Revue de la B.P.C.                           THÈMES                                 III/2005

 

http://www.philosophiedudroit.org

 

Mise en ligne novembre 2005                             Édition spéciale : la pensée de Jean Paul II

__________________________________________________________________________________________

 

 

 

 

 

De Karol Wojtyla à Jean Paul II :

De la famille[1]  comme droit "primordial"[2]

 

 

par Bertrand de Belval,

Docteur en droit, avocat à la cour de Lyon

 

 

 

"L'avenir de l'humanité passe par la famille"

Jean Paul II, Discours aux IV rencontres mondiales de la famille, Manille, 25 janvier 2003

 

"Le mariage et la famille sont irremplaçables et n'admettent aucune autre alternative"

Benoît XVI, Lettre au Card. Trujillo en vue de la journée mondiale des Familles, 17 mai 2005,

in Oss. Rom., éd. fr. 7 juin 2005

 

 

 

 

 

Par sa longévité, le pontificat de Jean Paul II aura marqué l'Église et le monde. S'il est prématuré de juger de sa portée et de son imprégnation dans la vie des hommes, il est en revanche, d'ores et déjà, possible d'en tirer quelques enseignements qui tiennent à la personnalité exceptionnelle de Karol Wotyla devenu Jean Paul II – le "Grand"[3] – et à l'ampleur de son œuvre qui est immense[4].

 

En tant qu'incarnation d'une institution plurimillénaire, il est difficile d'attribuer à Jean Paul II, personnellement, ce qui relève au moins partiellement de cette institution. Certes, le pape a vocation à incarner l'ensemble de la doctrine de l'Église ; de plus, il a été souligné l'attention particulière de Jean Paul II à relire et corriger les textes qui lui étaient soumis, de sorte que sa signature n'était pas formelle.

 

Ceci étant, il est possible de soutenir que des questions abordées par Jean Paul II portent son empreinte personnelle, au-delà du message ecclésial, et puisent leurs racines chez le jeune Wojtyla : la philosophie, la poésie, la question du peuple juif, la famille, la politique…

 

 

 

 

 

            Jean Paul II et la famille : un long mariage d'amour !

 

Le thème de la famille fait partie du sillon creusé profond par le pape[5] pour y semer le bon grain. Il suffit de se remémorer les expressions radieuses d'un visage marqué par la souffrance quand une nuée de "jeunes", d'enfants, se présentaient devant lui : "vous êtes le sel de la terre", "l'espérance du monde", répétait-il souvent. L'histoire dira peut-être que Jean Paul II a porté très haut la famille – béatifiant en 2001 notamment les premiers époux[6] de l'histoire de l'Église, en tant que tel – et plus largement la vie, lui qui avait perdu très jeune sa mère, son frère, son père – n'ayant même pas connu sa sœur. Témoin d'idéologies mortifères qui visaient notamment à détruire la famille au profit du parti et du chef, marqué par la guerre, c'est-à-dire la mort qui rôde, et plus tard victime d'une tentative d'homicide, atteint par la maladie qui saisit progressivement tout le corps jusqu'à la paralysie et l'étouffement, Jean Paul II a mesuré la portée de la valeur sacrée de la vie[7].

Pour Jean Paul II, la vie est un don de Dieu, par le truchement des hommes et des femmes. La création divine est indissociablement liée à la procréation humaine, sinon l'incarnation n'aurait aucun sens, partant la chrétienté. Les hommes participent au dessein divin : le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous, écrit St. Jean (1,14). L'intérêt de Jean Paul II pour la famille dont la dévotion à la Vierge n'en est que plus remarquable sous cet aspect, n'est pas réductible à une approche sociologique relevant de la tradition catholique, ni même philosophique ou anthropologique ou encore juridique, quoique ces aspects soient importants ; mais fondamentalement théologique, mystique au sens de mysterium [sensus fidei] ; d'aucuns diraient de l'ordre de Dieu. On comprend donc l'attachement de Jean Paul II pour la famille : "sanctuaire de la vie"[8].

 

Il serait présomptueux de vouloir présenter, voire ébaucher quelques idées de Jean Paul II sur la famille[9].

D'une part, comme chacun sait, il y a une multitude de questions posées par la famille que le pape a abordé tout au long de sa vie dans de multiples écrits[10] : parmi ceux-ci, on relèvera l'Exhortation Familiaris consortio (1981), la Lettre apostolique Mulieris Dignitatem (1988), la Lettre aux familles (1994), l'Encyclique Évangile de la vie (1995), l'Encyclique Splendeur de la Vérité (1993), le Jubilé des familles (2000), les discours devant la Rote romaine dont le dernier du 29 janvier 2005 semble être la conclusion de tous les précédents, et bien sûr les catéchèses du mercredi (1979-1984), etc. Il conviendrait de se reporter à ces textes et de les méditer, au fond de la maison, en fermant la porte (Mt. 6,6).

D'autre part, tout sujet sur la famille mériterait de longs développements qu'un ouvrage n'épuiserait jamais. Surtout, la famille se vit chaque jour plus encore qu'elle ne se pense et ne se décrit, elle a partie liée avec le mystère, notamment de la rencontre[11] et de l'enfantement, de l'alliance par delà les différences.

 

 

            Le droit en filigrane

 

Cette contribution ne vise pas à résumer la pensée de Jean Paul II sur la famille, le mariage, etc., mais à faire ressortir modestement la portée de cette pensée en matière juridique et la dimension (onto-)axiologique de l'enseignement du pape. En effet, le pape, prêtre avant tout, en tant que tel et en philosophe, a rappelé que la famille est au cœur du droit, des droits de l'homme, dont il a été l'un des ardents défenseurs. La famille, ce "pilier du droit" selon l'expression de Jean Carbonnier semble depuis quelques décennies fragilisée : la "modernisation" du droit de la famille (notamment au moyen du langage[12]) tend à dessiner un modèle et induire une société qui ne manque pas de susciter des questions décisives pour l'avenir de l'humanité.

S'interroger sur la famille, c'est poser la problématique des fondements du droit – de la famille. Cette préoccupation "fondamentale" a été remarquable chez Jean Paul II comme en témoigne notamment son encyclique Foi et raison : "un grand défi se présente à nous (…) est celui se savoir accomplir le passage, aussi nécessaire qu'urgent, du phénomène au fondement"[13]. Il ne suffit pas d'invoquer la famille, encore faut-il qu'elle repose sur de véritables fondations, sur le "roc".

 

Une réflexion sur le thème de la famille introduit celui du droit, de sa philosophie et de son épistémologie. La portée de la question familiale pour le droit est d'autant plus cruciale que la famille a partie liée avec la vie, laquelle renvoie à la quête existentielle et donc à la vérité. En d'autres termes, la famille est un thème fondamental en ce qu'il suscite une interrogation de l'ordre de l'origine, du principe fondateur. Dès lors, évoquer le droit de la famille implique une discussion sur sa conformité avec la source première. L'enjeu devient à la fois philosophique, épistémologique et politique dans la mesure où il s'agit de rappeler que l'on reconnaît l'arbre à ses racines ; il ne saurait y avoir de droit de la famille s'il ne reposait pas sur une conception véritable de la famille.

 

C'est pourquoi, la pensée de Jean Paul II sur la famille déborde ce domaine et a une dimension (onto-)axiologique. En qualifiant la famille de droit primordial, il s'agit de plaider, se faire l'avocat (ad-vocatus) d'un droit qui s'enracine objectivement – au sens de st. Thomas – dans la vérité, et que ses expressions, ses branches, sa subjectivité soient verticalement reliées à sa priméité[14], si l’on peut dire, à son objectivité. Plus généralement, ce thème permet d'aborder la dialectique entre l'essence et l'existence, Dieu et les hommes, et singulièrement le chemin ou le lien entre les deux que Karol Wojtyla / Jean Paul II n'a cessé de promouvoir dans une vision unifiante de la personne : ô admirabile commercium dit une antienne vespérale du 1er janvier, jour de la création.

 

C'est enfin parce que ce thème de la vie et partant de la conception de la famille, sont sans doute les plus critiqués, au sens négatif du terme, dans l'œuvre de Jean Paul II – dont son successeur va devoir assumer l'héritage après avoir été une plume et un inspirateur[15] –, qu'il importe de s'y intéresser et contribuer à un dialogue qui n'est pas près de se tarir tant la famille est ancrée dans le monde et ses enjeux décisifs pour l'humanité.

 

 

I - De la famille à la vérité de l'être

 

"C'est par la famille que se déploie l'histoire de l'homme, l'histoire du salut de l'humanité"[16],

Jean Paul II

 

 

La source sainte de la famille

 

Chacun sait que la famille n'est pas un thème nouveau dans le catholicisme. Elle puise ses racines dans la Bible. Les références plus ou moins directes ou analogiques voire métaphoriques (cf. la notion d'Alliance ; l'Église en tant qu'épouse du Christ), sont nombreuses : la Genèse, le Cantique des cantiques, les Noces de Cana, le questionnement de Jésus sur le divorce, les épîtres de st. Paul, etc.… Citons seulement deux exemples, l'un tiré de l'ancien Testament, et l'autre des Evangiles. "Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l'Éternel, ton Dieu, te donne", dicte Dieu à Moïse sur le mont Sinaï (Ex. 20-13). "Voici la table des origines de Jésus Christ….", ainsi débute l'évangile de St. Mathieu par un rappel généalogique qui s'achève sur la Sainte Famille. C'est pourquoi, on peut dire que l'intérêt des chrétiens pour la famille est d'ordre fondamental en ce qu'il ne résulte pas de textes doctrinaux du magistère, mais provient de la Parole révélée et de la Vie du Christ telle que relatée par les Écritures saintes : la famille est ancrée dans la Bible. En rappelant le lien entre la famille et la Bible, Jean Paul II n'a pas innové. Toutefois, il faut noter que, peut-être davantage que ses prédécesseurs, il s'est appuyé sur les textes bibliques pour faire ressortir la dimension sacrée de la famille.

 

 

            La tradition de la famille comme cellule de base de la société

 

Jean Paul II s'est aussi inscrit dans la tradition chrétienne tout en s'y démarquant quelque peu comme nous le verrons plus loin. Il n'est pas inutile de se remémorer que, dans la doctrine de l'Église, la famille a davantage été considérée comme une institution sociale, que comme une authentique vocation[17] relevant du Mystère et appelée à la Sainteté. En tant que première communauté[18], la famille est le premier lieu de sociabilité. Citons Jean Paul II : "la famille a des liens organiques et vitaux avec la société parce qu'elle en constitue le fondement et qu'elle la sustente sans cesse en réalisant son service de la vie : c'est au sein de la famille en effet que naissent les citoyens et dans la famille qu'ils font le premier apprentissage des vertus sociales, qui sont pour la société l'âme de la vie et de son développement"[19] ; "il convient de n'épargner aucun effort pour que la famille soit reconnue comme société primordiale et en un sens 'souveraine'. Sa 'souveraineté' est indispensable pour le bien de la société. Une nation vraiment souveraine et spirituellement forte est toujours composée de familles fortes, conscientes de leur vocation et de leur mission dans l'histoire. La famille se situe au centre de tous ces problèmes et de toutes ces tâches : la reléguer dans un rôle subalterne et secondaire, en l'écartant de la place qui lui revient dans la société, signifie causer un grave dommage à la croissance authentique du corps social tout entier"[20].

 

La famille a modelé la vie des siècles durant : on y naissait, y grandissait, s'y éduquait, y mourrait, y partageait les joies comme les peines... L'apprentissage du "lien social", dirait-on aujourd'hui, s'est effectué par le biais des familles. La politesse apprise en famille a été l'antichambre de la politique ou le respect s'étend à un cadre élargi. La famille a préparé à la vie : le fils travaillait la terre avec son père, la fille apprenait la couture avec sa mère, les frères et sœurs collaboraient tous ensembles, au milieu des anciens, les mariages construisaient les familles, les guerres et les maladies pouvaient les décimer… La paix des familles a été une condition de la paix des Royaumes et autres territoires[21] ; les alliances nuptiales participaient aux alliances politiques.

 

Le temps de cette vie famille faite de liens authentiques et forts, d'authentique solidarité, n'est pas si loin. D'aucuns restent sans doute encore marqués par leurs conversations avec leurs grands-parents, et leur mode de vie demeure peut-être influencé. L'imitation a été prégnante. Les divorces, premiers signes importants et institutionnels de division, ne pouvaient donc que rencontrer l'hostilité de l'Église, outre le fait qu'il s'agissait d'une offense à Dieu.

En observateur attentif du monde, Jean Paul II s'est inquiété du délitement du sens familial. Combien de problèmes ne trouvent-ils pas des raisons dans la destruction des cellules familiales? L'avocat [mais aussi les médecins, les enseignants…] est bien placé pour le savoir : que de divorces, d'actes de délinquance, voire de faillites qui ne sont pas des démissions familiales…

En outre, il faut évoquer l'histoire de Jean Paul II, qui, en témoin du communisme, a été confronté à la volonté de destruction de la famille, souvent considérée comme une source de résistance au Parti. En effet, la famille est moins perméable aux idéologies du fait de son ancrage dans le réel : le lien du sang crée une solidarité et une conscience solide ; la fraternité se développe d'abord dans une famille concrète[22]. La famille est, et demeure "un laboratoire d'humanisation et de solidarité véritable"[23].

 

Ainsi, le souci de la famille, cellule de base de la société, a été une constante chez Jean Paul II, dans la lignée notamment de son prédécesseur Paul VI, pour qui "la civilisation de l'amour" passait inéluctablement par la famille.

 

 

De la théologie du corps et la généalogie familiale

 

La pensée de Jean Paul II sur la famille ne s'est pas limitée à un développement de la tradition chrétienne, suscitée par Vatican II en direction des laïcs. Elle comporte une nouveauté, d'aucuns ont parlé d'un retournement ou d'une révolution[24], qui trouve sa source dans l'expérience du jeune homme et prêtre Karol Wojtyla[25]. En 1960, celui qui allait devenir pape, publiait une pièce de théâtre La boutique de l'orfèvre, véritable méditation sur le mariage. La même année, paraissait le premier ouvrage du futur pape : Amour et responsabilité, et plus tard, Personne et Acte[26] (1969).

Dans ce dernier ouvrage[27] approfondissant le précédent, se révèlent une philosophie de l'être et une pensée du sujet agissant, qui réconcilient en quelque sorte l'être et le faire ; le "et", reliant la personne et l'acte s'avère essentiel. L'acte est à l'image de la personne, dont il est une projection ou un miroir. L'acte engage la responsabilité de la personne au sens où il en répond, et traduit sa moralité en ce qu'il incarne les valeurs de l'être agissant. L'acte est une expression de la personne. Il n'a pas seulement une portée matérielle en ce qu'il exprime un faire, mais une dimension existentielle en ce qu'il intègre le sujet agissant, qui se manifeste personnellement à travers lui.

Cette approche personnaliste qui consiste à réunir l'acte et la personne est d'une importance capitale en matière familiale. En soutenant que l'acte accomplit par la personne, réalise l'accomplissement de cette personne, on en vient à s'interroger sur le sens des actes naturels de la famille, à savoir en premier lieu, l'acte sexuel, qui peut donner la vie.

 

En bref[28], Karol Wojtyla a exposé la problématique de l'inscription de la sexualité humaine dans l'œuvre chrétienne. Alors que le "sexe" pour le dire crûment, ou la "chair" selon l'expression paulinienne étaient porteurs du pêché en tant notamment qu'incarnation de la concupiscence, Wojtyla faisait s'élever l'union des corps dans une spiritualité ancrée dans l'amour. L'acte, transcendé par le sens qui lui donné par son auteur, porte les valeurs de la personne[29]. En ce qui concerne la question sexuelle, il s'agit de dépasser l'approche purement biologique du phénomène pour l'inscrire dans une conception intégrale de la personne, faisant appel à sa dimension métaphysique. L'acte de vie n'est pas qu'une union charnelle débouchant sur une fécondation, mais la projection des personnes au-delà d'elle-même dans leur capacité d'être de don. La liberté du faire a vocation à se rejoindre avec la vérité de l'acte, c'est-à-dire en définitive la vérité de l'être.

 

Jean Paul II[30] a approfondi cette théologie : "puisque l'homme est un esprit incarné, c'est-à-dire une âme qui s'exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel, il est appelé à l'amour dans sa totalité unifiée. L'amour embrasse aussi le corps humain et le corps est rendu participant de l'amour spirituel. (…) La sexualité, par laquelle l'homme et la femme se donnent l'un à l'autre par les actes propres et exclusifs des époux, n'est pas quelque chose de purement biologique, mais concerne la personne humaine dans ce qu'elle a de plus intime. Elle se réalise de façon véritablement humaine que si elle est partie intégrante de l'amour dans lequel l'homme et la femme s'engagent entièrement l'un vis-à-vis de l'autre jusqu'à la mort. La donation physique totale serait un mensonge si elle n'étant pas le signe et le fruit d'une donation personnelle totale, dans laquelle toute la personne, jusqu'à sa dimension temporelle, est présente. Si on se réserve quoi que ce soit, ou la possibilité d'en décider autrement pour l'avenir, cela cesse déjà d'être un don total"[31]. En d'autres termes, "dans l'amour conjugal, la corporéité des époux devient signe réel du don réciproque des personnes"[32].

 

Certes la doctrine cathare avec ses parfaits avait été décrétée hérétique. Toutefois, c'est peu dire que le corps n'était pas en odeur de sainteté auprès du Vatican et des religieux. Mais, à la faveur notamment de ses catéchèses du mercredi, en 129 audiences de 1979 à 1984 et notamment de son exhortation Familiaris consortio, Jean Paul II a développé une "théologie du corps" qui, négativement, "fait disparaître définitivement le hiatus entre l'élan de la spiritualité conjugal et la doctrine chrétienne du mariage"[33], et positivement aboutit "à une vision du mariage et de la sexualité humaine d'une ampleur et d'une profondeur sans équivalent dans tout l'enseignement du Magistère. (…) Tout relent de manichéisme est définitivement extirpé des questions concernant le corps et la sexualité. Le mariage est affirmé comme une œuvre de sainteté jusque dans les actes de la chair. (…) La sexualité humaine qui était vue jusqu'à alors dans la seule lumière de la finalité voulue par la nature est désormais affirmée d'abord dans celle du plan de Dieu sur le corps humain rédempté et appelé à la résurrection"[34].

 

Cette théologie du corps, inscrivant la nature humaine – au sens biologique – dans sa dimension spirituelle et métaphysique est donc d'une portée décisive. En associant le corps et l'esprit, le pape a rappelé que la personne est de l'ordre du lien – de l'Alliance –, et s'accomplit dans la communion. Le corps spiritualisé est le signe que l'être se réalise dans le don de lui-même, c'est-à-dire, non pas pour lui-même, mais pour autrui. La famille incarne cet aspect extatique, dans la mesure où il s'agit de sortir de soi pour engendrer cet autre qu'est la famille.

 

Le pape a ainsi démontré que la famille n'est pas une construction sociale[35] susceptible de tous les assemblages possibles, mais qu'elle repose sur des fondements anthropologiques et théologiques. L'être, en tant qu'incarnation du don, a vocation lui-même à être don. Ce don, il l'exprime dans la famille par le mariage qui témoigne de son consentement à n'être plus seul[36], mais à s'engager dans une communion avec autrui : "Par la communion des personnes qui se réalise dans le mariage, l'homme et la femme fondent une famille. A la famille est liée la généalogie de tout homme : la généalogie de la personne"[37]. Refuser le don, c'est se refuser soi-même. L'autonomie est funeste. Comme un l'auteur l'a écrit : "l'autonomie peut être souci de se donner à soi-même sa propre identité au prix d'un refus ou d'un déni de son être propre. Le refus d'être 'donné à soi-même par un autre' mène au refus de soi-même"[38]. Et ce même auteur d'ajouter : "ce don de l'existence humaine, met tout homme en responsabilité, en liberté pour correspondre au don originel qu'il est"[39].

 

 

            Du mariage comme "sacrement primordial"[40]

 

Quand il est devenu pape, le cardinal Wojtyla avait derrière lui une longue et profonde expérience de la pastorale du mariage. Il avait pu mesurer l'importance du mariage dans la formation de la famille. Accédant à la charge de Saint Pierre, Jean Paul II a promu le mariage au rang des vocations à la Sainteté en béatifiant en 2001 les premiers époux [en tant que tel] de l'histoire ecclésiale[41]. Le pape a insisté sur deux aspects du mariage chrétien.

 

D'une part, il a rappelé, conformément au code de droit canonique[42] (art. 1057 §1) que "c'est le consentement des parties légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage". Autrement dit, il a insisté sur le fait que ce sont les époux qui consentent au mariage. En cela, le mariage est une œuvre profondément humaine provoquant les capacités de liberté les plus hautes de chaque personne, puisque les époux ne peuvent être mariés contre leur gré : seul l'amour fonde véritablement un mariage. L'expression la plus haute de la liberté est manifestée par l'alliance ; l'être de don qui sommeille en chacun se réalise : "quand, dans le mariage, l'homme et la femme se donnent et se reçoivent réciproquement dans l'unité "d'une seule chair", la logique du don désintéressé entre dans leur vie"[43]. Se marier, c'est accepter non pas de disparaître, de fusionner dans une famille, mais de s'élever au-delà de soi pour former en plus une famille. Le mariage ne nie pas la personnalité, il la glorifie d'une certaine manière en lui reconnaissant sa potentialité de création. C'est pourquoi, il est essentiel, dans le cadre du mariage, que chacun conserve sa personnalité tout en ne s'y limitant pas ; sinon le couple peut devenir narcissique : l'autre recherche le même dans le couple[44] ; à cet égard, certains ont indiqué que la différence sexuelle est symbolique de toute différence et par là l'expression de l'altérité consubstantielle à la famille. En outre le mariage n'est pas non plus qu'un accord de volontés, il est l'expression de volontés de création d'une famille dépassant les époux. Le "Je" est le "Tu" donnent par surcroît un "Nous", à la fois singulier (créateur d'un "notre") et pluriel (cf. la grammaire du"nous").

Dans ce prolongement, il convient de faire état de la question de l'indissolubilité du mariage, qui est souvent déformée. Pour Jean Paul II, "le don de la personne requiert par nature d'être durable et irrévocable[45]. L'indissolubilité du mariage découle en premier lieu de l'essence de ce don : don de la personne à la personne. Dans ce don réciproque est manifesté le caractère sponsal de l'amour. (…) Une tel don lie beaucoup plus fortement et beaucoup plus profondément que tout ce qui peut être "acquis de quelque manière et à quelque prix que ce soit"[46]. Dès lors, l'indissolubilité signifie que les époux font un choix, non pas définitif au sens d'une fois pour toutes, mais d'une manière totale et à vocation perpétuelle, ce qui signifie qu'il n'y a pas de demi-don, et que la fidélité[47] à ce consentement doit être permanente, renouvelée chaque jour. C'est pourquoi, le mariage en tant qu'expression d'un "oui" à cette alliance est le signe sinon le serment que ce don a existé au moins une fois dans la vie, et qu'il convient de faire fructifier. En conséquence, l'indissolubilité du mariage est loin d'être un dogme aliénant la liberté des personnes. Il traduit au contraire la faculté pour les époux d'exprimer un consentement parfait, au sens de volonté profonde, viscérale, susceptible de les lier la vie durant. Ce lien pour la vie et même l'éternité témoigne d'une confiance et d'une valeur incommensurable des personnes. En s'engageant ad vitam aeternam[48], les époux participent à la vie divine, d'où la nature également sacramentelle du mariage

 

D'autre part, le pape a rappelé que "le mariage est le sacrement primordial dans la mesure où tout sacrement est le signe de l'Alliance de Dieu avec les hommes, et où le signe le plus grandiose, le plus essentiel, le plus primitif, le plus déterminant de l'Alliance de Dieu avec l'humanité, c'est l'union de l'homme et de la femme dès les origines"[49]. Le mariage a partie liée avec le mystère de Dieu. Si ce sont les époux qui consentent à leur mariage, Dieu se rend présent dans le mariage par la médiation du prêtre qui va "sacramentaliser" cette union. Ainsi, les époux ne sont pas seulement face à eux-mêmes dans leur responsabilité de maris et femmes, appelés à être fidèles au don qu'ils se sont promis, mais ils sont aussi engagés dans une œuvre – opus dei – qui les dépasse : à l'humanité de leur situation se conjugue la vocation divine de leur alliance : "se marier sacramentalement, ce n'est pas "se mettre en règle", c'est se reconnaître appelé à la sainteté par le don de soi dans l'exercice de la communion des personnes"[50]. Enfin, le sacrement peut être la preuve que Dieu a voulu d'une alliance. Dans les moments difficiles qui ne manqueront pas de surgir, les époux pourront invoquer l'Esprit saint par le truchement sacramentel, afin qu'Il vivifie cette alliance et lui confrère un peu de sa Lumière.

 

En définitive, Jean Paul II a magnifié le mariage chrétien "qui participe à l'efficacité salvifique cet évènement, (et) constitue le lieu naturel où s'accomplit l'insertion de la personne humaine dans la grande famille de l'Église". Le pape a surtout insisté sur le fait que l'amour, puisé en Dieu qui est amour, est l'âme de la vie conjugale, la sève du mariage et de la famille.

 

A l'échelle de l'histoire de l'Église, pluri-millénaires, l'évènement est d'importance ! Il n'y a pas si longtemps les "vocations" stricto sensu se partageaient entre la vie religieuse et la vie militaire ; au  martyre de la foi  répondait le sacrifice du combat. La famille a davantage été considérée comme le lieu d'éclosion de ces vocations, la semence en vue d'un don plus haut. Grâce à Jean Paul II, la famille et son sacrement de mariage sont devenus d'authentiques vocations. La béatification des premiers époux par Jean Paul II doit être appréciée comme une véritable nouveauté théologique. La béatification sans doute prochaine des époux Martin, parents de Ste Thérèse de Lisieux[51], devrait une nouvelle fois permettre de glorifier la famille en ce qu'elle participe à l'œuvre divine. Avec le mariage, la famille s'enracine dans une alliance tant humaine que divine, et manifeste sa vocation de don dans la naissance d'enfants : "le nouvel être se présente à la porte de la vie grâce à un acte de donation interpersonnelle dont il constitue le couronnement"[52].

 

 

De l'enfant comme incarnation du don de l'être

 

Le pape a porté, tout au long de sa vie, une grande attention aux enfants. Le respect de la "vie", de ces petites vies encore cachées aux yeux du monde, a été martelé par Jean Paul II. Dans son homélie lors de la messe du 15 août 2004 à Lourdes, le Saint Père rappelait une fois encore que "la vie est un don sacré, dont nul ne peut se faire le maître". Force est de constater que ce message dérange. Au-delà des questions politiques et des cas éthiques[53], il est essentiel de souligner que l'enfant est en quelque sorte l'icône du don, à la fois l'incarnation de la création et de la réalisation de la personne. L'enfant relève de l'ordre de l'être. Quoique lié à une famille, des parents, il existe par lui-même. Il est singulier. Seul le don qui implique un détachement de l'origine peut lui conférer cette propre personnalité. Le don engendre le don. L'être est don. Dès lors, refuser de reconnaître l'enfant comme un don, c'est lui refuser sa personnalité propre, et par suite le réifier.

Si l'enfant n'est pas ontologiquement perçu dans sa singularité de personne alors il risque d'être – car il ne saurait changer de nature – envisagé sous un angle possessif. N'étant pas une chose et donc susceptible de propriété, l'enfant le devient néanmoins subrepticement par le biais d'une conception qui tend à lui refuser sa dignité propre, sa singularité. Si le développement des connaissances médicales fait présager la perspective d'une "auto-fondation" biologique – le clonage en étant un avatar – il n'est pas inutile de rappeler que les hommes ne sont pas encore les maîtres de la vie. Non seulement la matière ne sera jamais totalement contrôlée [on recule l'âge de la mort : on ne l'élimine pas, ni dans sa réalité, ni dans son questionnement], mais surtout l'esprit demeure imperméable à un asservissement : il a soif de liberté.

 

En résumé, avec du recul, il se pourrait que "Jean Paul II [soit] sans doute moins regardé comme le pape de la chute du communisme que comme celui qui [a] donné à l'Église et au monde l'enseignement le plus complet et le plus positif sur le sens du corps et de la sexualité humaine"[54], et sur la spiritualité du mariage, sang de la famille, source de vie, redevenue une "bonne nouvelle". Ayant été confronté aux deux idéologies les plus mortifères du XXème siècle, qui toutes les deux ont nié la vie en ce qu'elle suppose le respect de la singularité de chaque personne, Jean Paul II a mesuré toute la portée qu'il y avait à proclamer urbi et orbi la dimension sacrée de la vie. A cet égard, il a été reproché à Jean Paul II dans son dernier ouvrage, Mémoire et identité, d'avoir relié la destruction des enfants d'Israël avec l'interruption volontaire de grossesse (p.162-163). Sur un plan philosophique, ontologique ou théologique ou encore anthropologique, l'association se justifie : entre le respect de l'être humain et le respect de chaque être, il ne saurait y avoir une quelconque exception. Ne pas respecter un être, revient à ne pas respecter l'être lui-même : "Quiconque accueille ce petit enfant à cause de mon Nom, c'est moi qu'il accueille…" (Luc, 9,48). C'est pourquoi, le respect de l'être est un droit primordial de l'humanité, le droit de l'homme par excellence.

 

 

 

II - De l'être au droit primordial

 

"La loi s'appuie sur la vérité de l'être"[55],

Jean Paul II

 

 

De la primauté du fondement

 

 

Comme l'indique la citation mise en exergue, la vérité de l'être doit déterminer la loi ou le droit[56] en sa priméité – son principe fondateur. Sinon, la loi ou le droit, et par voie de conséquence l'être, tombent dans le relativisme[57] qui est une forme insidieuse de nihilisme. De là, tout dépend. En posant le principe selon lequel l'être, et partant la famille, relèvent de ce qui est primordial, Jean Paul II a contribué à fixer une limite au-delà de laquelle il y une transgression, une violation. Ce lien consubstantiel entre la vérité de l'être et la loi a été un point essentiel – et l'un des plus controversés – du pontificat du pape. Trois encycliques ont tout particulièrement insisté : Splendeur de la vérité (1993), Évangile de la vie (1995) et Foi et raison (1998). Bornons-nous à citer un extrait décisif : "la loi civile doit assurer à tous les membres de la société le respect de certains droits fondamentaux, qui appartiennent originellement à la personne et que n'importe quelle loi positive doit reconnaître et garantir [le] premier et fondamental entre tous [étant] le droit inviolable à la vie[58] de tout être humain innocent"[59]. Dans son dernier ouvrage, Mémoire et identité, Jean Paul II a une nouvelle fois rappelé que la loi doit s'appuyer sur la vérité de l'être ; "la loi établie par l'homme a des limites précises, que l'on ne peut franchir. Ce sont les limites fixées par la loi naturelle, par laquelle c'est Dieu lui-même qui protège les biens fondamentaux de l'homme"[60].

 

En conséquence, porter atteinte à l'être, à chaque être dans sa singularité et son universalité, c'est violenter Dieu, et partant l'homme lui-même. Quiconque fait l'impasse sur cet aspect de la pensée Jean Paul II oublie, à notre sens, l'essentiel et dénature le message wojtylien : si l'on ne reconnaît pas le caractère sacré de la vie, alors tout devient possible ; tout devient permis aurait dit Dostoïevski. Transgresser l'être dans sa singularité, c'est en définitive le séparer de l'ordre de la Création, de l'Incarnation, l'empêcher d'être et partant nier l'humanité qu'il représente, singulièrement.

 

C'est pourquoi, définir la famille comme un droit primordial en ce qu'elle se fonde sur l'être est d'une très grande portée pour la philosophie du droit. La vérité de l'être est une condition pré-politique de la démocratie comme dirait le cardinal Ratzinger[61]. Le respect de cette vérité conditionne l'autorité du droit[62], en rend par voie de conséquence légitime les expressions (droit de la famille) qui, en tant que déclinaisons du droit primordial, doivent logiquement s'y ordonner. Cette expression de droit primordial ou fondamental ou encore premier[63] démontre que l'être, et son prolongement la famille, sont altérés [le mot est faible] dès lors qu'il est porté atteinte à ce droit, gardien de leur vérité existentielle. L'impératif catégorique n'est pas seulement moral au sens de Kant. En l'espèce, la moralité est indissociable de la vérité, ainsi que l'a démontrée l'encyclique Splendeur de la vérité qui a tenté de réunir la vérité, la liberté, la moralité et la loi. Jean Paul II a sonné le glas de Kant[64] et des néo-kantiens. Il a réintroduit la métaphysique dans le champ de la philosophie. Il a revivifié si l'on peut dire, le droit, qui tend aujourd'hui à être appréhendé et défini comme une procédure dialogique, où il s'agit moins de chercher une vérité que de parvenir à un consensus sur la base d'une discussion qui tend à la neutralisation.

 

 

Du détournement du droit[65]

 

Dans son dernier ouvrage, Mémoire et identité, le pape a rappelé que la "loi établie par l'homme, par les parlements et par toute autre instance législative humaine, ne peut être en contradiction avec la loi naturelle [ie : au sens de St. Thomas], c'est-à-dire, en définitive, avec la loi éternelle de Dieu"[66]. En conséquence, si la démocratie répond le "mieux à la nature rationnelle et sociale de l'homme"[67], elle n'est pas en soi de nature à préserver l'humanité de grandes tragédies. La démocratie demeure le miroir du comportement des hommes. C'est pourquoi, si le droit peut contribuer à préserver l'homme contre lui-même dans sa tentation démuirgique de tout contrôler, il importe qu'il soit porté par des valeurs qui traduisent la réalité humaine dans sa profondeur métaphysique.

 

Or, il est symptomatique de constater, avec Jean Paul II, que "la société devient une collection de monades individuelles dépourvues de liens métaphysiques réciproques, fondée sur un relativisme qui réduit à néant toute idée de valeurs absolues et objectives dont la vérité soit reconnaissable par tous. Tout devient alors objet de négociation, de convention ou de contrat, même le droit à la vie. Au plan politique, ce droit est discuté ou rejeté sur la base d'un vote parlementaire et de la majorité qui s'en dégage. C'est l'idéal démocratique qui est alors mis en cause dans ses fondements mêmes, à savoir la protection de la vie et de la dignité de toute personne, notamment du plus faible, et qui est menacé de reniement au profit d'une forme de totalitarisme"[68]. Cette citation doit être rapprochée d'un discours du cardinal Ratzinger[69] : "Le positivisme strict qui s'exprime dans l'absolutisation du principe de la majorité se renverse inévitablement un jour ou l'autre en nihilisme. (…) Les décisions de la majorité ne resteront elles-mêmes véritablement humaines et raisonnables que tant qu'elles présupposeront l'existence d'un sens humanitaire fondamental et respecteront celui-ci comme le véritable bien commun, la condition de tous les autres biens".

 

Dans ces conditions, ce que les positivistes considèrent comme du droit nécessite une interrogation d'ordre fondamental, du principe, de l'origine première pour le dire d'une manière tautologique. Le nominalisme guette, à l'affût. A défaut d'exposer en détail dans ce cadre la conception du droit prévalente, on peut indiquer que le droit dépend aujourd'hui davantage d'un respect des formes, très kelséniennes, que d'un questionnement sur sa substance. La positivité du droit procède de sa légalité et non de sa légitimité. Les manifestations de la sagesse juridique semblent avoir quitté les lieux du pouvoir. A la justice de Salomon, on préfère la justice de la foule : libérer Barrabas ! La procéduralisation du droit n'est qu'une forme d'accord du plus grand nombre de manière à fixer des normes qui soient susceptibles de recueillir l'assentiment de la foule ou de l'opinion publique panurgique. C'est Babel que l'on reconstruit; l'idéalisme hégélien n'a pas disparu, nonobstant l'histoire du XXème siècle ; les normes s'empilent, alors mêmes que les fondations sont fragilisées[70]. Le droit mondial, dans sillage kantien, hégélien et habermassien, en gestation, se veut universellement admis. Toutefois, commence-t-il par respecter dans sa singularité la valeur universelle qu'il est censé promouvoir, la personne ? Rien n'est moins sûr. Le droit ne saurait donc se borner à une certaine horizontalité ou un progressisme sans finalité qui est une fuite en avant, il implique une démarche verticale, qui doit diriger vers une fin, ce qui suppose une origine. Comme le disait Gustave Thibon : "ce n'est pas de l'avance qu'il faut prendre, mais de l'altitude". Et avec les grecs, Montaigne et bien d'autres, on se rappellera que, d'une certaine manière, vivre c'est apprendre à mourir, et donc que la question de la mort se pose parce qu'il y a eu une naissance.

 

Si le droit ne se confond pas avec la morale et ne saurait atteindre la perfection, il doit néanmoins, au minimum, se conformer à ce qui forme la base de la vie. Le respect de ce qui est primordial est une condition fondamentale du droit. Non seulement il serait dépourvu d'intérêt de disposer d'un droit "développé" s'il n'était pas édifié sur des fondations solides, car ancrées dans la réalité humaine, mais de surcroît, ce droit ne serait pas conforme à ce qu'il entend représenter. Sous prétexte d'absence de perfection possible en ce monde sublunaire, on ne saurait tout admettre sauf à se noyer dans un relativisme négationniste de la personne humaine. Aussi, avec un auteur, on peut dire que "l'on ne saurait en vérité se réclamer du principe du moindre mal lorsqu'il s'agit de tolérer qu'un droit premier comme le droit à la vie soit mis en cause. (…) Puisque le fondement premier du lien social se trouve atteint (…), ce n'est pas en réalité un moindre mal politique (…), mais une catastrophe du politique"[71]. Pour le dire trivialement, c'est comme si un père de famille achetait une télévision dernier modèle, au lieu de se préoccuper d'abord de savoir s'il peut nourrir sa famille.

Quand on examine l'actualité, on s'aperçoit que les ordres de priorité ont été renversés. L'accessoire a souvent pris le pas sur l'essentiel ; l'exception a phagocyté le principe. Il n'est pas exagéré de dire qu'il y a une subversion des valeurs : la pensée de Descartes, Sartre et de Nietzsche est bien plus prégnante que celle, antithétique, de Jean Paul II. En effet, pour les premiers, c'est l'homme qui construit, tel Prométhée, son existence, alors que pour le second, l'homme reçoit d'abord la vie qu'il lui importe de faire fructifier, tel un "vigneron du Seigneur", pour reprendre les premiers mots de Benoît XVI. Il s'agit de deux conceptions de la liberté, l'une qui crée la vérité, l'autre qui lui est ordonnée. Deux types de sociétés libérales en découlent : l'une où la liberté est d'esprit libertaire ; l'autre ou la liberté est d'essence "véritale"[72]. Le droit ne peut devenir un instrument du pouvoir des hommes. Comme l'a dit Jean Paul II lors du jubilé des juristes le 24 novembre 2000 : "Le droit naît d'une profonde exigence humaine. (…) les juristes doivent toujours se sentir engagés dans la défense des droits de l'homme car, à travers eux, c'est l'identité même de la personne humaine qui est défendue".

 

 

            La véritable loi : le témoignage de l'amour miséricordieux

 

On vient de rappeler que la loi se doit d'être conforme à la vérité de l'être. Ceci étant, Jean Paul II, de part son expérience et sa foi, n'a cessé de se faire l'apôtre non pas de la loi, mais de l'amour des hommes et de Dieu (Mt 22, 34-40). L'homme n'est pas fait pour le Sabbat, mais le Sabbat pour l'homme : "Le Fils de l'homme est maître du Sabbat" (Mt, 12,8). La pureté s'apprécie du "dedans" (Mc, 7,1-23), de l'intérieur et non des apparences. La loi n'a jamais été pour Jean Paul II, et ne saurait être pour un chrétien une fin en soi. Ce qui importe ce n'est pas tant le respect de cette loi[73] mais la fidélité à son esprit. Le Christ a dit : "Ne croyez pas que je suis venu abolir la Loi ou les Prophètes, mais l'accomplir" (Mat. 5, 17-18).

 

L'homme est marqué par la finitude, le péché dans la foi chrétienne. Même les Saints les plus extraordinaires ont connu le péché : St Paul a d'abord été un persécuteur des chrétiens, St Augustin a fait son "mea culpa", St François d'Assise a d'abord mené une vie peu vertueuse, etc. Jean Paul II[74] n'a cessé tout au long de son pontificat de prêcher l'amour miséricordieux ; la repentance ne prend son sens que dans la conversion des cœurs, condition nécessaire pour repartir sur de saines bases.

 

Si Jean Paul II est apparu ferme dans sa doctrine, il n'a pas jugé quiconque personnellement. Il n'a pas été ce docteur de la loi fustigé par Jésus : "Vous aussi, les docteurs de la Loi, malheureux êtes-vous, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes, vous ne touchez même pas ces fardeaux d'un seul doigt" (Luc, 11, 46). Il a agi tel Jésus lors de l'épisode de la femme adultère : "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus" (Jn. 8,1-11).

 

En matière familiale, il faut citer le cas du divorce. L'on sait que l'Église pose le principe de l'indissolubilité du mariage[75] : "ce que Dieu a uni, l'homme ne le sépare pas" (ex. : St. Mc10, 9). Jean Paul II s'est donc opposé au divorce, non pas en jetant l'anathème sur les personnes divorcés, mais en montrant les désordres du divorce et surtout en insistant sur les bienfaits du mariage, et en invitant les époux à dépasser leurs querelles et s'inscrire dans une démarche de pardon, de réconciliation. Pour Jean Paul II, le divorce n'est pas un bien, ce qui ne signifie pas que les divorcés soient des damnés ! Toute personne a vocation à être accueillie près du Père. A défaut de pouvoir développer ces questions, et de prétendre connaître ce que le pape en conscience portait dans son âme, on sent que l'on se situe, ici, au cœur de la foi chrétienne, c'est-à-dire la Croix. Le Vendredi Saint et le Jour de Pâques sont inséparables.

 

En résumé, Jean Paul II tout en rappelant la loi de Dieu, n'a pas oublié que le Fils de Dieu est Rédempteur du Monde. Au fond, comme Jésus, il a dit que la loi est nécessaire en ce qu'elle guide les hommes qui en ont besoin, mais qu'il ne faut pas regarder la loi comme une fin en soi. La vraie boussole des hommes est l'amour, car Dieu est amour ; l'amour miséricordieux car il implique une conversion des cœurs, un passage de "l'homme à Dieu", pour reprendre un titre de Massis.

 

 

Conclusion : de l'ame de l'engagement[76] et de Jean Paul II à BenoÎt xvi

 

"Je demande à Dieu de donner l'unité et la paix à la famille humaine…"

Benoît XVI, Homélie de la messe du 20 avril 2005

 

            Du témoignage aux témoins

 

 

Au terme de ce rapide parcours sur la famille envisagée comme un droit primordial, nous ne pouvons dire, comme le titrait l'Osservatore Romano se faisant l'écho de tous après le décès du Saint Père, que "Merci" Jean Paul II. Deo gratias.

 

Passé le moment de l'émotion et de la communion profonde qui secouent l'âme et le corps, nous retombons rapidement dans notre médiocrité ne serait-ce qu'inconsciemment, par routine. Dans nos vies de famille, dans nos vies professionnelles, en tant que membre singulier de la famille humaine, nous nous laissons souvent aller, tenter par la facilité ; nous renonçons par paresse. Nous n'utilisons guère toutes les potentialités de notre condition. Ce que notre main gauche approuve est parfois défait par notre main droite. Le discours généreux couvre les actes qui le sont moins ; l'incohérence est patente.

 

Force est de constater, à l'exception de personnages hors du commun, que nous ne sommes en définitive guère fidèle à la mémoire du Très Saint Père. Nous ferions mieux de nous taire. L'icône du Christ ne doit jamais devenir l'idole devant laquelle nous nous prosternons, tel le Veau d'or. Jean Paul II ne saurait devenir la photographie posée sur une commode du salon. Il s'agit de nous lever, et d'aller porter la bonne nouvelle, ce qui implique d'abord de la faire pénétrer notre cœur : "plus que sur toutes choses, veille sur ton cœur, car c'est de là que jaillit la vie", disent les Proverbes.

 

Si nous voulons réellement honorer la mémoire de Jean Paul II, nous devons "mettre en pratique" (Mt, 7,26 ; Lc, 8,21) ses enseignements, et avec son successeur[77] continuer à participer à l'œuvre salvifique et rédemptrice du Christ : "Suis moi", dit le Seigneur à Simon-Pierre (Jn, 21, 19). Aussi, il importe de se souvenir des paroles de Jean Paul II : "Je vous lance donc un appel (…). Avec la puissance de sa vérité, je parle à l'homme de notre temps pour qu'il comprenne la grandeur des biens que sont le mariage, la famille et la vie ; le grand péril constitué par le refus de respecter ces réalités et par le manque de considération pour les valeurs suprêmes qui fondent la famille et la dignité de l'être humain."[78]

 

Mais, ne nous trompons pas. L'enfer est parfois pavé de bonnes intentions, ce n'est pas pour rien que le diable est assimilé au malin, et que l'ange se transmue parfois en bête. La sainteté n'est ni un diplôme qui s'acquiert, ni un humanisme sans Croix – athée[79], comme aurait dit le père de Lubac. Elle implique toute la vie, de la pesanteur à la Grâce. Ce n'est qu'après une longue vie de prière et d'action que Maximilien Kolbe a donné Sa personne pour sauver autrui, pour témoigner de Dieu dans l'enfer du néant. Sainte Thérèse a témoigné de ce qu'il faut passer par la petite porte, redevenir ces enfants dont parle Jésus (Mc, 10, 13-16 ; Mt, 19, 13-15 ; Lc, 18, 15-17). Saint Benoît a enseigné par sa vie au moine que l'humilité est le fondement de la vie monastique ; sa règle s'inscrit dans un témoignage véridique de sa personne. Etre un témoin, au sens profond du terme, un exemple, tel est l'enjeu.

 

 

En guise de réflexion finale, nous pouvons affirmer que Jean Paul II nous a donné une véritable leçon de vie chrétienne. Il nous laisse notamment des enseignements sur la famille à méditer, pour renforcer notre vie intérieure et faire en sorte qu'elle puisse s'épanouir à l'extérieur.

 

 

 

            De la vie intérieure : philosophie métaphysique

 

Reconnaître la famille comme un droit primordial implique de reconnaître l'être qui fonde cette famille. Cette démarche est d'essence métaphysique dans la mesure où elle dépasse l'animalité de l'homme, qui ne saurait se limiter à un élément de la nature. Par sa pensée, l'homme se singularise, et devient capable de s'élever au-delà de la contingence de sa condition humaine, au sens charnel. Par sa pensée, l'homme plonge dans le fond de sa conscience en quête de la vérité de son être : "si j'insiste tant sur la composante métaphysique, c'est parce que je suis convaincu que c'est la voie nécessaire pour surmonter la situation de crise qui s'étend actuellement dans de larges secteurs de la philosophie..."[80].

 

            De la vie extérieure : histoire et politique

 

L'esprit formé, conscient de sa condition transcendante, de son être métaphysique, l'homme va être capable d'agir pour devenir ce qu'il est[81], témoigner une certaine "cohérence"[82]. Inséré dans l'histoire, il va progressivement prendre conscience de sa capacité à être davantage, c'est-à-dire à mûrir, à devenir adulte, responsable. L'époux, le père de famille savent combien cette responsabilité peut être lourde à porter, à assumer. Humblement, ils vont s'efforcer d'être des exemples pour leurs proches, et, parfois, au-delà, en témoignant de leur être profond dans leur vie sociale et professionnelle. Dans tous les cas, de la petite polis qu'est la famille, à la grande polis qu'est la Cité, ils tenteront d'être fidèles à ce qu'ils croient, imparfaitement et courageusement car la vérité suppose la plus profonde des conversions : sortir de soi pour chercher le Vrai.

 

Peut-être pourront-ils alors se dire chrétiens, catholiques, inaccomplis, mais en route, libres, véritablement libres. Comme l'écrivait celui qui n'était encore "que" le cardinal Ratzinger : "le lien à la métaphysique et le lien à l'histoire, se conditionnent et se rapportent l'un à l'autre ; ils constituent ensemble l'apologie du Christianisme en tant que religio vera"[83].

Jean Paul II et déjà Benoît XVI ont témoigné de ce que la religion du Christ n'est pas une doctrine mais La Vie, "Par lui et avec Lui", reliant le Ciel et Terre, et donc notre Vie avec toutes ses joies et ses peines et même ses moments où tout semble dépourvu du sel de la terre. Mais au fond de la nuit obscure, pour reprendre l'expression de St. Jean de La Croix, pour qui Jean Paul II nourrissait une grande admiration, il demeure une lumière d'espérance.

Chaque jour reste à écrire, comme un commencement. Une conversion bienheureuse ?

 

"Ce n'est que si la mesure de notre vie est l'éternité, que notre vie sur terre est grande elle aussi, et qu'elle possède une valeur immense. Dieu n'est pas le concurrent de notre vie, mais le garant de notre grandeur"

. Card .J. Ratzinger, 10 déc. 2000

 

"N'ayez pas peur du Christ. Il n'enlève rien et donne tout.",

 Benoît XVI, Homélie du 24 avril 2005

 

juin 2005

 

_______________________________

 

© THÈMES     III/2005

 



[1] Qu'il me soit permis de dédier cet hommage à ma famille et spécialement à un petit être… Le thème abordé mériterait au moins un ouvrage. En conséquence, nous sollicitons l'indulgence du lecteur compte tenu de la brièveté de cette contribution.

[2] Ce terme "primordial" figure dans la constitution de Vatican II, Dignitatis humanae, n°5. Il a été souvent cité par Jean Paul II : cf. Familiaris consortio, 1981, n°45 ; Lettre aux familles, 1994, n°17 ; Discours à Manille en 2003, IV rencontres mondiales pour la famille. Les textes sont disponibles in : www.vatican.va/holy_father

[3] cf. not. : Benoît XVI, premier discours, le 19 avril 2005 :"après le grand pape Jean Paul II". Dans l'immédiat…

[4] Lors du décès du pape, certains commentateurs ont indiqué qu'il avait publié 85.000 pages. Dans celles-ci, il y a manifestement des plumes… L'une, et non la moindre, est sans doute, celle du cardinal Ratzinger.

[5] Le 9 mai 1981, [l'attentat : 13 mai], le pape a signé un motu proprio [décret] Familia a Deo Instituta, instituant le conseil pontifical pour la famille, qui a remplacé le conseil pour la famille créé par Paul VI en 1973.

[6] Cf. D. Attilio & Di N. Guila-Paola, Une auréole pour deux : Maria et Luigi Beltrame Quattrochi, ed. de l'Emmanuel, 2004. L'ouvrage comprend notamment le texte de l'homélie prononcée par Jean Paul II lors de la messe de béatification, en octobre 2001.

[7] L'expression pourra paraître inappropriée, puisque la vie est inestimable. Toutefois, la formule veut exprimer le fait que la vie est une lutte, et qu'elle a une valeur à porter sans cesse plus haut.

[8] Jean Paul II, Lettre aux familles, n°11.

[9] Il existe de bons d'ouvrages : cf. le plus complet [à notre connaissance et en langue française] et dense : A. Mattheeuws, S'aimer pour se donner, Le sacrement de mariage, éd. Lessuis (Belgique), 2004 ; voir aussi : Y. Semen, La sexualité selon Jean Paul II, Presses de la renaissance, 2004. Sur un plan de droit canonique : Y. Bonnet, La communauté conjugale au regard des lois de l'Église catholique, Cerf, 2004.

[10] On citera également un document émanant de la Congrégation pour la doctrine de la foi, signé par le Cardinal Ratzinger : Lettre aux évêques de l'Église catholique sur la collaboration de l'homme et de la femme dans l'Église et dans le monde, 31 juillet 2004.

[11] On n'y songe guère, mais se marier avec quelqu'un parmi des milliards d'autres être potentiels n'est pas un choix anodin, spécialement aujourd'hui.

[12] Cf. Conseil Pontifical de la Famille, Lexique des termes ambigus et controversés sur la vie, la famille et les questions éthiques, Pierre Téqui éditeur, 2005 (vers. Fr.).

[13] Jean Paul II, Encyclique Fides et ratio, 1998, n°83.

[14] Ce terme de "primordial" est à rapprocher de la conception des "droits premiers" développée par le professeur J.-M. Trigeaud : Droits premiers, éd. Bière (Bordeaux), 2001.

[15] Cet article était écrit quand nous avons pris connaissance du discours du Saint Père Benoît XVI dans la basilique Saint Jean de Latran le 6 juin 2005 consacré à la famille (cf. in Zenit.org, 9 juin 2005). Ce discours est fondamental et se situe dans la parfaite lignée de Jean Paul II.

[16] Jean Paul II, Lettres aux familles, 1994, n°23.

[17] Ce terme est utilisé dans un sens large. En effet, stricto sensu, une vocation est religieuse, dans la mesure où il s'agit d'être appelé par Dieu. En l'espèce, le terme vocation envisage les manières d'incarner un chemin vers Dieu. La vocation ne sera pas limitée à l'état de religieux consacré, mais à d'autres états qui tendent à témoigner d'un appel de Dieu. Il convient d'indiquer que le Catéchisme de l'Église catholique (placé sous le magistère du cardinal Ratzinger) traite du mariage comme d'une "vocation" (cf. index, et n°1603).

[18] Cela est parfois contesté par des anthropologues et ethnologues. Si la famille ne recouvre pas toutes les mêmes situations, il n'en demeure pas moins qu'elle existe universellement. Cf. Jean Paul II, Familiaris consortio, n°17 : "la famille est la première école, l'école fondamentale de la vie sociale".

[19] Jean Paul II, Familiaris consortio, n°42. Nous soulignons.

[20] Jean Paul II, Lettre aux familles, n°17. Nous soulignons.

[21] Cf. les mariages entre les rois (reines) et princes (princesses).

[22] A rapprocher d'une réflexion du cardinal Ratzinger, in Église, œcuménisme et politique, Fayard, 1987, p. 343 : "la famille est la cellule originaire de la liberté. Aussi longtemps qu'on la protégera, un espace minimal de liberté sera garanti. Voilà la raison pour laquelle les dictatures chercheront toujours  à détruire la famille afin d'éliminer cet espace de liberté qui échappe à leur emprise".

[23] Jean Paul II, Homélie lors du jubilé des familles, 15 octobre 2000.

[24] Cf. Y. Semen, La sexualité selon Jean Paul II, op. cit., p.63.

[25] Cf. G. Weigel, Jean Paul II, témoin de l'espérance, J.C. Lattès, p.180s.

[26] Cf. K. Wojtyla, Amour et responsabilité, Stock, trad., 1978 ; Personne et acte, Le Centurion, trad., 1983. Voir : A. Guggenheim, Liberté et vérité, une lecture philosophique de Personne et acte de Karol Wojtyla, Parole et Silence, 2000.

[27] Ce riche ouvrage, dont les préoccupations se retrouvent dans plusieurs encycliques de Jean Paul II, singulièrement Splendeur de la vérité, nécessiterait une étude minutieuse qu'il n'est pas possible d'effectuer dans ce cadre.

[28] On se reportera à l'ouvrage très clair de Y. Semen pour des développements substantiels, qui inspire largement nos développements. Voir aussi : A. Guggenheim, op. cit.

[29] A rapprocher de Benoît XVI, discours à Saint Jean de Latran le 6 juin 2005, précit : "ce n'est que lorsque la sexualité est intégrée dans la personne qu'elle réussit à acquérir un sens".

[30] Le cardinal Wojtyla avait été marqué par la mauvaise réception de l'encyclique Humanae vitae de Paul VI. Alors qu'il avait été invité à participer aux travaux d'élaboration de ce texte, les circonstances ont fait que sa marque n'est pas apparue dans la version finale. Aussi, Jean Paul II a souhaité reprendre la problématique de l'encyclique, avec la portée que l'on sait.

[31] Jean Paul II, Familiaris consortio, n°11.

[32] A. Mattheeuws, op. cit., p.155.

[33] Y. Semen, op. cit., p.36

[34] Y. Semen, op. cit., p.63.

[35] A rapprocher de Benoît XVI, discours à saint Jean de Latran le 6 juin 2005, précit : "mariage et famille ne sont pas en réalité une construction sociologique due au hasard, et fruit de situations historiques et économiques particulières. Au contraire la question du juste rapport entre l'homme et la femme puise ses racines dans l'essence la plus profonde de l'être humain et ne peut trouver sa réponse qu'à partir de là…"

[36] A cet endroit, il faut indiquer que Jean Paul II a porté une très grande attention aux personnes âgées. Notamment, le veuvage ou la simple vieillesse sont synonymes de solitude pour la personne, ce qui est sans doute le plus difficile à vivre pour ces personnes. Celles qui ont la chance d'avoir une famille près d'elles se "raccrochent" aux petits enfants, arrières petits-enfants elles prolongent ainsi la vie, dans la joie. La canicule de l'été 2003 a été symptomatique de l'état d'abandon dans lesquelles se trouvent des personnes âgées. Ce dont elles ont le plus besoin, c'est de l'Autre. Cette réflexion est valable pour ce que l'on qualifie sous le terme "d'exclusion", qui exprime parfaitement le problème soulevé : être séparé de.

[37] Jean Paul II, Lettre aux familles, n°9. Nous soulignons.

[38] A. Mattheeuws, op. cit., p.354.

[39] A. Mattheeuws, op. cit., p.364.

[40] Audience du 29 février 1980, cité in Y. Semen, op. cit., p.155

[41] Cf. D. Attilio & Di N. Guila-Paola, Une auréole pour deux : Maria et Luigi Beltrame Quattrochi, Ed. de l'Emmanuel, 2004. A l'attention des juristes : L. Quattrochi était l'un deux !

[42] Sur le droit canonique du mariage, les juristes pourront se reporter aux discours du pape devant la Rote romaine lors de l'audience de rentrée.

[43] Jean Paul II, Lettre aux familles, n°11.

[44] Cf. par exemple les travaux du psychanalyste : T. Anatrella, Époux, heureux époux, essai sur le lien conjugal, Flammarion, 2004.

[45] On fera le rapprochement avec l'engagement religieux, qui n'exige pas de demi-mesure : le don est total ou il n'est pas un don.

[46] Jean Paul II, Lettre aux familles, n°11.

[47] Ce terme est au cœur de la famille. La fidélité n'est pas statique, mais dynamique. Elle ne se limite pas à une loyauté, mais implique comme l'exprime sa racine, une foi profonde, une communion avec sa source.

[48] Cette question peut être discutée concernant le point de savoir si le mariage est à l'échelle humaine, donc s'achevant par la mort des personnes, ou s'il dépasse la condition humaine. Il convient de préciser que même dans le droit positif le mariage continue de produire des effets après la mort : cf. les notions de conjoints survivants, de veuf sur le plan fiscal, d'usage du nom…

[49] Y. Semen, op. cit., p.151.

[50] Y. Semen, op. cit., p.154. A rapprocher de Benoît XVI, discours à saint Jean de Latran le 6 juin 2005, précit : "le caractère sacramentel signifie (…) que le don de la création a été élevé au niveau de la grâce de la rédemption".

[51] Cf. C. Tricot & R. Zambelli, préface P. Poupard, Le mariage et la transmission par la famille, Les parents de Thérèse de Lisieux dans la cité d'aujourd'hui, éd. F.-X. de Guibert, 2004.

[52] Jean Paul II, Documentation catholique, 1989, n°1994, p.1021.

[53] Quid de l'enfant né d'un viol, d'un inceste, polyhandicapé. Quiconque n'a pas été confronté au problème doit se garder se prononcer un jugement péremptoire. Une chose est d'être un résistant, une autre est d'assumer le martyre.

[54] Entretien de Y. Semen, in Famille chrétienne, n°1380, 2004, p.42. Repris de l'ouvrage précité.

[55] Jean Paul II, Mémoire et identité, Flammarion, 2005, p.162.

[56] Une observation s'impose. Souvent, on soutient qu'il ne faut pas confondre la loi avec le droit. Toutefois, il s'agit de la loi positive avec le droit, incarnation de la justice. En l'espèce, la loi est entendue dans son acception philosophique, au sens de référence normative. La loi et le droit premier se rejoignent pour poser les principes fondateurs d'un Ordre.

[57] A rapprocher de Benoît XVI, discours à saint Jean de Latran le 6 juin 2005, précit : "Aujourd'hui, un obstacle particulièrement menaçant pour l'œuvre d'éducation est constitué par la présence massive, dans notre société et notre culture, de ce relativisme qui, en ne reconnaissant rien comme définitif, ne laisse comme ultime mesure que son propre moi avec ses désirs, et sous l'apparence de la liberté devient une prison pour chacun, séparant l'un de l'autre et réduisant chacun à se retrouver enfermé dans son propre "Moi". Dans un tel horizon relativiste une véritable éducation n'est donc pas possible : en effet, sans la lumière de la vérité toute personne est condamnée, à un moment ou à un autre, à douter de la bonté de sa vie même et de ses relations qui la constituent, de la valeur de son engagement pour construire quelque chose en commun avec les autres".

[58] Dans son homélie du 7 mai 2005 lors de la prise de possession de sa chaire au Latran, le pape Benoît XVI a rappelé que Jean Paul II a souligné "de manière catégorique l'inviolabilité de l'être humain, l'inviolabilité de la vie humaine de sa conception à sa mort". Ce rappel a été fait alors que le pape indiquait qu'il ne doit pas exprimer ses propres idées (dans le cadre de son enseignement papal), mais se placer sous l'obéissance à la foi, à la vérité de la Parole de Dieu.

[59] Jean Paul II, Evangile de la vie, n°71. Nous soulignons.

[60] Jean Paul II, Mémoire et identité, op. cit., p.162

[61] Cardinal Ratzinger (et J. Häbermas), Les fondements pré-politiques de l'État démocratique, Esprit, juillet 2004, p.5 s.

[62] Il conviendrait de développer la question du droit comme limite : limite par rapport au fondement, au-delà duquel le droit n'est plus droit ; et limite par rapport aux sanctions qu'elle implique : si le droit peut guider les hommes, ils restent maîtres de leurs actes, de sorte que le droit est précédé ontologiquement par l'être.

[63] Nous préférons le terme primordial, voire celui de premier au terme fondamental. En effet, ils font davantage ressortir le lien avec l'origine, la source, tandis que l'expression de "droits fondamentaux" a été quelque peu dénaturée : elle signifie aujourd'hui plus les droits très importants que les droits qui renvoient à la vérité même de l'être. Ils sont très kantiens dans leur esprit, et ne posent plus la question métaphysique.

[64] Cf. Y. Floucat, op. cit., p.92

[65] Expression tirée de l'homélie de Benoît XVI du 24 avril 2005.

[66] Jean Paul II, Mémoire et identité, op. cit., p.161.

[67] ibid., p. 156

[68] Jean Paul II, Évangile de la vie, n°20.

[69] Cardinal Ratzinger, Discours à l'institut de France, 6 novembre  1992, La documentation catholique, du 20 déc. 1992, n°2062, p.1084.

[70] La question du traité constitutionnel de l'Europe (qui ne fait pas état des racines chrétiennes de l'Europe, ce qui est objectivement une falsification de l'histoire) est symptomatique. Dans ce traité de plus de 70.000 mots, on trouve tout et son contraire, sachant que la jurisprudence européenne (tant celle de la CJCE que celle de CEDH) a vidé de leur substance certains concepts. Dans ces conditions, sans porter un jugement sur le fond, on peut s'interroger sur la méthode, et l'instrumentalisation du droit, et du terme "constitution" qui exprime précisément ces fondations sur lesquelles l'Europe doit s'établir.

[71] Y. Floucat, Liberté de l'amour et vérité de la loi, Pierre Téqui éditeur, 1998, p.234-235.

[72] Cet terme est notamment employé par un biographe du pape, M. Zieba, in Les papes et le capitalisme, de Léon XIII à Jean Paul II, ed. Saint Augustin, (CH), 2002, p. 202.

[73] Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas la respecter. Bien au contraire : il faut la respecter. C'est l'erreur de certains qui, se justifiant par la charité, croient que la loi peut être enfreinte.

[74] On lira les pages profondes de Jean Paul II, dans de Mémoire et identité, p.67s. sur la miséricorde.

[75] Sur ce thème voir supra, et not. : X. Lacroix (s. dir. de), Oser dire le mariage indissoluble, Cerf, Paris, 2001.

[76] Ce titre est inspiré de l'ouvrage de dom Chauttard, L'âme de l'apostolat, 1915, réd., Ed. traditions monastiques, 2004. Cet ouvrage avait été écrit sous Benoît XV.

[77] A rapprocher de Benoît XVI, discours à saint Jean de Latran le 6 juin 2005, précit : "que chaque famille et toute la communauté humaine redécouvrent dans l'amour du Seigneur la clef qui ouvre la porte des cœurs et qui rend possible une véritable éducation à la foi et à une formation des personnes".  On notera l'usage du terme "redécouvrir", qui sonne comme le témoignage d'un certain abandon actuel de la véritable Foi chrétienne.

[78] Jean Paul II, Lettres aux familles, 1994, n°23.

[79] L'homme contemporain en voulant devenir Dieu se comporte comme un athée, car il refuse Dieu, se considérant, au moins potentiellement comme Dieu lui-même. L'homme-Dieu, pour reprendre l'expression de Luc Ferry, est une funeste illusion : l'homme a une limite qu'il ne peut nier, sa mort.

[80] Jean Paul II, Foi et raison, n°82.

[81] A côté de Jean Paul II et du cardinal Ratzinger, il y avait le discret cardinal Georges Cottier, théologien de la maison pontificale, dont l'œuvre (sur les rapports de la foi et de la raison, reprise de la pensée thomiste, la repentance…) n'en est pas moins importante. Du cardinal Cottier, on pourra lire notamment : Deviens ce que tu es, Enjeux éthiques, Parole et silence (CH), Coll. Sagesse et culture, 2004. Note de lecture, in Thèmes 2004.

[82] Cf. Note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi, concernant certaines questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 2002, n°9.

[83] Card. Ratzinger, Vérité du Christianisme, La documentation catholique, 2 janvier 2000, n°2217, p.32.