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mise en ligne
le 7 mai 2011
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Le problème de la prise de conscience
dans la philosophie SâmKhya (*)
par Raymond Gélibert (†)
Le sâmKhya n’a pas bonne presse. Il semble que les interprétations
modernes se satisfont, sans plus, de dénoncer l’inconsistance de son dualisme.
N’y a-t-il pas une contradiction interne immédiate à poser la dualité absolue
de deux principes et à affirmer l’accord (samyoga), de leur
développement ? Si l’esprit est l’esprit et la nature la nature, et s’il
n’y a rien en dehors d’eux, ou s’ils s’ignorent ils coexistent, ou s’ils se
connaissent ils se contrarient. « Pour l’intellection de la Nature, aussi
bien que pour l’isolement de l’Esprit (s’opère) une union des deux (précédentes
réalités), analogue à celle d’un boiteux et d’une aveugle. La ‘création’ est
agencée en vue de cette fin » 1 : voilà ce qui serait impossible. Le
raisonnement n’abdique-t-il d’ailleurs pas devant une image, et cela non pas à
l’occasion d’un commentaire plus ou moins cursif, mais dans la texture même de
l’exposé fondamental ? Faiblesse à laquelle s’ajoute, évidemment, celle de
l’image elle-même, la parfaite inadéquation du drstânta invoqué :
un boiteux et un aveugle qui s’associent ne ressortissent pas à deux ordres
distincts de la réalité, ils poursuivent un but commun dans la communication et
l’identification de leur vouloir, ils sont co-participants dans une même
opération. Il n’y a rien ici qui puisse traduire l’union, le développement conjugué
d’un principe purement lumineux et immobile avec un principe de pure
inconscience et de pur mouvement.
On pourrait dire, il est vrai, que c’est là l’inévitable contradiction
de tout dualisme, et comme l’ « irrationnel » que toute doctrine
s’édifiant selon son inspiration doit nécessairement assumer. Il y aurait ainsi
quelque mauvaise grâce à le reprocher spécialement au sâmKhya. Peut-être
est-ce en raison de la particulière netteté de sa terminologie que la critique
achoppe d’emblée à la difficulté majeure du point de vue, et dans cette
hypothèse, il faudrait au contraire lui reconnaître le mérite d’une exacte
conscience de ses présupposés. Pour nous en tenir à un exemple, Descartes ne
parle-t-il pas également de l’union d’un principe spirituel purement
pensant avec un principe matériel relevant de la seule extension géométrique et
du mouvement mécanique ?
Cela est exact. Mais ce que Descartes n’énonce pas, c’est que l’union de
l’âme et du corps s’opère afin que l’âme apprenne à se distinguer du corps par
prise de conscience de l’incompatibilité de leurs carences respectives. Il
n’énonce pas que l’intervention du principe corporel est nécessaire pour que le
principe spirituel se connaisse, et connaisse le corps comme distinct de lui.
On sait que ceci représenterait au contraire l’absolue négation des thèses
cartésiennes. L’insupportable contradiction - véritablement ex terminis –
du dualisme sâmKhya n’est donc pas d’opposer un principe intellectuel à
un principe matériel, mais de prétendre en même temps exposer la genèse du
premier à partir du second, alors même qu’il en maintient la rigoureuse
indépendance. Ce n’est pas la thèse qui pèche, en soi, mais sa démonstration.
Tout se passe comme si notre doctrine ne parvenait pas à la maintenir jusqu’au
bout, ou, pire, comme si tout en pensant la défendre, tout en croyant établir
que l’esprit est distinct de la nature, il décrivait en même temps quelque
chose comme une histoire naturelle de l’esprit qui en constitue l’exacte
contradiction.
L’exemple de Descartes nous montre que c’est le contraire qui de toute
évidence est le vrai, que pour fonder la dualité de l’esprit et de la nature,
de l’âme et du corps, ce n’est pas une histoire naturelle de l’esprit, mais
quelque chose comme une histoire spirituelle de la nature qu’il faut
écrire. Si l’âme est distincte du corps, et pure chose pensante, c’est que
d’abord elle se connaît elle-même, indépendamment du corps ; c’est que,
dans la sensation, c’est la pure détermination intellectuelle qu’elle vise, non
la qualité évanescente, et cela par « inspection de l’esprit »,
indépendamment donc des sens, etc. Bref, tout ce que l’on pourrait penser en
termes de devenir naturel, Descartes apprend à le résoudre en termes
d’intellection et de présence spirituelles. Il y a ici deux langages entre
lesquels Descartes nous demande de choisir, étant bien entendu qu’il n’y en a
qu’un qui établisse la thèse qu’il veut démontrer. On ne peut pas parler le
langage des sens et de l’imagination et prétendre établir la distinction même
qu’il a pour essence d’abolir. Ou pire encore, dans le comble de la
« précipitation », brouiller inconsciemment les deux langages et les
étayer réciproquement, parler d’un seul tenant celui de la
« distinction » lorsque l’ « ordre des raisons » presse
de l’adopter, et celui de l’ « union » lorsque
l’ « expérience de la vie » commande aussi inéluctablement
l’optique contraire.
On sait en effet que Descartes recommande explicitement de distinguer ces deux perspectives, « ne me
semblant pas, concède-t-il, que l’esprit humain soit capable de concevoir bien
distinctement et en même temps, la distinction entre l’âme et le corps, et leur
union ; à cause qu’il faut, pour cela, les concevoir comme une seule
chose, et ensemble les concevoir comme deux, ce qui se contrarie » 2. Mais
où réside, en définitive, selon Descartes, la difficulté ?
C’est que, pour concevoir l’union d’un principe spirituel et d’un
principe matériel, après avoir pénétré par ailleurs toutes les raisons qui
commandent leur distinction, nous ne pouvons faire à moins que d’intervertir
leurs attributions, prêtant ainsi à l’âme, pour pouvoir « imaginer »
son action sur les corps dans la volonté et l’action du corps sur elle dans la
passion, les caractéristiques de l’étendue et du mouvement matériel 3. C’est ce
que nous ressentons comme contradictoire, après tout ce que nous avons appris
sur elle. Bref, nous nous verrions contraints de nier toute notre philosophie,
et de l’âme (seule), et du corps (seul) pour pouvoir nous représenter en fin de
compte la philosophie totale du « composé humain ». En fait, il n’en
est rien. Il suffit de renoncer à l’ « imagination des choses
matérielles » dans un domaine qui n’est que le sien, et qui contredit
évidemment les certitudes obtenues dans le domaine de l’entendement. Il y a un troisième
domaine, une troisième source transcendentale de « notions
primitives » : après la pensée, après l’extension géométrique,
l’union de l’âme et du corps, génératrice des sensations et des passions
4 ; « je considère, écrit Descartes avec beaucoup de force, que
toute la science des hommes ne consiste qu’à bien distinguer ces notions, et à
n’attribuer aucune d’elles qu’aux choses auxquelles elles appartiennent »
5. Dès lors, ce que Kant appellera plus tard la question critique est posée
6 et dévoilée en même temps l’origine
d’une véritable « illusion transcendantale ». Le rapport de l’âme et
du corps doit être pensé exclusivement selon l’a priori qui lui
correspond et qui ne saurait contredire une connaissance obtenue légitimement
selon un a priori distinct. Ce n’est que sa traduction éventuelle dans
le cadre d’un autre a priori qui est source de contradiction. Comme nous
avons défini, à juste titre, l’âme par la seule pensée, et le corps par la seule
extension, nous nous voyons par la suite contraints, afin de déterminer leurs
rapports réciproques, de prêter à l’âme les attributs de l’extension corporelle
et nous achoppons à cette contradiction. La vérité est que nous la créons par
cette opération même et qu’il convient de rapporter l’union de l’âme et du
corps à un a priori distinct. Selon la perspective dans laquelle nous
nous placerons et qui sera soit celle de la pensée, discriminative, soit celle
des sens et de l’imagination dans la « pratique ordinaire de la
vie », âme et corps sont déterminés comme distincts ou comme unis.
Il est évident que le sâmKhya ignore tout de cette dualité
critique. Comme s’il ne soupçonnait pas la contradiction, il entreprend
d’expliquer par la même « chaîne des raisons » la distinction et
l’union des deux et très exactement d’établir la première thèse à partir de la
seconde. C’est par la coalescence préalable de la nature et de l’esprit que se
développent en ce dernier les aptitudes psychologiques qui lui permettront en
bout de course de se libérer d’elle. L’esprit ne se saisit pas originellement
comme principe, il n’y a rien dans la doctrine qui constitue l’équivalent d’un cogito,
et on pourrait, en un sens, la caractériser tout entière comme une tentative de
lui chercher un substitut sur le plan de la causalité naturelle du devenir
historique des choses.
En effet, le salut de l’esprit est de se connaître en tant que tel,
c’est-à-dire distinct de la nature, d’accéder au stade de la connaissance pure,
rigoureusement discriminée (vis’uddha Kevala jnana 7) qui ne circonscrit
plus que son strict contenu (aparis’esa 8). Mais, précisément, il ne
peut connaître, en général, que par la médiation de cette même nature, par
réflexion successive, au stade de la « procession » cosmogonique où
se créent en lui diverses instances psychologiques, du jeu des guna sur
sa pure essence contemplative, et se connaître, parvenu au stade de la
libération spirituelle, que par sommation réflexive encore, recollection
exhaustive des « principes » de la procession (tattvabhvasa
9). Seul ce qui le lie se révèle en fin de compte capable de le libérer, comme
si par là il lui était imprimé un élan tel qu’il dépasserait sa source et se
révèlerait capable d’invertir son propre mouvement. Dans une très belle image
abondamment citée, la Kârikâ 67 décrit le délivré qui reste lié à son
corps alors que son vouloir-vivre n’en anime plus les forces, telle la roue du
potier qui continue pour un temps de tourner alors qu’on a cessé de lui
communiquer du mouvement. Qu’on imagine au contraire un mouvement qui irait
sans cesse croissant, ou mieux, une impulsion qui déclencherait en son objet
une énergie telle que son mouvement, passé un seuil donné, deviendrait capable
de s’engendrer lui-même, d’effet passer au stade de cause, et on aura l’image
de l’action de prakrti sur purusa à son point d’achèvement. Elle
agit comme un déclencheur, une amorce ou un ferment catalytique ; elle
porte en quelque sorte l’esprit jusqu’au stade de l’autonomie, où la causalité
se renverse, où celui-ci se détache de son support ; son rôle achevé 10,
il ne lui reste plus qu’à se résorber dans son indistinction première 11. Purusa
iti puri liùge s’ete : « le
purusa, c’est-à-dire ce qui repose sur le siège du corps
subtil », écrit Vâcaspati dans une tentative curieuse de justification
étymologique 12.
Corrigeons d’ailleurs immédiatement l’image dont nous venons de nous
servir, car en toute rigueur il ne saurait s’agir de la communication
quantitative, puis de la prolongation indéfinie d’un même mouvement, mais au
contraire du passage qualitatif, d’une véritable mutation du mouvement au
repos, du multiple à l’un, du devenir à l’éternel. L’émanation procède en effet
dans le temps par étapes successives, de buddhi aux Ghûta, de
l’« éveil » primordial à la confection du corps grossier par les
étages intermédiaires de la personnalité empirique de l’homme et des éléments
subtils constitutifs des corps. Au cours de cette progression, le purusa
éprouve comme si elle lui était consubstantielle
(svabhavena 13) toute la gamme de l’expérience déceptive et douloureuse
des réalités transitoires 14. Il sera libéré lorsqu’il aura percé l’illusion de
cette avidyâ, lorsqu’il aura appris à ne plus se confondre avec ce qui
n’est pas lui. Mais maintenant, pour bien marquer l’esprit de la doctrine, il
nous faut noter le réalisme extrême dont s’entoure ici cette conception si
classique de l’indianité philosophico-mystique. Notre image mécanique de
tout-à-l’heure était sans nul doute forcée. Elle nous aidait toutefois à nous
mettre en garde contre une conception idéaliste de la conversion spirituelle.
L’avidyâ, en effet, dûe à une collusion réelle de l’esprit avec les
forces de la nature, ne peut céder que lorsque, avec la constitution de la
personnalité totale, ces mêmes forces viennent à expiration, lorsque toutes les
conditions réelles sont remplies pour qu’interviennent l’objectivation et le
renversement décisifs. Tel est le substitut, que nous avons évoqué, de
l’expérience du cogito. On ne saurait imaginer une version plus
naturaliste. Toute la démarche est circonscrite dans le terme tattvâChyasa,
recollection intégrale, sommation réflexive de l’expérience des tattva,
c’est-à-dire des moments successifs de la procession 15. Il ne s’agit surtout pas
d’un pouvoir original de la suspendre, la condition c’est au contraire qu’elle
soit d’abord achevée. La seule chose possible est un survol de cette dernière,
suivi d’une récapitulation qui concentre dans l’unité d’un moment ce qui avait
été déroulé successivement dans le temps. D’où ce mouvement de transcendance,
cette mutation par laquelle l’esprit, formé à l’école de la nature, décolle de
la nature, se la donne en spectacle 16, et si nous pouvons nous exprimer ainsi,
apprend à faire la part des choses. S’attribuant faussement les
caractéristiques naturelles, croyant vivre en elles sa propre histoire, d’une
expérience, primitivement, il n’aspirait qu’à une autre expérience. Mais vient
un moment où cet élan s’épuise. Toutes les conditions positives sont alors
réunies pour que l’esprit le réfléchisse et l’intériorise, se concentre, en
récapitule les divers moments pour l’objectiver et s’en affranchir enfin 17.
Il ne fait aucun doute que le sujet vive ce moment comme une expérience
personnelle et s’en attribue l’initiative. Cela ne saurait être exact ou du
moins, la première proposition n’entraîne pas nécessairement la seconde. De
même que le sujet était plongé dans l’illusion par un mouvement d’expansion de
la nature, s’il accède à la vérité, ce ne peut être qu’en vertu d’un mouvement
contraire de celle-ci. Lorsqu’il se détache des sens et de l’expérience
affective, lorsqu’il conçoit dans l’unité d’un moment ce qu’il avait
perçu et éprouvé successivement dans le temps, sa conscience est le simple écho,
la traduction a parte subjecti du processus objectif d’involution par
lequel les tattva régressent jusqu’au « principe » dont ils
étaient issus, principe qui est précisément celui de la pure conscience, de
l’éveil à la réalité, de buddhi. Non plus un sujet agent et sentant, lié
à la nature mais un sujet pur, contemplant celle-ci 18 : cet état de
conscience est littéralement conscience d’un état, terminus a quo à
partir duquel la procession s’engage dans des expériences de plus en plus
individuées et limitatives, terminus ad quem vers lequel elle régresse
après achèvement de ces mêmes expériences – l’état de buddhi, premier
des tattva originels. La Kârikâ 37 énonce clairement ce double
mouvement qui s’opère autour de buddhi. « De même que buddhi
réalise la totalité de l’expérience participative du purusa, elle opère
la distinction subtile du purusa et du pradhana » 19. Buddhi
est la conscience certes intentionnelle, conscience de la nature, ce qui la
distingue de la contemplation vide du purusa, - mais non encore
individualisée et subjective (ahamkara), « sensibilisée » et
psychologique (manas) etc. En tant que conscience, elle est néanmoins
l’ouverture à ces limitations successives, elle représente la fêlure par
laquelle le purusa se transforme en cetanah
purusa 20, en sujet psychologique capable d’actions et d’expérience, et
l’on peut se représenter ces limitations comme oblitération progressive de sa
clarté originelle, jusqu’à l’identification avec le corps et les sens. A ce
dernier stade, le sujet ne saurait posséder une conscience de la nature,
puisqu’il est immergé en elle et ne se distingue plus de ses déterminations.
Que l’on imagine maintenant ce même sujet rompant avec son inscience,
pratiquant la prise de conscience, l’abhyâsa que nous venons de décrire :
ce renversement réflexif est bien, a parte subjecti, la traduction de
l’involution des formes limitatives jusqu’au principe de pure conscience qui
constitue leur fondement dernier, et premier à la fois 21. Le sujet qui
contemple sans participer - exprime et réalise à la fois - la nature à l’état
d’éveil. A ce stade, un pas de plus et l’obscurcissement caractéristique de la
procession s’amorçait, le purusa s’engageait dans la nature, cessait de
la refléter pour participer, jusqu’à l’identification terminale, à son devenir.
Qu’il consente maintenant à la refléter simplement, qu’il consente à en
demeurer le pur spectateur, qu’il refuse la participation et c’est le mouvement
inverse qui s’amorcera – le passage au purusa indifférencié, le passage
de la conscience à la supra-conscience solidaire d’une régression
définitive de la nature à son indistinction première. Telle est, par le moyen
de la connaissance – de la distinction de l’esprit et de la nature – la
délivrance, moksa.
On voit ainsi l’entre-deux dans lequel doit se situer la prise de
conscience libératrice, entre l’infra-conscience de la participation et la
supra-conscience de la délivrance. Avant la procession, avant la réflexion
primitive du purusa sur la nature, qui est buddhi, il est trop
tôt pour parler de conscience de la nature, et pour que l’esprit se pense donc
distinct d’elle ; il l’est certes, mais il l’ignore. Mais, d’autre part,
après la procession, après que la nature a envahi tout entière le principe de
la conscience, il est cette fois trop tard, et le sujet se confond avec
l’objet. La prise de conscience intervient dans l’entre-deux, lorsqu’au cours
de son involution la nature se rétracte jusqu’à ne plus offrir à l’esprit que
la mince pellicule qu’il n’aura qu’à refléter. C’est le point critique où la
conscience est maximum pour la résistance minimum, le pur dédoublement en somme
du sujet et de l’objet. Passé ce seuil, c’est soit le saut vers la
supra-conscience indicible, soit la descente inexorable vers
l’infra-conscience.
Ansi présentée et précisée, la doctrine
achoppe évidemment toujours au cercle vicieux fondamental qu’on se plait tant à
relever, et dont on a vu Descartes se garder si soigneusement : la science
discriminatrice de l’esprit et de la nature suppose le pouvoir de conscience,
de connaissance qui consiste en une réflexion de la nature dans l’esprit ;
la connaissance à laquelle on demande de rompre la participation demeure en son
essence un état participé. Ce que nous apprenons, en somme, c’est qu’au stade de
la connaissance cette participation est minimum, et tout se passe comme si la
doctrine, consciente de la contradiction, s’efforçait de l’atténuer simplement.
L’état de connaissance représente le stade où la conscience reflète la nature
sans s’engager en elle, le stade où le lien qui relie les deux est le plus ténu
possible ; mais elle la reflète obligatoirement et les deux principes
demeurent liés. C’est la nature à son minimum d’évolution, donc réciproquement,
l’esprit a son maximum de clarté, mais on ne saurait, nous venons de le voir,
ni enlever davantage à la première, ni attribuer davantage au second, sans
poser une relation qui ne peut plus s’exprimer en termes de connaissance.
L’autonomie parfaite, l’état Kaivalva de l’esprit, solidaire d’une
régression définitive de la nature à son noyau originel, avvaKtam,
transcende absolument les normes de la connaissance et constitue une expérience
mystique.
Mais il ne semble pas que nous devions arrêter ici nos analyses. Elles
nous conduiraient à une caractérisation trop négative, et sans nul doute, trop
extérieure à la doctrine. Parler de « contradiction atténuée »
reviendrait en somme à postuler que ses promoteurs ont effectivement aperçu
cette contradiction ; que, l’ayant aperçue et ne pouvant, selon leurs
principes, la surmonter, ils se sont donnés pour tâche de l’affaiblir ;
bref, à la limite, qu’ils ont entrepris intentionnellement la construction d’un
système contradictoire 22, en s’efforçant de prévenir, dans la mesure du
possible, les objections qu’on ne manquerait pas de leur faire un jour. Il
suffit de formuler cette hypothèse pour faire éclater son invraisemblance. On
ne peut s’empêcher cependant de penser qu’elle est peu ou prou celle de la
plupart des interprètes du sâmKhya 23. Nous pensons que nous lui avons
suffisamment sacrifié et que nous sommes en droit de risquer l’hypothèse
contraire, celle de la cohérence originelle du système à compter de prémisses
qui restent à trouver. Nous avons assez dit qu’on y cherche en vain ce qui
assurerait que le purusa se saisisse par ses seules ressources comme sujet
conscient et connaissant, et construit notre interprétation en fonction de
cette carence supposée. Il nous faut chercher maintenant si les thèmes que nous
avons exposés ne seraient pas susceptibles d’une lecture plus directe et plus
positive sans un éclairage qui cesserait d’être disons grosso modo
cartésien. Nous cesserions par là même de poser à la doctrine des problèmes qui
ne sont pas les siens, et donc de nous étonner qu’elle n’y apporte pas une
réponse satisfaisante. Nous la jugerions en fonction de ses seuls problèmes et
dans le cadre exclusif de ses présupposés reconnaissant par là même la
relativité de nos propres perspectives qui ne sauraient s’imposer
universellement. Nous soupçonnons ici que « l’obstacle
épistémologique » fondamental que l’on rencontre dans l’interprétation de
certaines philosophies indiennes est, assez imprévisiblement, leur ressemblance
extérieure avec nos modes de pensée. Ce n’est pas dans ce qu’elles ont de
dissemblable et peut-être d’irréductible à nos préoccupations et convictions
qu’elles présentent la plus grande difficulté, car nous sommes prêts alors à
consentir l’effort de compréhension nécessaire ; c’est dans ce qu’elles
leur offrent apparemment, d’analogue. Avec le sâmKhya donc nous croyons
saisir d’emblée le langage dualiste, nous butons sur une difficulté de ce genre
24. Nous allons pour terminer nous efforcer de démêler l’origine de notre
méprise et tracer les grandes lignes d’une interprétation plus positive.
On peut dire que lorsqu’un Occidental se persuade de la distinction de
l’esprit et de la nature, il se réfère toujours à une pensée progressant du
sensible à l’intelligible, aussi bien qu’à une volonté s’affranchissant des
passions. Certes, c’est très peu dire, et aucune doctrine historique ne saurait
se ranger dans un cadre aussi général sans y perdre sa substance. Nous nous en
contenterons néanmoins pour distinguer le « dualisme permanent », ou
le « platonisme » que Mme Simone Pétrement retrouve à juste titre
dans toute la tradition d’Occident. Le thème est évidemment antérieur au
clivage idéalisme-réalisme ; il est indifférent que le progrès s’effectue
par abstraction d’essences de plus en plus intelligibles jusqu’à l’existence
ontologiquement la plus riche, jusqu’à un maximum de compréhension de l’Etre,
ou par systématisation des jugements, exclusive d’une affirmation de l’en soi.
A ce stade, on ne se demandera pas davantage si l’idéal est redécouverte d’un
ordre de perfection éternel ou inscription dans les choses de certaines fins
originales. L’essentiel est qu’il y a progrès, de l’intelligence et de
la volonté, s’exerçant à partir d’une nature qui représente l’ordre à surmonter
ou à abolir. Ce progrès porte alors la marque dans le premier cas d’une raison,
dans le le deuxième cas d’une liberté, et on voit que, dans les deux
perspectives, la prééminence de l’esprit est assurée de ce seul fait que le
sujet détermine l’objet. Son état de fait est l’asservissement : la
confusion de l’expérience sensible, l’esclavage de la vie passionnelle. Mais
qu’il prenne conscience de lui-même, qu’il apprenne à redresser des
« opinions fausses » et il accédera à l’intelligence de la nature et
à la responsabilité de son action. Définissons ces types de pensée comme
constituant fondamentalement des gnoséologies et des éthiques.
La pensée indienne n’est pas moins persuadée de l’excellence de
l’esprit, mais son thème le plus profond lui interdit de la concevoir en termes
de progrès intellectuel et moral. Elle ne s’est historiquement référée ni à une
réalité dont la mathématique exprimerait les normes, ni à un Etat auquel le
citoyen serait tenu d’apporter son libre concours, ni à une religion
poursuivant des valeurs d’action et d’espérance. Son point de référence
exclusif 25 est l’état de béatitude mystique, et on sait que lorsqu’elle n’est
pas parvenue à concevoir celle-ci, bien qu’en termes si différents des nôtres,
comme réalisation spirituelle, comme la plus haute affirmation du soi, elle a
préféré, avec le bouddhisme, nier le principe spirituel lui-même 26. La pensée
qui se développe, la volonté qui ordonne l’action selon ses fins ne
témoigneraient, à ses yeux, que de la dispersion et de la dégradation
irrémissibles de l’esprit ; l’altérité qu’implique l’exercice de la
première, l’hétéronomie provisoire que doit surmonter la seconde ne sauraient
entretenir le moindre rapport avec son essence immobile. Il est même exclu
qu’il se connaisse lui-même, du moins sous forme de dédoublement réflexif
explicite, et nous voyons l’upanisad mettre sur le plan antahprajûa,
la connaissance intérieure, et bahisprajûa, la connaissance extérieure
27. En effet, « si c’est vers l’extérieur que le brahman creusa des cavités » 28, lorsque le sujet introvertit
son pouvoir de connaissance, il ne peut que transporter en lui l’extériorité
caractéristique de l’objet. Dans tous les cas donc la connaissance ne se
développe que dans un sens, celui de l’oubli progressif du Soi, et il en est de
même pour l’action. Toute activité est déficience, inscience et asservissement.
La tâche propre de l’esprit ne saurait dès lors consister à développer ses
virtualités, mais au contraire à les réprimer jusqu’à résorption dans leur
germe : bîjâvasthâ 29. Il n’est ni science ni spiritualité qui
l’autorise à se définir selon les normes d’un ordre objectif et qui permettrait
donc de le saisir réflexivement à partir de ces normes. Du sage il faut que
l’on puisse dire que son esprit est dépossédé (nigrhin) et replié sur
son exclusive certitude (nirviKalpa) 30. Tel est, en regard du thème
occidental, le thème indien fondamental, et comme celui-ci nous nous
dispenserons de le définir plus avant. Disons qu’il connote, en un sens assez
particulier, des ontologies et des mystiques.
Mais s’il en est ainsi, comment attester par le biais de la spéculation
la prééminence de l’esprit ? Elle s’éprouve dans une expérience sui
generis ; elle est, de plus, révélée ; reste à la justifier au
regard de la raison. Ce problème, on le voit immédiatement, va se poser de
façon toute différente que dans notre tradition puisqu’il est interdit de
saisir l’esprit à l’œuvre, dans l’élaboration d’un ordre quelconque des
valeurs. Il faut commencer par dissocier le syncrétisme pan-indien du
« sage-philosophe », de l’ascète-penseur. Le premier devoir de
l’analyse est de démêler les deux perspectives qui, loin de s’impliquer, se
contredisent mutuellement, et il s’est trouvé de longue date dans l’Inde une
spéculation assez indépendante et assez vigoureuse pour poser ce problème. Ce
que le mystique, le délivré éprouve comme une expérience positive la pensée n’a
d’autre ressource que de le circonscrire en termes négatifs – de le connoter
par expression indirecte (laksana), son caractère distinctif (vis’esana)
échappant en tant que tel à l’entendement 31. Nous entendons bien la leçon
célèbre de l’inpanisad lorsqu’elle nous déclare : « C’est le soi,
en vérité, qu’il faut regarder, qu’il faut écouter, qu’il faut penser, qu’il
faut méditer » 32 mais comment ? « En vérité » le Soi est
invisible, inaudible, impensable, inaccessible, et ces qualifications négatives
sont celles-là même que nous rencontrons, à un autre moment de la révélation,
dans l’upanisad : adrstam, avyavakâryam, agrâhyam,
alaKsanam, acintyam, avyapades’yam 33.C’est d’un tel
objet qu’elle persiste à dire que nous devons le penser (manvante),
qu’il doit constituer un « objet de connaissance » (Sa vijûeyah)
34. Elle n’en indique pas le moyen.
Il incombera à la recherche indépendante, à la réflexion philosophique
de le trouver. Mais en toute rigueur, on voit qu’elle est placée, selon les
termes mêmes de l’upanisad, devant une radicale impossibilité. Comment
connaître l’inconnaissable, penser l’impensable, etc. ? Cet
inconnaissable, dit-on, n’est pas un objet qui se trouverait trop éloigné
de l’entendement pour que celui-ci puisse l’atteindre, mais, est nous-même, le sujet
de la connaissance, l’entendement lui-même – le « connaisseur ».
Fort bien, mais nous venons de voir qu’il est interdit de le connaître en tant
que « connaisseur », que c’est avant qu’il ne se déploie dans l’acte
d’intellection que nous devons le saisir, en son centre pur, irréféré, réprimé,
involuté.
En cet état, certes, il est coupé de la nature, qu’il transcende
absolument. Mais, pour cette raison même, comment la réflexion va-t-elle le
saisir si ce n’est en prenant appui sur cette nature, qu’elle va se trouver
dans la regrettable nécessité d’admettre d’abord ? Tout ce qu’on pourra
dire de lui, c’est qu’il n’est pas la nature : donc celle-ci, en quelque
façon, est. On voit ici l’amorce de ce que sera le dualisme du sâmKhya,
comme on peut deviner la réaction de l’advaita, qui niera que l’on
procède ainsi à partir d’un terme réel. La thèse, héritée de la mystique, de la
transcendance de l’esprit à l’égard de la nature impose comme condition à la
réflexion philosophique la considération préalable de l’existence de la nature,
qui représente en soi la thèse contraire. Pour la pensée occidentale, un esprit
agissant inscrit dans la nature un ordre spirituel ; elle l’attestera donc
amplement et positivement par réflexion à partir de cet ordre. Pour la pensée
indienne, un esprit immobile se coupe des choses ; à moins de n’en rien
dire, elle devra donc s’appuyer sur elles pour inférer négativement son
existence. Ce faisant, elle nie les choses de lui, elle dégage sa pure essence.
Mais qui ne voit que, porté à l’absolu, ce mouvement de négation aboutit à une
conception elle-même négative de l’esprit, que l’affirmation de l’esprit reste
comme suspendue tout entière à l’acte, qui le nie à partir de la nature ?
On reconnaît ici la voie du bouddhisme, posant un absolu mystique non seulement
supra-conscient mais trans-spirituel. Il peut être considéré comme représentant
l’antithèse la plus extrême de la pensée occidentale. Alors que celle-ci
s’engage dans une analyse en droit infinie des valeurs qui implique l’exercice
de l’activité spirituelle, celui-là s’épuise dans une démonstration du
« vide » de cette activité, et au-delà de toute activité et de l’être
lui-même, y compris de l’être de l’esprit. La confrontation entre les deux
pensées, l’indienne et l’occidentale, pourrait ainsi se résumer très
simplement. On pourrait dire que partant d’une immanence de l’esprit à la
nature, la pensée occidentale est amenée à découvrir progressivement les
valeurs de transcendance qu’implique cette action, de telle sorte que la
transcendance de l’agent est d’autant mieux assurée que son action s’exerce
plus longtemps et plus intensément. Partant de la certitude inverse d’une
transcendance absolue de l’esprit à l’égard de la nature, la pensée indienne se
verrait au contraire tenue d’en apporter la preuve sur le terrain de
l’immanence, de référer sans cesse l’esprit à la réalité qu’il exclut ;
d’où une conception purement négative de l’esprit dont tout le contenu
déterminable apparaît comme étant d’ordre « naturel »
empirique ; d’où à la limite l’élimination pure et simple de ce dernier,
envahi tout entier par la négation qui est censée le soutenir.
Le but de la spéculation brahmanique conformément à l’enseignement des upanisad,
est d’éviter cet extrême et de découvrir ce que nous pourrions appeler un
« bon usage de la méthode d’immanence ». L’esprit ne pourrait être
défini que par référence négative à une altérité, par exclusion et élimination.
S’esavat, selon le terme du Nyâya 35 - le problème est bien entendu de ne pas l’exclure lui-même, de
ne pas porter le mouvement à l’absolu et conclure à son impermanence et
insubstantiabilité, mais encore, chemin faisant, de définir positivement son essence,
tout en dégageant sa transcendance, l’appréhender par là-même directement.
Rappelons brièvement la solution de l’advaita, car elle est la
plus parfaite et donc la plus claire. Ici, le « moment négatif » par
lequel l’esprit est posé en dehors de la nature ne peut en aucun cas aboutir à
l’élimination de l’esprit, à l’atténuation jusqu’à extinction de son essence,
puisque la nature est mâyâ – illusion et négativité. Ce mouvement
traduit donc en réalité le mouvement inverse par lequel l’âtman approfondit
son essence, rompt les limitations qui l’emprisonnaient dans le monde des noms
et formes, y compris celle du jîvâtman. A la limite, ce mouvement le
portera jusqu’à brahman, jusqu’à son identification avec l’absolu. A ce
stade, cependant, il n’y a que la transcendance l’esprit qui soit
assurée ; il est égalé à l’absolu, c’est-à-dire à la transcendance pure
qui n’est plus connotable positivement, et en regard de la pâravidvâ qui
l’appréhende dans la vérité de cette perfection, il n’y a jamais eu ni chute en
mâyâ ni arrachement à elle. Toute l’histoire du sujet engagé, que ce
soit sous sa face négative ou sous sa face positive, est saisissable sur le
seul registre de l’illusion 36. La conséquence en est qu’elle ne peut rien
nous apprendre quant à la nature de ce sujet. Or c’est ce que S’ariKara
rejette rigoureusement. En effet, « la notion d’âtman transportée
dans l’absolu dit encore parfaite immanence au créé, immanence substantielle,
en même temps que transcendance à toutes ses imperfections »…37 .
Transcendant à mâyâ, l’âtman ne laisse pas d’exprimer de façon
« suressentielle » 38 la part de vérité qu’elle renferme en
tant que participation lointaine mais effective de l’absolu. Il a donc un
contenu propre, celui même de mâyâ dans la vérité de brahman qui
les englobe tous deux. Derechef, ce dernier peut être qualifié positivement, en
plus de l’attribut de l’être, de ceux de l’esprit et de la béatitude 39. La
pensée indienne découvre ici dans les limites propres de son génie la réponse
parfaite au problème fondamental dont son inspiration mystique lui avait imposé
les termes. D’une part, la via negationis exorcise les démons qu’elle
portait en elle. C’est dans une plénitude d’être – et de pensée, de béatitude –
qu’elle débouche, non dans une s’ûnvatâ. D’autre part, cet être est
laissé dans l’indétermination que requiert sa transcendance,
« indétermination absolue et par excès (qui) est la complétude même de
l’être et de l’intelligibilité » 40. Les deux mouvements, qui se recoupent
exactement pour culminer dans cette difficile notion, définissent
l’illusionisme, mâvâvâda, de S’ariKara – solution spécifique, on le
voit, d’un problème spécifique, que nous ne saurions expliquer plus avant,
c’est-à-dire réduire à une conceptualisation plus large et plus compréhensive.
Il ne s’agit, par exemple, ni d’une ontologie, ni d’une hénologie au sens
occidental. « Dans une doctrine de l’Etre, écrit E. Gilson, l’inférieur
n’est qu’en vertu de l’être du supérieur. Dans une doctrine de l’être, c’est au
contraire un principe général que l’inférieur n’est qu’en vertu de ce que le
supérieur n’est pas » 41. il est clair que nous ne parviendrons à
classer mâyâ ni dans l’une, ni dans l’autre. En un sens, elle est
en vertu de l’être de brahman, ce qu’elle inclut d’Etre renvoie à une
participation réelle de l’absolu ; néanmoins, n’oublions pas qu’elle n’est
pas, qu’elle constitue l’Illusion par excellence, c’est-à-dire rien moins qu’un
« degré d’être » positif au niveau duquel l’absolu pourrait se lire
analogiquement. Va-t-on dire alors, selon l’hénologie, que son contenu d’être
s’entend par exclusion de l’absolu, que si elle est c’est uniquement dans la
mesure où celui-ci n’est pas ? Cela serait aussi faux puisque « mâyâ
n’a de sens, à titre d’illusion, qu’en
fonction de l’être ; si le monde est simple apparence, il est apparence de
l’être » 42. Des deux côtés donc, le concept déborde l’alternative et
déboute toute tentative de définition selon une logique du tiers exclu – ni
pure illusion de réalité, car il faudrait ajouter que cette illusion est
réelle, ni réalité d’une illusion, car une telle réalité ne laisserait pas
d’être illusoire. Anirvacanîva, indéfinissable, concède S’anKara, mais
cette incapacité conceptuelle doit s’entendre, elle également, « par
excès », non comme échec mais comme élévation suprême de la réflexion. Par
là mâyâvâda remplit son rôle qui est d’appréhender l’esprit dans sa
transcendance, à partir d’une réalité qu’elle doit simultanément affirmer et
nier (apavâda) comme constituant la puissance ambiguë de le manifester
en le voilant, de le voiler en le manifestant. Tel est le « bon
usage », que nous évoquions, de la méthode d’immanence – voire,
semble-t-il, le seul possible.
Il nous faut voir que le sâmKhya en représente un autre, moins
élaboré, mais répondant aux mêmes préoccupations – que la solution élaborée
dans le cadre du vivartavâda a d’abord été tentée dans celui du parinâma.
Comme mâyâ en effet, praKrti représente fondamentalement cette
puissance ambiguë d’enveloppement et de manifestation à partir de laquelle il
deviendra possible d’appréhender l’esprit dans sa transcendance inentamée.
Qu’il y ait contact de deux principes ontologiquement distincts ne constitue
pas un postulat plus audacieux que de concevoir une capacité émanant de
l’absolu d’offrir une image illusoire de lui-même. D’autre part, que le
deuxième principe soit réel, doive recevoir un statut ontologique
distinct de celui de l’esprit, ne saurait l’empêcher de remplir à son égard la
même fonction ; le problème est alors de déterminer ce qui dans l’évolution
de ce principe est apte, soit à le révéler, soit à le dissimuler.
En fait, nous devinons que l’alternative n’est pas, ne peut pas être
effective, que révéler pleinement l’esprit comme l’abolir décisivement excède
le pouvoir de praKrti. Comme mâyâ, quoique réelle, sa fonction ne
peut être que symbolique ; réelle dans son essence, elle ne saurait être
autre que figurative dans ses manifestations. On pourrait dire qu’il n’est au
pouvoir d’aucun des trois guna d’effacer entièrement l’influence des
autres, le repos de l’un devant entraîner nécessairement celui des deux
autres ; donc, l’involution de la nature à son immobilité originelle. Dans
toute manifestation « sattvique » de praKrti, de par le
facteur inaliénable d’obscurcissement qu’elle implique, nous ne lirons donc
jamais qu’imparfaitement la présence de purusa ; mais inversement,
au sein de l’occultation la plus « tamasique » une dernière
possibilité restera toujours offerte de la faire. C’est un mouvement
indissoluble d’expansion et de « restriction » 43, de fondation et de
limitation, que la nature « manifeste », « mime » 44
l’esprit.
Il semble toutefois que praKrti joue un rôle supplémentaire. Si
sa seule fonction consistait à manifester l’esprit selon la relativité qui lui
est propre, elle ne saurait être caractérisée « pour » ou
« contre » ce dernier 45. Or, nous savons que son but (artha)
est en plus de le servir, de le manifester, dans le sens beaucoup plus positif
où elle l’amène à prendre conscience de lui-même. Par là aussi nous le savons,
il devient capable de rompre avec elle, d’obtenir la délivrance, d’où le cercle
vicieux qui nous a paru peser sur la genèse de cet état, les mêmes forces
naturelles étant tour à tour invoquées pour rendre compte de l’asservissement
et de la libération.
Mais nous possédons maintenant les éléments principaux d’une réponse
susceptible de rendre justice à la doctrine. En droit, c’est-à-dire selon la
perspective de la pâravidyâ, ce passage de la nature à l’esprit
n’existe pas : « En vérité (addha) nul (esprit) ne transmigre,
n’est asservi ou délivré ; c’est la nature aux cent actes divers (nânâs’rayâ
praKrti) qui transmigre, qui est asservie, qui est délivrée » 46. La
conception à laquelle nous devons renoncer ici est celle d’accident, pour
laquelle un esprit d’abord inféodé aux choses (sensation, passion) prend sur
lui la tâche de leur substituer un ordre spirituel et atteste par là même son
pouvoir autonome d’intellection et de choix (cogito). C’est dans cette
perspective seulement qu’il y aurait contradiction à considérer la prise de
conscience comme une œuvre de la nature, comme un simple moment de l’évolution
des choses. Mais dans la perspective du SâmKhya – comme dans celle du vedânta,
et nous voyons qu’il faut opposer en bloc les deux doctrines, abstraction faite
de leurs divergences au point de vue occidental – un esprit immobile fait face
à un devenir « naturel » 47 dont tout ce que nous pouvons dire est
qu’il est apte à le symboliser, à le « manifester » selon
l’ambiguïté et la relativité qui sont siennes. Dès lors, asservissement et
délivrance doivent s’entendre dans un sens disons exclusivement phénoménal,
ou, plus exactement, il n’est pas étonnant qu’à une conception phénoménale
de l’asservissement corresponde une conception également phénoménale de la
délivrance, qui, lus sur le registre de praKrti, et sur ce registre
seulement, l’un et l’autre soient traduisibles en termes de praKrti,
puissent être considérés comme des œuvres de praKrti. Tel est sans doute
le point de vue propre, le dars’ana du SâmKhya. Ce qui dans tous
les cas est exclu est que l’esprit, dans sa transcendance en acte, s’arrache à
la nature – elle ne constitue pas une altérité vraie, mais un terrain, un
révélateur, un catalyseur 48 – et entreprenne la tâche du Cogito ;
il n’administrerait jamais ainsi que la preuve de sa déficience et de son
imperfection. Si donc, sur le plan empirique, ou phénoménal – dans l’ordre du Vyavahâra
– nous sommes amenés à concevoir la possibilité de sa délivrance, il faut
que ce soit une œuvre propre de la nature, une tâche qu’elle entreprend, une
activité émanant de son pouvoir. De même que nous l’avons invoquée pour
rendre compte de l’asservissement, elle seule, et pour les mêmes raisons, est
ce qui peut expliquer la délivrance, étant exclu que l’esprit puisse se
libérer, non plus que s’asservir. C’est dans son évolution, selon sa
capacité positive de refléter l’esprit, ou négative de l’oblitérer – selon le gupa
prédominant – que nous pouvons seulement nous représenter l’un et l’autre. Il
n’y a pas contradiction, car nous ne passons pas à proprement parler du plan de
praKrti au plan de purusa,
comme l’affirme si catégoriquement la Kârikâ que nous venons de citer.
Ce qui reste acquis est que dans tous les cas le langage de praKrti n’est
jamais fondamentalement impuissant à exprimer le purusa – son caractère purusârtha.
Pourtant cette thèse n’est-elle pas en contradiction avec le but
explicite du dars’ana ? Celui-ci n’est-il pas exclusivement de
prouver la distinction (viveKa) de l’esprit et de la nature 49 – non pas
donc de lire, selon son langage, selon sa capacité « sattvique »
d’expression, purusa dans praKrti, mais de montrer leur effective
dissociation, ce qui implique que purusa
est suffisamment connu dès qu’il est opposé à praKrti ?
Il est à remarquer en effet que dans les KâriKâ nulle part le purusa
n’est défini positivement, mais toujours saisi a contrario à partir de praKrti,
par « négation invertissante », viparyayâd. Aux KâriKâ 17, 18
et 19 l’accent n’est pas encore mis sur la capacité d’un gupa déterminé – sattva
– de refléter le purusa, mais au contraire sur la nécessité pour établir
l’existence de ce dernier de nier au même titre les trois guna, de
procéder trigunâdiviparyayâd 50, « par négation des trois guna
et de ce qui procède d’eux ». La nature ne constitue évidemment ici qu’un
pôle négatif. Même argument à la KâriKâ 18 pour prouver cette fois la
pluralité des purusa, purusabahutva 51. Reprenons chacun des
concepts par lesquels la KâriKâ 17 prouve le purusa, ainsi que
ceux par lesquels la KâriKâ 19 le définit, et nous constaterons qu’ils
procèdent tous de la même méthode. « Le purusa existe » samghataparârthatvât,
« du fait de l’abaliété des composés » - trigunâdiviparyavâd –
adhisthânât, « de l’existence d’un point fixe » - GhoKtrbhâvât,
« d’un sujet qui expérimente » - Kaivalyârtham pravrtteh,
« d’une action en vue de l’isolement » 52. Si la nature reste ici le
signe de l’esprit, il faut dire que ce signe est purement négatif :
tension indéterminée vers son essence, lien immobile autour duquel elle est
censée s’ordonner, convergence de ses concaténations. Réciproquement, il n’est
pas étonnant que l’être spirituel saisi par des procédés aussi extrinsèques et
déficients semble participer en son essence de la même négativité. Toujours viparyâsât,
on lui reconnaît, au neutre, les qualités de « témoin immobile », sâKsitvam,
de « sujet isolé », Kaivalvam, d’ « être du
milieu (inaltéré) », mâdhyasthyam, « contemplanté »,
drastrtvam ; il est enfin « inagissant », aKartr
53.
Nous avons appris du vedânta combien de telles qualifications
peuvent être positives et révéler de richesse dans leur indétermination
« par excès ». Mais on voit qu’il en est ici différemment, que la
nature de la méthode engagée exclut que nous puissions les considérer autrement
que comme des déficiences, des indéterminations « par défaut ». En
fait, nous retrouvons cette méthode négative d’exclusion – ce terme est celui
qui traduirait peut-être le mieux le concept de viparyaya – contre
laquelle nous savons que s’est élaboré le mâyâvâda et jusqu’au sâmKhya
lui-même pour autant qu’il a conçu une nature purusârtha, apte à fournir
un équivalent symbolique du destin de l’esprit. Nous sommes ainsi amenés à
penser que pour une part le sâmKhya constitue également un
viparyayavâda dont les intentions contredisent directement tout ce que nous
avons appris à son sujet. De deux choses l’une, en effet, la nature est ou ce
qui exprime l’esprit, selon ses degrés divers de relativité, ou ce qui
l’exclut – absolument parlant et à quelque degré que ce soit de son
développement. Mais si l’on opte, comme la doctrine y incline ici, pour la
deuxième alternative, son devenir ne pourra jamais être envisagé comme tendant
au « service de l’esprit », comme le révélateur de sa transcendance,
et elle ne représentera plus à son égard que le terme négatif de référence, le
pôle de l’altérité pure. Qu’on maintienne au contraire sa capacité relative de
manifester l’esprit, de le refléter ou de l’obscurcir (le refléter toujours
selon l’imperfection de sa résonance sattvique, l’obscurcir selon l’effectivité
jamais totale de tamas), et c’est la transcendance de ce dernier qui ne
pourra plus être conçue en termes d’exclusion, l’esprit ne sera pas connu de ce
seul fait qu’il aura été distingué de la nature.
Il semble en fin de compte que les promoteurs de la doctrine n’aient pas
aperçu le dilemme, qu’ils aient voulu en même temps établir la transcendance de
l’esprit sur la négation des choses et interpréter l’évolution des choses comme
une marche vers l’esprit. C’est cette contradiction que la lumière – sans nul
doute trop crue – du cartésianisme nous avait d’abord révélée en elle. En fait,
elle ne nous avait permis que de la pressentir. Ce que nous n’étions pas en
effet parvenus à nous expliquer, c’était l’exacte nature de l’abhyâsa,
comme ce qui, vu la transcendance absolue de l’esprit, ne pouvait être
considéré que comme un moment de l’évolution naturelle – la conscience,
l’éveil, buddhi – pouvait être ce qui réalise (saddhayati)
la séparation de cette même nature et de l’esprit. D’où notre verdict de
naturalisme. Mais par la suite nous avons été amenés à répudier notre
cartésianisme ; un examen de la conception indienne de la transcendance
spirituelle, qui nous a transportés aux antipodes de Descartes, nous a permis
de résoudre cette contradiction et de rendre justice à la doctrine, de
concevoir comment purusa pouvait être légitimement lu en termes de praKrti.
Il reste que le sâmKhya présente la difficulté supplémentaire – qui ne
résulte plus de la perturbation qu’opérerait en lui une technique d’observation
étrangère, et en l’occurrence occidentale – d’engager une méthode, de proposer
une terminologie qui demeurent fondamentalement incompatibles avec son
intention.
Dans le langage strict du viparyayavâda, ne faudrait-il pas se
borner à dire en effet que l’esprit et la nature d’abord distincte en viennent
à se confondre au cours d’une certaine évolution de la nature, pour à nouveau,
au terme de celle-ci, se séparer ? Telle n’est pas la signification de ce
langage. Il reste qu’il a été employé, fixé, écrit, enseigné, commenté,
utilisé, et qu’il explique la « mauvaise presse » du dars’ana.
On apercevra aisément sa raison d’être dans le réalisme dont s’entoure
la conception de praKrti ; celle-ci étant conçue comme
« réelle », il fallait, pour préserver la transcendance de purusa,
considérer que celui-ci en soit exclu. Mais d’autre part, selon sa
transcendance même, il ne pouvait être considéré comme s’en excluant, comme
succombant à elle, puis s’en affranchissant. D’où la téléologie spécifique de praKrti
entreprenant cette tâche à son intention. Mais, en réalité, comme nous l’avons
vu, la doctrine adoptait alors un dars’ana tout différent ; renonçant
à son apophatisme brut, elle était amenée à lire dans praKrti –
fatalement déréalisée, au moins dans ses pouvoirs de manifestation symbolique –
la présence immanente de purusa.
Nous venons dire méthode qui faillit à son inspiration. C’est selon la
logique de notre compréhension. Selon ce qui a dû être l’ordre réel de
l’histoire, il faudrait peut-être dire inspiration qui s’est fixée dans une
méthode qui devait la conduire à se dépasser. C’est en voulant prouver son
apophatisme que le sâmKhya en est venu à adopter une méthode qui en
impliquait et la négation et le dépassement.
(*) Essai inédit composé en 1963 par R.
Gélibert (1925-2010). Nous remercions Madame Françoise Bertin Gélibert de nous
en avoir autorisé la publication.
Agrégé de philosophie en 1953 et
ultérieurement diplômé en études indianistes et sanskrites à la Sorbonne sous
la direction d’Olivier Lacombe, Raymond Gélibert, qui professa à l’université
de Bordeaux à partir de 1970 (et enseigna autant l’histoire de la métaphysique que
la philosophie religieuse indienne), après avoir occupé la chaire de khâgne du
lycée Claude Bernard (Paris VIIe), devait s’engager dans plusieurs missions
scientifiques rattachées au CNRS en Inde au cours de longs séjours dont le
premier dura plusieurs années à partir de 1955 ; il s’initia alors au sein
des universités hindoue et sanskrite de Bénarès auprès notamment du célèbre
D.C. Guha et de divers pandits ; il devait conjointement exercer des
fonctions administratives (de directeur des études de langue et civilisation
françaises auprès de l’Institut français de Pondichéry et de Proviseur du lycée
français de Pondichéry) et assumer des charges diplomatiques liées à
l’accession à l’indépendance des territoires de l’Inde du sud. Son importante thèse
intitulée Philosophie de la croyance. Intellectualisme, mysticisme,
scepticisme, sous la direction d’Henri Duméry (Paris Nanterre, 1978) est en
préparation de publication dans la collection « Essais » de la B.P.C. ; ce volume de 600 p.
devrait paraître en 2012 accompagné d’un autre texte substantiel sur la pensée
cartésienne. N. Ed.
(*) Art. sous presse in Filosofia
Oggi, Genova (I), L’Arcipelago ed., XXXIV, 2011, III-IV.
_______________________________________
1. purusaya
darsanâprtham kaivalyârtham vathâ
pradhânasya
parigvandhavadubhayorapi samyoga
statrrtah
sargah (Kârikâ 21)
2. A Elisabeth,
28 Juin 1643.
3. A
Elisabeth, 21 Mai 1643.
4. Ibid.
Descartes n’envisage pas la deuxième possibilité, qu’adoptera Leibniz, qui
consisterait à annuler au contraire le facteur matériel et à concevoir la
communication des deux substances sur le modèle d’une harmonie monadologique,
c’est-à-dire spirituelle.
5. Ibid.
6. « Quel
est le rapport de nos connaissances à leur objet » ? A Marcus Herz, 1771.
7. Sâmkhyakâritâ,
64.
8. Ibid. Cf.
la ViveKasiddhi, littéralement « l’accomplissement de la
discrimation des Sa mkhyasùtra »
(3, 75).
9. S.K.,
64. C’est buddhi, premier terme de la procession qui constitue la plaque
tournante à partir de laquelle se réalise l’inversion du mouvement (S.K.,
36, 37).
10. On
comprend l’affirmation réitérée de la doctrine qu’elle est purusârtha (S.K.,
56, 57, 58, 60).
11. S.K.,
59, 61, 65, 66, 68.
12. ad Kârikâ
55, cf. S.K., 42 : le corps subtil mime la destinée de l’esprit.
13. S.K.,
55
14. Décrite
dans les K. 47-51.
15. S.K.,
64 : « Ainsi d’une sommation
réflexive des moments de la réalité surgit cette connaissance : ‘je
n’existe pas (empiriquement), rien ne m’appartenant, il n’y a pas de moi’.
Etant indubitable, un tel savoir peut être déclaré total, pur, absolu ».
16. « prakrtini
pas’yati purusah » ; S.K., 65.
17. Vâcaspati
ad. K. 64 : « Uktarûpaprahâratattvavisa
yajûânâbbhyâsâdâdaranairantaryadîrghakâlasevitât sattvapurusânya tasâksâtkâri
jûânamatpadyate : d’une recollection de la connaissance dont l’objet porte
sur une réalité du mode de celle don’t nous avons décrit les formes, recollection étalée sans interruption sur un
long laps de temps, surgit la connaissance qui révèle l’altérité du purusa sattvique ».
18. prekoakavadavasthitah, « dans la position d’un
spectateur » , S. K.,
65.
19. sarvam
pratyupabhogam yasmât purusasya sâdhayati buddhih saiva ca vis inastipunah
pradhanapurusântaram sûKsmam – S.K., 37.
20. S.K., 55.
21. On peut
donc le caractériser comme une « reconnaissance », pratyabhijna.
On sait l’usage que le s’ivaîsme Kas’pirien fait de ce concept, et combien
l’influence du sâmkhya est nette dans cette doctrine.
22. Par
exemple à partir de données i_ncompatibles que leur aurait léguées une certaine
tradition, ou de données appartenant à des traditions distinctes qu’ils se seraient
alors donnés pour tâche d’harmoniser. On sait que ce dernier procédé surtout
est très indien. On sait aussi qu’en indianisme une clef n’ouvre pas toutes les
serrures.
23. Les
interprétations indigènes anciennes ne sont pas plus compréhensives. Les
commentaires aux KâriKâ ne font preuve d’aucune pénétration philosophique. Les interprétations
indépendantes sont faites dans la perspective soit polémique, soit syncrétique
du vedânta. Ce serait un
problème d’expliquer comment une formulation tenue généralement pour
insatisfaisante a pu exercer une telle influence et recevoir la consécration du
genre dars’ana.
24. que l’on rencontrera beaucoup moins dans la mêmâmsâ
et dans le yoga, par exemple, lesquels exigent de toute évidence un
ajustement immédiat de nos concepts.
25. Auquel elle travaille, avec des bonheurs
divers, à réduire les autres : l’art, le devoir social (svadharma),
etc.
26. Manaso
hyamanîChâve écrivent encore les gandapâdîyaKâritâ, « à partir
de l’esprit la transformation en non-esprit, lorsque l’esprit en vient à se
supprimer lui-même » (III, 31).
27. MândûKya,
7.
28. Texte
upanisadique cité sans références écr. G. Grimm, La religion du Bouddha,
p. 106.
29. Terme yoga ; c’est la Kaivalvâvasthâ
du S., le Samadhi du yoga, le Saccidânanda des vedantins, etc.
30. nigrhîtasya manaso nirviKalpasya dhînatah
- GoudapâdîyaKâriKâ, 3, 34.
31. Olivier
Lacombe, L’Absolu dans le Vedânta. Les notions de Brahman et d’Atman
dans les systèmes de Cankara et de Ramanoudja, Paris, Libr. P. Geuthner,
1937, p. 79 s. et p. 99.
32. BrhaddâranyaKa, 2, 4, 5.
33. MandûKya,
7.
34. MandûKya,
ibid.
35. 1, 1, 5.
36. Idem in GandapâdîyaKâriKâ,
II, 32 – Bhagavadgîtâ, VI, 3 – SâmKhyaKâriKâ, 62 – Nâgârjune,
MadhuamiKa, XVI, 5.
37. O.
Lacombe, L’Absolu selon le Vedânta, p. 86.
38. ibid., p. 126.
39. ibid., p. 218.
40. O.
Lacombe, op. cit., p. 45.
41. Etienne
Gilson, L’Etre et l’essence, Paris, Vrin, 1948, p. 42.
42. O.
Lacombe, op. cit., p. 165 ; c’est nous qui soulignons.
43. S.K.,
13 : apastambhaKam rajab, de stambh : - a) fonder,
supporter - b) fixer, arrêter.
44. S.K.,
42 : natavad vyavatisthate lingam, « le corps subtil se
comporte comme un danseur ».
45. Comme mâyâ
par elle-même, avant qu’elle ne devienne un instrument entre les mains de la
providence du Seigneur.
46. S.K.,
62.
47. A la
lettre, l’expression ne peut évidemment s’entendre que du SâmKhya…
48. Cf., par
exemple, les notions de Ksetra, « champ » (d’activité), d’âlambana
et surtout d’âs’raya, « point d’appui », « nature référée
au service de l’esprit » (O. La combe, op. cit., p. 147).
49. vyaKtâvyaKtajûavi
jûanât, « par connaissance discriminative de l’évolué, de l’inévolué
et du connaissant ». S.K., 2.
50. S.K.,
17.
51. traigunyaviparyayât,
S.K., 18 ; cette négation ne va donc pas jusqu’à dépasser l’individualité
empirique, ce qui signe son propre empirisme.
52. S.K.,
17.
53. S.K.,
19. La connaissance « pure »,
rigoureusement discriminée, « sans résidu », de ce qui
n’apparaît qu’au purusa sera établie alors aviparvadâd, par
l’impossibilité de sa négation, de son dépassement par inversion (S.K.,
64).
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© THÈMES, Revue de la
Bibliothèque de philosophie comparée, I/2011, mise ligne le 7 mai 2011