantitative, puis de la prolongation indéfinie d’un même mouvement, mais au contraire du passage qualitatif, d’une véritable mutation du mouvement au repos, du multiple à l’un, du devenir à l’éternel. L’émanation procède en effet dans le temps par étapes successives, de buddhi aux Ghûta, de l’« éveil » primordial à la confection du corps grossier par les étages intermédiaires de la personnalité empirique de l’homme et des éléments subtils constitutifs des corps. Au cours de cette progression, le purusa éprouve  comme si elle lui était consubstantielle (svabhavena 13) toute la gamme de l’expérience déceptive et douloureuse des réalités transitoires 14. Il sera libéré lorsqu’il aura percé l’illusion de cette avidyâ, lorsqu’il aura appris à ne plus se confondre avec ce qui n’est pas lui. Mais maintenant, pour bien marquer l’esprit de la doctrine, il nous faut noter le réalisme extrême dont s’entoure ici cette conception si classique de l’indianité philosophico-mystique. Notre image mécanique de tout-à-l’heure était sans nul doute forcée. Elle nous aidait toutefois à nous mettre en garde contre une conception idéaliste de la conversion spirituelle. L’avidyâ, en effet, dûe à une collusion réelle de l’esprit avec les forces de la nature, ne peut céder que lorsque, avec la constitution de la personnalité totale, ces mêmes forces viennent à expiration, lorsque toutes les conditions réelles sont remplies pour qu’interviennent l’objectivation et le renversement décisifs. Tel est le substitut, que nous avons évoqué, de l’expérience du cogito. On ne saurait imaginer une version plus naturaliste. Toute la démarche est circonscrite dans le terme tattvâChyasa, recollection intégrale, sommation réflexive de l’expérience des tattva, c’est-à-dire des moments successifs de la procession 15. Il ne s’agit surtout pas d’un pouvoir original de la suspendre, la condition c’est au contraire qu’elle soit d’abord achevée. La seule chose possible est un survol de cette dernière, suivi d’une récapitulation qui concentre dans l’unité d’un moment ce qui avait été déroulé successivement dans le temps. D’où ce mouvement de transcendance, cette mutation par laquelle l’esprit, formé à l’école de la nature, décolle de la nature, se la donne en spectacle 16, et si nous pouvons nous exprimer ainsi, apprend à faire la part des choses. S’attribuant faussement les caractéristiques naturelles, croyant vivre en elles sa propre histoire, d’une expérience, primitivement, il n’aspirait qu’à une autre expérience. Mais vient un moment où cet élan s’épuise. Toutes les conditions positives sont alors réunies pour que l’esprit le réfléchisse et l’intériorise, se concentre, en récapitule les divers moments pour l’objectiver et s’en affranchir enfin 17.

       Il ne fait aucun doute que le sujet vive ce moment comme une expérience personnelle et s’en attribue l’initiative. Cela ne saurait être exact ou du moins, la première proposition n’entraîne pas nécessairement la seconde. De même que le sujet était plongé dans l’illusion par un mouvement d’expansion de la nature, s’il accède à la vérité, ce ne peut être qu’en vertu d’un mouvement contraire de celle-ci. Lorsqu’il se détache des sens et de l’expérience affective, lorsqu’il conçoit dans l’unité d’un moment ce qu’il avait perçu et éprouvé successivement dans le temps, sa conscience est le simple écho, la traduction a parte subjecti du processus objectif d’involution par lequel les tattva régressent jusqu’au « principe » dont ils étaient issus, principe qui est précisément celui de la pure conscience, de l’éveil à la réalité, de buddhi. Non plus un sujet agent et sentant, lié à la nature mais un sujet pur, contemplant celle-ci 18 : cet état de conscience est littéralement conscience d’un état, terminus a quo à partir duquel la procession s’engage dans des expériences de plus en plus individuées et limitatives, terminus ad quem vers lequel elle régresse après achèvement de ces mêmes expériences – l’état de buddhi, premier des tattva originels. La Kârikâ 37 énonce clairement ce double mouvement qui s’opère autour de buddhi. « De même que buddhi réalise la totalité de l’expérience participative du purusa, elle opère la distinction subtile du purusa et du pradhana » 19. Buddhi est la conscience certes intentionnelle, conscience de la nature, ce qui la distingue de la contemplation vide du purusa, - mais non encore individualisée et subjective (ahamkara), « sensibilisée » et psychologique (manas) etc. En tant que conscience, elle est néanmoins l’ouverture à ces limitations successives, elle représente la fêlure par laquelle le purusa se transforme en cetanah purusa 20, en sujet psychologique capable d’actions et d’expérience, et l’on peut se représenter ces limitations comme oblitération progressive de sa clarté originelle, jusqu’à l’identification avec le corps et les sens. A ce dernier stade, le sujet ne saurait posséder une conscience de la nature, puisqu’il est immergé en elle et ne se distingue plus de ses déterminations. Que l’on imagine maintenant ce même sujet rompant avec son inscience, pratiquant la prise de conscience, l’abhyâsa que nous venons de décrire : ce renversement réflexif est bien, a parte subjecti, la traduction de l’involution des formes limitatives jusqu’au principe de pure conscience qui constitue leur fondement dernier, et premier à la fois 21. Le sujet qui contemple sans participer - exprime et réalise à la fois - la nature à l’état d’éveil. A ce stade, un pas de plus et l’obscurcissement caractéristique de la procession s’amorçait, le purusa s’engageait dans la nature, cessait de la refléter pour participer, jusqu’à l’identification terminale, à son devenir. Qu’il consente maintenant à la refléter simplement, qu’il consente à en demeurer le pur spectateur, qu’il refuse la participation et c’est le mouvement inverse qui s’amorcera – le passage au purusa indifférencié, le passage de la conscience à la supra-conscience solidaire d’une régression définitive de la nature à son indistinction première. Telle est, par le moyen de la connaissance – de la distinction de l’esprit et de la nature – la délivrance, moksa.

       On voit ainsi l’entre-deux dans lequel doit se situer la prise de conscience libératrice, entre l’infra-conscience de la participation et la supra-conscience de la délivrance. Avant la procession, avant la réflexion primitive du purusa sur la nature, qui est buddhi, il est trop tôt pour parler de conscience de la nature, et pour que l’esprit se pense donc distinct d’elle ; il l’est certes, mais il l’ignore. Mais, d’autre part, après la procession, après que la nature a envahi tout entière le principe de la conscience, il est cette fois trop tard, et le sujet se confond avec l’objet. La prise de conscience intervient dans l’entre-deux, lorsqu’au cours de son involution la nature se rétracte jusqu’à ne plus offrir à l’esprit que la mince pellicule qu’il n’aura qu’à refléter. C’est le point critique où la conscience est maximum pour la résistance minimum, le pur dédoublement en somme du sujet et de l’objet. Passé ce seuil, c’est soit le saut vers la supra-conscience indicible, soit la descente inexorable vers l’infra-conscience.

       Ansi présentée et précisée, la doctrine achoppe évidemment toujours au cercle vicieux fondamental qu’on se plait tant à relever, et dont on a vu Descartes se garder si soigneusement : la science discriminatrice de l’esprit et de la nature suppose le pouvoir de conscience, de connaissance qui consiste en une réflexion de la nature dans l’esprit ; la connaissance à laquelle on demande de rompre la participation demeure en son essence un état participé. Ce que nous apprenons, en somme, c’est qu’au stade de la connaissance cette participation est minimum, et tout se passe comme si la doctrine, consciente de la contradiction, s’efforçait de l’atténuer simplement. L’état de connaissance représente le stade où la conscience reflète la nature sans s’engager en elle, le stade où le lien qui relie les deux est le plus ténu possible ; mais elle la reflète obligatoirement et les deux principes demeurent liés. C’est la nature à son minimum d’évolution, donc réciproquement, l’esprit a son maximum de clarté, mais on ne saurait, nous venons de le voir, ni enlever davantage à la première, ni attribuer davantage au second, sans poser une relation qui ne peut plus s’exprimer en termes de connaissance. L’autonomie parfaite, l’état Kaivalva de l’esprit, solidaire d’une régression définitive de la nature à son noyau originel, avvaKtam, transcende absolument les normes de la connaissance et constitue une expérience mystique.

       Mais il ne semble pas que nous devions arrêter ici nos analyses. Elles nous conduiraient à une caractérisation trop négative, et sans nul doute, trop extérieure à la doctrine. Parler de « contradiction atténuée » reviendrait en somme à postuler que ses promoteurs ont effectivement aperçu cette contradiction ; que, l’ayant aperçue et ne pouvant, selon leurs principes, la surmonter, ils se sont donnés pour tâche de l’affaiblir ; bref, à la limite, qu’ils ont entrepris intentionnellement la construction d’un système contradictoire 22, en s’efforçant de prévenir, dans la mesure du possible, les objections qu’on ne manquerait pas de leur faire un jour. Il suffit de formuler cette hypothèse pour faire éclater son invraisemblance. On ne peut s’empêcher cependant de penser qu’elle est peu ou prou celle de la plupart des interprètes du sâmKhya 23. Nous pensons que nous lui avons suffisamment sacrifié et que nous sommes en droit de risquer l’hypothèse contraire, celle de la cohérence originelle du système à compter de prémisses qui restent à trouver. Nous avons assez dit qu’on y cherche en vain ce qui assurerait que le purusa se saisisse par ses seules ressources comme sujet conscient et connaissant, et construit notre interprétation en fonction de cette carence supposée. Il nous faut chercher maintenant si les thèmes que nous avons exposés ne seraient pas susceptibles d’une lecture plus directe et plus positive sans un éclairage qui cesserait d’être disons grosso modo cartésien. Nous cesserions par là même de poser à la doctrine des problèmes qui ne sont pas les siens, et donc de nous étonner qu’elle n’y apporte pas une réponse satisfaisante. Nous la jugerions en fonction de ses seuls problèmes et dans le cadre exclusif de ses présupposés reconnaissant par là même la relativité de nos propres perspectives qui ne sauraient s’imposer universellement. Nous soupçonnons ici que « l’obstacle épistémologique » fondamental que l’on rencontre dans l’interprétation de certaines philosophies indiennes est, assez imprévisiblement, leur ressemblance extérieure avec nos modes de pensée. Ce n’est pas dans ce qu’elles ont de dissemblable et peut-être d’irréductible à nos préoccupations et convictions qu’elles présentent la plus grande difficulté, car nous sommes prêts alors à consentir l’effort de compréhension nécessaire ; c’est dans ce qu’elles leur offrent apparemment, d’analogue. Avec le sâmKhya donc nous croyons saisir d’emblée le langage dualiste, nous butons sur une difficulté de ce genre 24. Nous allons pour terminer nous efforcer de démêler l’origine de notre méprise et tracer les grandes lignes d’une interprétation plus positive.

       On peut dire que lorsqu’un Occidental se persuade de la distinction de l’esprit et de la nature, il se réfère toujours à une pensée progressant du sensible à l’intelligible, aussi bien qu’à une volonté s’affranchissant des passions. Certes, c’est très peu dire, et aucune doctrine historique ne saurait se ranger dans un cadre aussi général sans y perdre sa substance. Nous nous en contenterons néanmoins pour distinguer le « dualisme permanent », ou le « platonisme » que Mme Simone Pétrement retrouve à juste titre dans toute la tradition d’Occident. Le thème est évidemment antérieur au clivage idéalisme-réalisme ; il est indifférent que le progrès s’effectue par abstraction d’essences de plus en plus intelligibles jusqu’à l’existence ontologiquement la plus riche, jusqu’à un maximum de compréhension de l’Etre, ou par systématisation des jugements, exclusive d’une affirmation de l’en soi. A ce stade, on ne se demandera pas davantage si l’idéal est redécouverte d’un ordre de perfection éternel ou inscription dans les choses de certaines fins originales. L’essentiel est qu’il y a progrès, de l’intelligence et de la volonté, s’exerçant à partir d’une nature qui représente l’ordre à surmonter ou à abolir. Ce progrès porte alors la marque dans le premier cas d’une raison, dans le le deuxième cas d’une liberté, et on voit que, dans les deux perspectives, la prééminence de l’esprit est assurée de ce seul fait que le sujet détermine l’objet. Son état de fait est l’asservissement : la confusion de l’expérience sensible, l’esclavage de la vie passionnelle. Mais qu’il prenne conscience de lui-même, qu’il apprenne à redresser des « opinions fausses » et il accédera à l’intelligence de la nature et à la responsabilité de son action. Définissons ces types de pensée comme constituant fondamentalement des gnoséologies et des éthiques.

       La pensée indienne n’est pas moins persuadée de l’excellence de l’esprit, mais son thème le plus profond lui interdit de la concevoir en termes de progrès intellectuel et moral. Elle ne s’est historiquement référée ni à une réalité dont la mathématique exprimerait les normes, ni à un Etat auquel le citoyen serait tenu d’apporter son libre concours, ni à une religion poursuivant des valeurs d’action et d’espérance. Son point de référence exclusif 25 est l’état de béatitude mystique, et on sait que lorsqu’elle n’est pas parvenue à concevoir celle-ci, bien qu’en termes si différents des nôtres, comme réalisation spirituelle, comme la plus haute affirmation du soi, elle a préféré, avec le bouddhisme, nier le principe spirituel lui-même 26. La pensée qui se développe, la volonté qui ordonne l’action selon ses fins ne témoigneraient, à ses yeux, que de la dispersion et de la dégradation irrémissibles de l’esprit ; l’altérité qu’implique l’exercice de la première, l’hétéronomie provisoire que doit surmonter la seconde ne sauraient entretenir le moindre rapport avec son essence immobile. Il est même exclu qu’il se connaisse lui-même, du moins sous forme de dédoublement réflexif explicite, et nous voyons l’upanisad mettre sur le plan antahprajûa, la connaissance intérieure, et bahisprajûa, la connaissance extérieure 27. En effet, « si c’est vers l’extérieur que le brahman creusa des cavités » 28, lorsque le sujet introvertit son pouvoir de connaissance, il ne peut que transporter en lui l’extériorité caractéristique de l’objet. Dans tous les cas donc la connaissance ne se développe que dans un sens, celui de l’oubli progressif du Soi, et il en est de même pour l’action. Toute activité est déficience, inscience et asservissement. La tâche propre de l’esprit ne saurait dès lors consister à développer ses virtualités, mais au contraire à les réprimer jusqu’à résorption dans leur germe : bîjâvasthâ 29. Il n’est ni science ni spiritualité qui l’autorise à se définir selon les normes d’un ordre objectif et qui permettrait donc de le saisir réflexivement à partir de ces normes. Du sage il faut que l’on puisse dire que son esprit est dépossédé (nigrhin) et replié sur son exclusive certitude (nirviKalpa) 30. Tel est, en regard du thème occidental, le thème indien fondamental, et comme celui-ci nous nous dispenserons de le définir plus avant. Disons qu’il connote, en un sens assez particulier, des ontologies et des mystiques.

       Mais s’il en est ainsi, comment attester par le biais de la spéculation la prééminence de l’esprit ? Elle s’éprouve dans une expérience sui generis ; elle est, de plus, révélée ; reste à la justifier au regard de la raison. Ce problème, on le voit immédiatement, va se poser de façon toute différente que dans notre tradition puisqu’il est interdit de saisir l’esprit à l’œuvre, dans l’élaboration d’un ordre quelconque des valeurs. Il faut commencer par dissocier le syncrétisme pan-indien du « sage-philosophe », de l’ascète-penseur. Le premier devoir de l’analyse est de démêler les deux perspectives qui, loin de s’impliquer, se contredisent mutuellement, et il s’est trouvé de longue date dans l’Inde une spéculation assez indépendante et assez vigoureuse pour poser ce problème. Ce que le mystique, le délivré éprouve comme une expérience positive la pensée n’a d’autre ressource que de le circonscrire en termes négatifs – de le connoter par expression indirecte (laksana), son caractère distinctif (vis’esana) échappant en tant que tel à l’entendement 31. Nous entendons bien la leçon célèbre de l’inpanisad lorsqu’elle nous déclare : « C’est le soi, en vérité, qu’il faut regarder, qu’il faut écouter, qu’il faut penser, qu’il faut méditer » 32 mais comment ? « En vérité » le Soi est invisible, inaudible, impensable, inaccessible, et ces qualifications négatives sont celles-là même que nous rencontrons, à un autre moment de la révélation, dans l’upanisad : adrstam, avyavakâryam, agrâhyam, alaKsanam, acintyam, avyapades’yam 33.C’est d’un tel objet qu’elle persiste à dire que nous devons le penser (manvante), qu’il doit constituer un « objet de connaissance » (Sa vijûeyah) 34. Elle n’en indique pas le moyen.

       Il incombera à la recherche indépendante, à la réflexion philosophique de le trouver. Mais en toute rigueur, on voit qu’elle est placée, selon les termes mêmes de l’upanisad, devant une radicale impossibilité. Comment connaître l’inconnaissable, penser l’impensable, etc. ? Cet inconnaissable, dit-on, n’est pas un objet qui se trouverait trop éloigné de l’entendement pour que celui-ci puisse l’atteindre, mais, est nous-même, le sujet de la connaissance, l’entendement lui-même – le « connaisseur ». Fort bien, mais nous venons de voir qu’il est interdit de le connaître en tant que « connaisseur », que c’est avant qu’il ne se déploie dans l’acte d’intellection que nous devons le saisir, en son centre pur, irréféré, réprimé, involuté.

       En cet état, certes, il est coupé de la nature, qu’il transcende absolument. Mais, pour cette raison même, comment la réflexion va-t-elle le saisir si ce n’est en prenant appui sur cette nature, qu’elle va se trouver dans la regrettable nécessité d’admettre d’abord ? Tout ce qu’on pourra dire de lui, c’est qu’il n’est pas la nature : donc celle-ci, en quelque façon, est. On voit ici l’amorce de ce que sera le dualisme du sâmKhya, comme on peut deviner la réaction de l’advaita, qui niera que l’on procède ainsi à partir d’un terme réel. La thèse, héritée de la mystique, de la transcendance de l’esprit à l’égard de la nature impose comme condition à la réflexion philosophique la considération préalable de l’existence de la nature, qui représente en soi la thèse contraire. Pour la pensée occidentale, un esprit agissant inscrit dans la nature un ordre spirituel ; elle l’attestera donc amplement et positivement par réflexion à partir de cet ordre. Pour la pensée indienne, un esprit immobile se coupe des choses ; à moins de n’en rien dire, elle devra donc s’appuyer sur elles pour inférer négativement son existence. Ce faisant, elle nie les choses de lui, elle dégage sa pure essence. Mais qui ne voit que, porté à l’absolu, ce mouvement de négation aboutit à une conception elle-même négative de l’esprit, que l’affirmation de l’esprit reste comme suspendue tout entière à l’acte, qui le nie à partir de la nature ? On reconnaît ici la voie du bouddhisme, posant un absolu mystique non seulement supra-conscient mais trans-spirituel. Il peut être considéré comme représentant l’antithèse la plus extrême de la pensée occidentale. Alors que celle-ci s’engage dans une analyse en droit infinie des valeurs qui implique l’exercice de l’activité spirituelle, celui-là s’épuise dans une démonstration du « vide » de cette activité, et au-delà de toute activité et de l’être lui-même, y compris de l’être de l’esprit. La confrontation entre les deux pensées, l’indienne et l’occidentale, pourrait ainsi se résumer très simplement. On pourrait dire que partant d’une immanence de l’esprit à la nature, la pensée occidentale est amenée à découvrir progressivement les valeurs de transcendance qu’implique cette action, de telle sorte que la transcendance de l’agent est d’autant mieux assurée que son action s’exerce plus longtemps et plus intensément. Partant de la certitude inverse d’une transcendance absolue de l’esprit à l’égard de la nature, la pensée indienne se verrait au contraire tenue d’en apporter la preuve sur le terrain de l’immanence, de référer sans cesse l’esprit à la réalité qu’il exclut ; d’où une conception purement négative de l’esprit dont tout le contenu déterminable apparaît comme étant d’ordre « naturel » empirique ; d’où à la limite l’élimination pure et simple de ce dernier, envahi tout entier par la négation qui est censée le soutenir.

       Le but de la spéculation brahmanique conformément à l’enseignement des upanisad, est d’éviter cet extrême et de découvrir ce que nous pourrions appeler un « bon usage de la méthode d’immanence ». L’esprit ne pourrait être défini que par référence négative à une altérité, par exclusion et élimination. S’esavat, selon le terme du Nyâya 35  - le problème est bien entendu de ne pas l’exclure lui-même, de ne pas porter le mouvement à l’absolu et conclure à son impermanence et insubstantiabilité, mais encore, chemin faisant, de définir positivement son essence, tout en dégageant sa transcendance, l’appréhender par là-même directement.

       Rappelons brièvement la solution de l’advaita, car elle est la plus parfaite et donc la plus claire. Ici, le « moment négatif » par lequel l’esprit est posé en dehors de la nature ne peut en aucun cas aboutir à l’élimination de l’esprit, à l’atténuation jusqu’à extinction de son essence, puisque la nature est mâyâ – illusion et négativité. Ce mouvement traduit donc en réalité le mouvement inverse par lequel l’âtman approfondit son essence, rompt les limitations qui l’emprisonnaient dans le monde des noms et formes, y compris celle du jîvâtman. A la limite, ce mouvement le portera jusqu’à brahman, jusqu’à son identification avec l’absolu. A ce stade, cependant, il n’y a que la transcendance l’esprit qui soit assurée ; il est égalé à l’absolu, c’est-à-dire à la transcendance pure qui n’est plus connotable positivement, et en regard de la pâravidvâ qui l’appréhende dans la vérité de cette perfection, il n’y a jamais eu ni chute en mâyâ ni arrachement à elle. Toute l’histoire du sujet engagé, que ce soit sous sa face négative ou sous sa face positive, est saisissable sur le seul registre de l’illusion 36. La conséquence en est qu’elle ne peut rien nous apprendre quant à la nature de ce sujet. Or c’est ce que S’ariKara rejette rigoureusement. En effet, « la notion d’âtman transportée dans l’absolu dit encore parfaite immanence au créé, immanence substantielle, en même temps que transcendance à toutes ses imperfections »…37 . Transcendant à mâyâ, l’âtman ne laisse pas d’exprimer de façon « suressentielle » 38 la part de vérité qu’elle renferme en tant que participation lointaine mais effective de l’absolu. Il a donc un contenu propre, celui même de mâyâ dans la vérité de brahman qui les englobe tous deux. Derechef, ce dernier peut être qualifié positivement, en plus de l’attribut de l’être, de ceux de l’esprit et de la béatitude 39. La pensée indienne découvre ici dans les limites propres de son génie la réponse parfaite au problème fondamental dont son inspiration mystique lui avait imposé les termes. D’une part, la via negationis exorcise les démons qu’elle portait en elle. C’est dans une plénitude d’être – et de pensée, de béatitude – qu’elle débouche, non dans une s’ûnvatâ. D’autre part, cet être est laissé dans l’indétermination que requiert sa transcendance, « indétermination absolue et par excès (qui) est la complétude même de l’être et de l’intelligibilité » 40. Les deux mouvements, qui se recoupent exactement pour culminer dans cette difficile notion, définissent l’illusionisme, mâvâvâda, de S’ariKara – solution spécifique, on le voit, d’un problème spécifique, que nous ne saurions expliquer plus avant, c’est-à-dire réduire à une conceptualisation plus large et plus compréhensive. Il ne s’agit, par exemple, ni d’une ontologie, ni d’une hénologie au sens occidental. « Dans une doctrine de l’Etre, écrit E. Gilson, l’inférieur n’est qu’en vertu de l’être du supérieur. Dans une doctrine de l’être, c’est au contraire un principe général que l’inférieur n’est qu’en vertu de ce que le supérieur n’est pas »  41. il est clair que nous ne parviendrons à classer mâyâ ni dans l’une, ni dans l’autre. En un sens, elle est en vertu de l’être de brahman, ce qu’elle inclut d’Etre renvoie à une participation réelle de l’absolu ; néanmoins, n’oublions pas qu’elle n’est pas, qu’elle constitue l’Illusion par excellence, c’est-à-dire rien moins qu’un « degré d’être » positif au niveau duquel l’absolu pourrait se lire analogiquement. Va-t-on dire alors, selon l’hénologie, que son contenu d’être s’entend par exclusion de l’absolu, que si elle est c’est uniquement dans la mesure où celui-ci n’est pas ? Cela serait aussi faux puisque « mâyâ n’a de sens, à titre d’illusion,  qu’en fonction de l’être ; si le monde est simple apparence, il est apparence de l’être » 42. Des deux côtés donc, le concept déborde l’alternative et déboute toute tentative de définition selon une logique du tiers exclu – ni pure illusion de réalité, car il faudrait ajouter que cette illusion est réelle, ni réalité d’une illusion, car une telle réalité ne laisserait pas d’être illusoire. Anirvacanîva, indéfinissable, concède S’anKara, mais cette incapacité conceptuelle doit s’entendre, elle également, « par excès », non comme échec mais comme élévation suprême de la réflexion. Par là mâyâvâda remplit son rôle qui est d’appréhender l’esprit dans sa transcendance, à partir d’une réalité qu’elle doit simultanément affirmer et nier (apavâda) comme constituant la puissance ambiguë de le manifester en le voilant, de le voiler en le manifestant. Tel est le « bon usage », que nous évoquions, de la méthode d’immanence – voire, semble-t-il, le seul possible.

       Il nous faut voir que le sâmKhya en représente un autre, moins élaboré, mais répondant aux mêmes préoccupations – que la solution élaborée dans le cadre du vivartavâda a d’abord été tentée dans celui du parinâma. Comme mâyâ en effet, praKrti représente fondamentalement cette puissance ambiguë d’enveloppement et de manifestation à partir de laquelle il deviendra possible d’appréhender l’esprit dans sa transcendance inentamée. Qu’il y ait contact de deux principes ontologiquement distincts ne constitue pas un postulat plus audacieux que de concevoir une capacité émanant de l’absolu d’offrir une image illusoire de lui-même. D’autre part, que le deuxième principe soit réel, doive recevoir un statut ontologique distinct de celui de l’esprit, ne saurait l’empêcher de remplir à son égard la même fonction ; le problème est alors de déterminer ce qui dans l’évolution de ce principe est apte, soit à le révéler, soit à le dissimuler.

       En fait, nous devinons que l’alternative n’est pas, ne peut pas être effective, que révéler pleinement l’esprit comme l’abolir décisivement excède le pouvoir de praKrti. Comme mâyâ, quoique réelle, sa fonction ne peut être que symbolique ; réelle dans son essence, elle ne saurait être autre que figurative dans ses manifestations. On pourrait dire qu’il n’est au pouvoir d’aucun des trois guna d’effacer entièrement l’influence des autres, le repos de l’un devant entraîner nécessairement celui des deux autres ; donc, l’involution de la nature à son immobilité originelle. Dans toute manifestation « sattvique » de praKrti, de par le facteur inaliénable d’obscurcissement qu’elle implique, nous ne lirons donc jamais qu’imparfaitement la présence de purusa ; mais inversement, au sein de l’occultation la plus « tamasique » une dernière possibilité restera toujours offerte de la faire. C’est un mouvement indissoluble d’expansion et de « restriction » 43, de fondation et de limitation, que la nature « manifeste », « mime » 44 l’esprit.

       Il semble toutefois que praKrti joue un rôle supplémentaire. Si sa seule fonction consistait à manifester l’esprit selon la relativité qui lui est propre, elle ne saurait être caractérisée « pour » ou « contre » ce dernier 45. Or, nous savons que son but (artha) est en plus de le servir, de le manifester, dans le sens beaucoup plus positif où elle l’amène à prendre conscience de lui-même. Par là aussi nous le savons, il devient capable de rompre avec elle, d’obtenir la délivrance, d’où le cercle vicieux qui nous a paru peser sur la genèse de cet état, les mêmes forces naturelles étant tour à tour invoquées pour rendre compte de l’asservissement et de la libération.

       Mais nous possédons maintenant les éléments principaux d’une réponse susceptible de rendre justice à la doctrine. En droit, c’est-à-dire selon la perspective de la pâravidyâ, ce passage de la nature à l’esprit n’existe pas : « En vérité (addha) nul (esprit) ne transmigre, n’est asservi ou délivré ; c’est la nature aux cent actes divers (nânâs’rayâ praKrti) qui transmigre, qui est asservie, qui est délivrée » 46. La conception à laquelle nous devons renoncer ici est celle d’accident, pour laquelle un esprit d’abord inféodé aux choses (sensation, passion) prend sur lui la tâche de leur substituer un ordre spirituel et atteste par là même son pouvoir autonome d’intellection et de choix (cogito). C’est dans cette perspective seulement qu’il y aurait contradiction à considérer la prise de conscience comme une œuvre de la nature, comme un simple moment de l’évolution des choses. Mais dans la perspective du SâmKhya – comme dans celle du vedânta, et nous voyons qu’il faut opposer en bloc les deux doctrines, abstraction faite de leurs divergences au point de vue occidental – un esprit immobile fait face à un devenir « naturel » 47 dont tout ce que nous pouvons dire est qu’il est apte à le symboliser, à le « manifester » selon l’ambiguïté et la relativité qui sont siennes. Dès lors, asservissement et délivrance doivent s’entendre dans un sens disons exclusivement phénoménal, ou, plus exactement, il n’est pas étonnant qu’à une conception phénoménale de l’asservissement corresponde une conception également phénoménale de la délivrance, qui, lus sur le registre de praKrti, et sur ce registre seulement, l’un et l’autre soient traduisibles en termes de praKrti, puissent être considérés comme des œuvres de praKrti. Tel est sans doute le point de vue propre, le dars’ana du SâmKhya. Ce qui dans tous les cas est exclu est que l’esprit, dans sa transcendance en acte, s’arrache à la nature – elle ne constitue pas une altérité vraie, mais un terrain, un révélateur, un catalyseur 48 – et entreprenne la tâche du Cogito ; il n’administrerait jamais ainsi que la preuve de sa déficience et de son imperfection. Si donc, sur le plan empirique, ou phénoménal – dans l’ordre du Vyavahâra – nous sommes amenés à concevoir la possibilité de sa délivrance, il faut que ce soit une œuvre propre de la nature, une tâche qu’elle entreprend, une activité émanant de son pouvoir. De même que nous l’avons invoquée pour rendre compte de l’asservissement, elle seule, et pour les mêmes raisons, est ce qui peut expliquer la délivrance, étant exclu que l’esprit puisse se libérer, non plus que s’asservir. C’est dans son évolution, selon sa capacité positive de refléter l’esprit, ou négative de l’oblitérer – selon le gupa prédominant – que nous pouvons seulement nous représenter l’un et l’autre. Il n’y a pas contradiction, car nous ne passons pas à proprement parler du plan de praKrti au plan de purusa, comme l’affirme si catégoriquement la Kârikâ que nous venons de citer. Ce qui reste acquis est que dans tous les cas le langage de praKrti n’est jamais fondamentalement impuissant à exprimer le purusa – son caractère purusârtha.

       Pourtant cette thèse n’est-elle pas en contradiction avec le but explicite du dars’ana ? Celui-ci n’est-il pas exclusivement de prouver la distinction (viveKa) de l’esprit et de la nature 49 – non pas donc de lire, selon son langage, selon sa capacité « sattvique » d’expression, purusa dans praKrti, mais de montrer leur effective dissociation, ce qui implique que purusa est suffisamment connu dès qu’il est opposé à praKrti ?

       Il est à remarquer en effet que dans les KâriKâ nulle part le purusa n’est défini positivement, mais toujours saisi a contrario à partir de praKrti, par « négation invertissante », viparyayâd. Aux KâriKâ 17, 18 et 19 l’accent n’est pas encore mis sur la capacité d’un gupa déterminé – sattva – de refléter le purusa, mais au contraire sur la nécessité pour établir l’existence de ce dernier de nier au même titre les trois guna, de procéder trigunâdiviparyayâd 50, « par négation des trois guna et de ce qui procède d’eux ». La nature ne constitue évidemment ici qu’un pôle négatif. Même argument à la KâriKâ 18 pour prouver cette fois la pluralité des purusa, purusabahutva 51. Reprenons chacun des concepts par lesquels la KâriKâ 17 prouve le purusa, ainsi que ceux par lesquels la KâriKâ 19 le définit, et nous constaterons qu’ils procèdent tous de la même méthode. « Le purusa existe » samghataparârthatvât, « du fait de l’abaliété des composés » - trigunâdiviparyavâdadhisthânât, « de l’existence d’un point fixe » - GhoKtrbhâvât, « d’un sujet qui expérimente » - Kaivalyârtham pravrtteh, « d’une action en vue de l’isolement » 52. Si la nature reste ici le signe de l’esprit, il faut dire que ce signe est purement négatif : tension indéterminée vers son essence, lien immobile autour duquel elle est censée s’ordonner, convergence de ses concaténations. Réciproquement, il n’est pas étonnant que l’être spirituel saisi par des procédés aussi extrinsèques et déficients semble participer en son essence de la même négativité. Toujours viparyâsât, on lui reconnaît, au neutre, les qualités de « témoin immobile », sâKsitvam, de « sujet isolé », Kaivalvam, d’ « être du milieu (inaltéré) », mâdhyasthyam, « contemplanté », drastrtvam ; il est enfin « inagissant », aKartr 53.

       Nous avons appris du vedânta combien de telles qualifications peuvent être positives et révéler de richesse dans leur indétermination « par excès ». Mais on voit qu’il en est ici différemment, que la nature de la méthode engagée exclut que nous puissions les considérer autrement que comme des déficiences, des indéterminations « par défaut ». En fait, nous retrouvons cette méthode négative d’exclusion – ce terme est celui qui traduirait peut-être le mieux le concept de viparyaya – contre laquelle nous savons que s’est élaboré le mâyâvâda et jusqu’au sâmKhya lui-même pour autant qu’il a conçu une nature purusârtha, apte à fournir un équivalent symbolique du destin de l’esprit. Nous sommes ainsi amenés à penser que pour une part le sâmKhya constitue également un viparyayavâda dont les intentions contredisent directement tout ce que nous avons appris à son sujet. De deux choses l’une, en effet, la nature est ou ce qui exprime l’esprit, selon ses degrés divers de relativité, ou ce qui l’exclut – absolument parlant et à quelque degré que ce soit de son développement. Mais si l’on opte, comme la doctrine y incline ici, pour la deuxième alternative, son devenir ne pourra jamais être envisagé comme tendant au « service de l’esprit », comme le révélateur de sa transcendance, et elle ne représentera plus à son égard que le terme négatif de référence, le pôle de l’altérité pure. Qu’on maintienne au contraire sa capacité relative de manifester l’esprit, de le refléter ou de l’obscurcir (le refléter toujours selon l’imperfection de sa résonance sattvique, l’obscurcir selon l’effectivité jamais totale de tamas), et c’est la transcendance de ce dernier qui ne pourra plus être conçue en termes d’exclusion, l’esprit ne sera pas connu de ce seul fait qu’il aura été distingué de la nature.

       Il semble en fin de compte que les promoteurs de la doctrine n’aient pas aperçu le dilemme, qu’ils aient voulu en même temps établir la transcendance de l’esprit sur la négation des choses et interpréter l’évolution des choses comme une marche vers l’esprit. C’est cette contradiction que la lumière – sans nul doute trop crue – du cartésianisme nous avait d’abord révélée en elle. En fait, elle ne nous avait permis que de la pressentir. Ce que nous n’étions pas en effet parvenus à nous expliquer, c’était l’exacte nature de l’abhyâsa, comme ce qui, vu la transcendance absolue de l’esprit, ne pouvait être considéré que comme un moment de l’évolution naturelle – la conscience, l’éveil, buddhi – pouvait être ce qui réalise (saddhayati) la séparation de cette même nature et de l’esprit. D’où notre verdict de naturalisme. Mais par la suite nous avons été amenés à répudier notre cartésianisme ; un examen de la conception indienne de la transcendance spirituelle, qui nous a transportés aux antipodes de Descartes, nous a permis de résoudre cette contradiction et de rendre justice à la doctrine, de concevoir comment purusa pouvait être légitimement lu en termes de praKrti. Il reste que le sâmKhya présente la difficulté supplémentaire – qui ne résulte plus de la perturbation qu’opérerait en lui une technique d’observation étrangère, et en l’occurrence occidentale – d’engager une méthode, de proposer une terminologie qui demeurent fondamentalement incompatibles avec son intention.

       Dans le langage strict du viparyayavâda, ne faudrait-il pas se borner à dire en effet que l’esprit et la nature d’abord distincte en viennent à se confondre au cours d’une certaine évolution de la nature, pour à nouveau, au terme de celle-ci, se séparer ? Telle n’est pas la signification de ce langage. Il reste qu’il a été employé, fixé, écrit, enseigné, commenté, utilisé, et qu’il explique la « mauvaise presse » du dars’ana. On apercevra aisément sa raison d’être dans le réalisme dont s’entoure la conception de praKrti ; celle-ci étant conçue comme « réelle », il fallait, pour préserver la transcendance de purusa, considérer que celui-ci en soit exclu. Mais d’autre part, selon sa transcendance même, il ne pouvait être considéré comme s’en excluant, comme succombant à elle, puis s’en affranchissant. D’où la téléologie spécifique de praKrti entreprenant cette tâche à son intention. Mais, en réalité, comme nous l’avons vu, la doctrine adoptait alors un dars’ana tout différent ; renonçant à son apophatisme brut, elle était amenée à lire dans praKrti – fatalement déréalisée, au moins dans ses pouvoirs de manifestation symbolique – la  présence immanente de purusa.

       Nous venons dire méthode qui faillit à son inspiration. C’est selon la logique de notre compréhension. Selon ce qui a dû être l’ordre réel de l’histoire, il faudrait peut-être dire inspiration qui s’est fixée dans une méthode qui devait la conduire à se dépasser. C’est en voulant prouver son apophatisme que le sâmKhya en est venu à adopter une méthode qui en impliquait et la négation et le dépassement.

 

 

(*)   Essai inédit composé en 1963 par R. Gélibert (1925-2010). Nous remercions Madame Françoise Bertin Gélibert de nous en avoir autorisé la publication.

 Agrégé de philosophie en 1953 et ultérieurement diplômé en études indianistes et sanskrites à la Sorbonne sous la direction d’Olivier Lacombe, Raymond Gélibert, qui professa à l’université de Bordeaux à partir de 1970 (et enseigna autant l’histoire de la métaphysique que la philosophie religieuse indienne), après avoir occupé la chaire de khâgne du lycée Claude Bernard (Paris VIIe), devait s’engager dans plusieurs missions scientifiques rattachées au CNRS en Inde au cours de longs séjours dont le premier dura plusieurs années à partir de 1955 ; il s’initia alors au sein des universités hindoue et sanskrite de Bénarès auprès notamment du célèbre D.C. Guha et de divers pandits ; il devait conjointement exercer des fonctions administratives (de directeur des études de langue et civilisation françaises auprès de l’Institut français de Pondichéry et de Proviseur du lycée français de Pondichéry) et assumer des charges diplomatiques liées à l’accession à l’indépendance des territoires de l’Inde du sud. Son importante  thèse  intitulée Philosophie de la croyance. Intellectualisme, mysticisme, scepticisme, sous la direction d’Henri Duméry (Paris Nanterre, 1978) est en préparation de publication dans la collection « Essais »  de la B.P.C. ; ce volume de 600 p. devrait paraître en 2012 accompagné d’un autre texte substantiel sur la pensée cartésienne. N. Ed.

 

(*) Art. sous presse in Filosofia Oggi, Genova (I), L’Arcipelago ed., XXXIV, 2011, III-IV.

 

 

_______________________________________

 

1. purusaya darsanâprtham kaivalyârtham vathâ

pradhânasya parigvandhavadubhayorapi samyoga

statrrtah sargah (Kârikâ 21)

2. A Elisabeth, 28 Juin 1643.

3. A Elisabeth, 21 Mai 1643.

4. Ibid. Descartes n’envisage pas la deuxième possibilité, qu’adoptera Leibniz, qui consisterait à annuler au contraire le facteur matériel et à concevoir la communication des deux substances sur le modèle d’une harmonie monadologique, c’est-à-dire spirituelle.

5. Ibid.

6. « Quel est le rapport de nos connaissances à leur objet » ? A Marcus Herz, 1771.

7. Sâmkhyakâritâ, 64.

8. Ibid. Cf. la ViveKasiddhi, littéralement « l’accomplissement de la discrimation des Sa     mkhyasùtra » (3, 75).

9. S.K., 64. C’est buddhi, premier terme de la procession qui constitue la plaque tournante à partir de laquelle se réalise l’inversion du mouvement (S.K., 36, 37).

10. On comprend l’affirmation réitérée de la doctrine qu’elle est purusârtha (S.K., 56, 57, 58, 60).

11. S.K., 59, 61, 65, 66, 68.

12. ad Kârikâ 55, cf. S.K., 42 : le corps subtil mime la destinée de l’esprit.

13. S.K., 55

14. Décrite dans les K. 47-51.

15. S.K., 64 :  « Ainsi d’une sommation réflexive des moments de la réalité surgit cette connaissance : ‘je n’existe pas (empiriquement), rien ne m’appartenant, il n’y a pas de moi’. Etant indubitable, un tel savoir peut être déclaré total, pur, absolu ».

16. « prakrtini pas’yati purusah » ; S.K., 65.

17. Vâcaspati ad. K. 64 : « Uktarûpaprahâratattvavisa yajûânâbbhyâsâdâdaranairantaryadîrghakâlasevitât sattvapurusânya tasâksâtkâri jûânamatpadyate : d’une recollection de la connaissance dont l’objet porte sur une réalité du mode de celle don’t nous avons décrit les formes,  recollection étalée sans interruption sur un long laps de temps, surgit la connaissance qui révèle l’altérité du  purusa sattvique ».

18.  prekoakavadavasthitah,  « dans la  position d’un  spectateur » ,  S. K., 65.

19. sarvam pratyupabhogam yasmât purusasya sâdhayati buddhih saiva ca vis inastipunah pradhanapurusântaram sûKsmamS.K., 37.

20. S.K., 55.

21. On peut donc le caractériser comme une « reconnaissance », pratyabhijna. On sait l’usage que le s’ivaîsme Kas’pirien fait de ce concept, et combien l’influence du sâmkhya est nette dans cette doctrine.

22. Par exemple à partir de données i_ncompatibles que leur aurait léguées une certaine tradition, ou de données appartenant à des traditions distinctes qu’ils se seraient alors donnés pour tâche d’harmoniser. On sait que ce dernier procédé surtout est très indien. On sait aussi qu’en indianisme une clef n’ouvre pas toutes les serrures.

23. Les interprétations indigènes anciennes ne sont pas plus compréhensives. Les commentaires aux KâriKâ ne font preuve d’aucune pénétration  philosophique. Les interprétations indépendantes sont faites dans la perspective soit polémique, soit syncrétique du  vedânta. Ce serait un problème d’expliquer comment une formulation tenue généralement pour insatisfaisante a pu exercer une telle influence et recevoir la consécration du genre dars’ana.

24.  que l’on rencontrera beaucoup moins dans la mêmâmsâ et dans le yoga, par exemple, lesquels exigent de toute évidence un ajustement immédiat de nos concepts.

25.  Auquel elle travaille, avec des bonheurs divers, à réduire les autres : l’art, le devoir social (svadharma), etc.

26. Manaso hyamanîChâve écrivent encore les gandapâdîyaKâritâ, « à partir de l’esprit la transformation en non-esprit, lorsque l’esprit en vient à se supprimer lui-même » (III, 31).

27. MândûKya, 7.

28. Texte upanisadique cité sans références écr. G. Grimm, La religion du Bouddha, p. 106.

29.  Terme yoga ; c’est la Kaivalvâvasthâ du S., le Samadhi du yoga, le Saccidânanda des vedantins, etc.

30.  nigrhîtasya manaso nirviKalpasya dhînatah - GoudapâdîyaKâriKâ, 3, 34.

31. Olivier Lacombe, L’Absolu dans le Vedânta. Les notions de Brahman et d’Atman dans les systèmes de Cankara et de Ramanoudja, Paris, Libr. P. Geuthner, 1937,  p. 79  s. et  p. 99.

32. BrhaddâranyaKa, 2, 4, 5.

33.  MandûKya, 7.

34.  MandûKya, ibid.

35.  1, 1, 5.

36.  Idem in GandapâdîyaKâriKâ, II, 32 – Bhagavadgîtâ, VI, 3 – SâmKhyaKâriKâ, 62 – Nâgârjune, MadhuamiKa, XVI, 5.

37. O. Lacombe, L’Absolu selon le Vedânta, p. 86.

38. ibid., p. 126.

39. ibid., p. 218.

40. O. Lacombe, op. cit., p. 45.

41. Etienne Gilson, L’Etre et l’essence, Paris, Vrin,  1948, p. 42.

42. O. Lacombe, op. cit., p. 165 ; c’est nous qui soulignons.

43. S.K., 13 : apastambhaKam rajab, de stambh : - a) fonder, supporter - b) fixer, arrêter.

44. S.K., 42 : natavad vyavatisthate lingam, « le corps subtil se comporte comme un danseur ».

45. Comme mâyâ par elle-même, avant qu’elle ne devienne un instrument entre les mains de la providence du Seigneur.

46. S.K., 62.

47. A la lettre, l’expression ne peut évidemment s’entendre que du SâmKhya

48. Cf., par exemple, les notions de Ksetra, « champ » (d’activité), d’âlambana et surtout d’âs’raya, « point d’appui », « nature référée au service de l’esprit » (O. La combe, op. cit., p. 147).

49. vyaKtâvyaKtajûavi jûanât, « par connaissance discriminative de l’évolué, de l’inévolué et du connaissant ». S.K., 2.

50. S.K., 17.

51. traigunyaviparyayât, S.K., 18 ; cette négation ne va donc pas jusqu’à dépasser l’individualité empirique, ce qui signe son propre empirisme.

52. S.K., 17.

53. S.K., 19. La connaissance « pure »,  rigoureusement discriminée, « sans résidu », de ce qui n’apparaît qu’au purusa sera établie alors aviparvadâd, par l’impossibilité de sa négation, de son dépassement par inversion (S.K., 64).

 

 

 

_________________________________________________________________________________________________________

 

© THÈMES, Revue de la Bibliothèque de philosophie comparée, I/2011, mise ligne le 7 mai 2011