Centre français d'études rosminiennes

Année 2001

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LA PERSONNE D'APRÈS ROSMINI :

UNE PRÉSENTATION SOMMAIRE, PHILOSOPHIQUE ET THÉOLOGIQUE

 

 

 Denis CLEARY, i. c.

Rosmini House – Durham/England

 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs.

 

 

Pendant la demi-heure à ma disposition, j'essayerai de présenter en forme sommaire les matières suivantes :

 

1-l'importance générale aujourd'hui de la personne.

2-l'importance fondamentale du sujet d'après Rosmini.

3-Les sources de sa pensée.

4-le contenu de sa pensée au sujet de la personne.

5-le contenu de sa pensée théologique au sujet de la personne par rapport à s. Thomas d'Aquin.

 

Vous comprenez sans difficulté que la matière de cette conférence sera nécessairement exprimée d'une manière extrêmement schématique, et que l'exposé ne sera pas probatoire mais descriptif. Je ne tenterai pas de démontrer si Rosmini a raison ou tord à l'égard de ses assertions, je ne pourrai non plus offrir les raisons propres de ses opinions. Je comprends que ma tâche est de vous renseigner le plus brièvement possible sur sa position relative à la matière en discussion. En particulier, j'accepte de devoir consacrer l'essentiel de mon propos à la description de la personne en général, telle que Rosmini la conçoit. On ne peut pas arriver même à un résumé de son opinion autour de la notion théologique de personne sans avoir établi les fondations, les principes concernant la personne sur qui s'appuie la notion théologique.

 

 

Importance de la personne aujourd'hui.

 

Le besoin de souligner l'importance actuelle de la personne est surtout nécessaire, non parce qu'une telle notion manque, mais parce qu'il y a une confusion autour de la notion, et autour des manières pratiques aux moyens desquels on l'affirme. Je dis 'les moyens pratiques au moyen desquels on l'affirme' afin de rendre évident que je traite plus des suppositions voilées de notre culture moderne occidentale que du fond philosophique. Il n'est pas difficile de comprendre que les fameux, ou mieux infâmes vandales de football chez nous, anglais – pour me servir d'un exemple extrême – se comportent d'après une notion de personne qui rend l'individu autonome, égoïste et totalement oublieux de quelque société que ce soit.

La reconnaissance de vrais droits humains reste au minimum parce que la source de tels droits s'est réduite, dans notre culture, à des mesures quantitatives qui garantissent que "la quantité" la plus grande soit l'arbitre suprême des droits : l'État par rapport à l'individu, la majorité par rapport à la minorité, une grande taille par rapport à une petite taille. Par exemple, il suffit de se rappeler l'un des principes qui servent de base à l'avortement : si l'on est assez grand et fort pour sortir du ventre de sa mère, on a bien le droit à la vie ; mais sinon, l'on en a pas le droit, et l'on peut perdre la vie.

Cette vue quantitative de la personne, et conséquemment des droits qui adhèrent à la personne, dépend elle-même de l'orientation subjectiviste qui vaut dans la philosophie occidentale depuis trois siècles. L'on exagérerait à peine si l'on disait que le supermarché, et tout ce qu'il représente symboliquement, est la ride finale de la vague créée par John Locke.

 

 

 

Importance fondamentale du sujet d'après Rosmini.

 

Les opinions de Rosmini autour de la personne sont bien loin de notre doctrine culturelle et superficielle, qui, par rapport à la personne a l'air plutôt d'une excroissance que d'un vrai élément fondamental de la doctrine. Il dit : "Ce mode (objectif et subjectif d'être, sans lequel l'homme ne conçoit rien) suppose que l'être ait son propre acte, que l'être soit quelque chose en soi-même et donc ait un SOI, une personnalité. De fait, l'être n'est pas complet s'il n'est pas personne. Personne est la condition ontologique de l'être¹". Il est difficile d'imaginer une affirmation plus explicite de l'importance de la personne que celle contenue à la fin de la citation : "De fait, l'être n'est pas l'être complet s'il n'est pas personne. Personne est la condition ontologique de l'être".

 

 

Les sources de la pensée de Rosmini.

 

Personne, condition ontologique de l'être, indique cependant non pas seulement l'importance fondamentale de la personne dans ce que Rosmini appelle "le système de la vérité", mais elle indique aussi que ce système, exprimé bien entendu en langage philosophique, s'enracine dans quelque chose de plus profond que la philosophie. C'est surtout le cas quand on considère que "la personne finie doit bien sûr avoir les constituants essentiels de la personne en général, autrement elle ne serait pas personne. Mais elle possède ces constituants selon un mode relatif"² . Ce qui a les constituants essentiels de la personne selon un mode relatif ne peut pas être la condition ontologique de l'être. Pour retrouver cela, il faut prendre l'être qui a ces constituants essentiels selon le mode absolu. Cette nécessité nous indique que le point primaire de départ de la réflexion selon Rosmini n'est pas, dans ce cas, la personne humaine finie, d'où aucun assentiment ne peut être donné à l'infini, mais la personne au sens de la foi et par là au sens théologique. Rosmini commence, en cette matière comme tant d'autres, par les données de la Révélation et, partant de ce que nous pouvons nommer "les conclusions de la foi", il se dirige vers le raisonnement, un raisonnement valable, philosophique, autour des implications (applicables à la nature), qui sont innées à la foi. Dans notre cas, par exemple, la personne qui réfléchit voit que toute la nature humaine subsistente qui tombe sous notre expérience naturelle doit être une personne. Aux questions : "Qu'êtes-vous" et "Qui êtes-vous?", chaque nature humaine subsistente peut répondre et répond en effet d'une manière humaine. Autrement dit, il n'y a qu'une nature, et à cette nature correspond une personne humaine. Mais cela n'est pas le cas du Christ. On peut lui demander : "Qu' êtes-vous?" et la réponse sera double : "Dieu et homme". On peut lui demander : "Qui êtes-vous?" et la réponse sera : "Jésus Christ", c'est-à-dire une seule personne divine et non pas humaine. En lui, il n'y a pas de personne humaine qui correspond à la nature humaine, quoique la nature soit parfaite sans manquer de rien.

Comment cela est-il possible? Rosmini, tel qu'un petit élève pourvu de la réponse à un problème (la similitude est propre à Rosmini³ ), peut maintenant – je veux dire logiquement et non chronologiquement - dévouer son énergie à expliquer les principes fondamentaux propres à la notion de la personne telle qu'elle est, et aussi aux qualités distinctives des personnes divines et des personnes humaine4 . En disant cela, je ne veux pas donner à entendre que la méthode de Rosmini n'était que logique. Aucun doute n'existe qu'au cours de sa vie il ait puisé profondément dans la foi et dans la prière mystique en son effort de pénétrer la signification de la Création avec le problème inhérent à celle-ci de l'Un et du Multiple. Néanmoins, le raisonnement peut utiliser comme base de réflexion la vérité pourvue par la foi. Rosmini dit lui-même : 'Toutes les fois qu'il est possible de présenter des démonstrations rationnelles de l'existence d'une trinité de Dieu, cette existence devient une proposition scientifique comme les autres, quoique la science doive historiquement cette augmentation et cette perfection à une source différente d'elle, c'est à dire, dans notre cas, à Dieu qui se révèle aux hommes comme maître et autorité. Or, la démonstration que nous donnerons de la proposition que Dieu subsiste dans une trinité de personnes sera la suivante - et je ne peux plus que de l'indiquer - : Toute les fois que l'on nie cette Trinité, des conséquences manifestement absurdes arrivent de toutes parts, et la doctrine de l'être, portée à ses résultats ultimes, devient un chaos des contradictions les plus manifestes. Cette démonstration sera éclairée peu à peu par toute la théorie de l'être que nous allons traiter5 .

 

 

Le contenu philosophique de la pensée de Rosmini au sujet de la personne.

 

Mon exposé du contenu philosophique de la personne vise simplement à attirer l'attention sur ce que dit Rosmini à ce niveau. Dans une conférence de ce genre, il sera inutile et improductif d'essayer d'expliquer les ramifications de la pensée. De plus, il faudra décrire les éléments constitutifs de la nature humaine, telle que Rosmini l'a considérée, avant que l'on pût même espérer s'accorder avec la doctrine sur la personne. En fait, c'est précisément ce chemin qu'il prend lui-même dans l'ouvrage qui servira toujours comme l'introduction de base à ses vues sur la matière : Antropologia nel servizio delle scienza morale (Anthropologie au service de la science morale). Dans cet ouvrage, divisé en quatre livres, Rosmini traite de l'humain (le premier livre), l'animalité (deuxième livre), la spiritualité6 (troisième livre) et le sujet humain (quatrième livre).

Le premier élément de la nature humaine c'est la lumière de la raison – non la raison elle-même ou le raisonnement, mais la lumière  qui nous rend capables de raisonner et qui constitue les êtres humains comme des sujets intelligents. Cette lumière est essentiellement objective ; on ne peut ni la définir, ni l'expliquer elle est la base de toute explication que nous pouvons donner comme des êtres raisonnants ; elle est l'être lui-même qui est vu en toute sa possibilité, et par là, en sa nécessité, en son immutabilité. Les caractéristiques en sont divines, bien qu'elle ne nous donne pas elle-même de vision directe de Dieu. Cette lumière sert de base à ce que nous indiquons chaque fois que nous disons "est" ; nous savons très bien la signification de ce petit mot quoique personne ne nous en ait jamais expliqué la signification, ni jamais ne nous l'expliquera, mais qui, une fois déterminée au moyen du sentiment (qui est l'élément constitutif de la nature humaine) nous rend capable de percevoir d'autres êtres, c'est à dire de juger de leur existence. Cependant, cette lumière ne nous montre rien de la réalité  des choses. Par exemple, je peux penser au petit déjeuner dans la lumière de ma raison, mais le petit déjeuner compris de cette façon est seulement la nourriture pour la pensée, pas du tout la réalité nutritive qui apaise ma faim. En somme, cette lumière de la raison est la lumière de l'être, l'"idée de l'être", comme l'appelle Rosmini. Nous la reconnaîtrions peut-être plus promptement selon sa fonction comme base de la moralité et du droit, une fonction merveilleusement décrite par le pape Jean-Paul II en des mots qui répètent tant en écho ce qui préoccupait la pensée même de Rosmini : "rationis naturalis lumen quod est repercussio splendoris vultus Dei in homine', ce qui est aussi 'lumen rationalis quo discernimus quid sit bonum et quid sit malum - quod pertinet ad naturalem legem - nihil aliud sit quam impressio divine luminis in nobis"7 ". Il est inutile d'étudier le rapport entre l'idée de l'être et le droit humain, ou la dignité essentielle de l'être humain, ce qui doit renvoyer à la lecture intitulée Rosmini et la philosophie du droit.

Le deuxième élément de la nature humaine est le sentiment fondamental, c'est à dire, ce qui constitue l'être humain en réalité, et fournit la base de l'action naturelle de l'être humain. Toute activité vraiment humaine doit se faire selon les directives qui se trouvent naturellement, bien qu' implicitement, dans l'idée de l'être et qui se présentent à nous sous le titre de 'la loi naturelle'. Cette activité se fonde sur une reconnaissance pratique, de la part de la volonté, des choses telles qu'elles sont, d'après l'ordre de l'être. Cette reconnaissance est un acte essentiellement personnel, comme nous allons voir.

A ce point, je peux commencer la description promise de la doctrine de Rosmini sur la personne. Lui-même en a fait le sommaire dans une série lapidaire de définitions, et je ne peux rien faire de mieux que de présenter la matière suivant ses propres mots. Ce qui nous permettra de résumer tout ce que nous avons dit, de voir dans une certaine mesure le processus de son raisonnement, de saisir en quelques mots une définition de la personne à laquelle nous pouvons ajouter en bref d'autres explications toujours fournies par Rosmini lui-même. Ainsi :

 

-«1. L'Essence  est 'ce que l'esprit intuitionne dans une idée'.

- 2. La Substance est 'le premier acte de l'être à travers lequel subsiste une essence'.

- 3. Individu (substantiel) est une 'substance en tant qu'elle est indivisible, incommunicable et possède tout ce qu'il faut à sa subsistance'.

- 4. Sujet est 'un individu sentant, en tant qu'il contient en soi-même un principe suprême actif'.

- 5. Un sujet intellectif est 'un sujet qui intuitionne l'être idéal'.

- 6. Un sujet humain est 'un sujet qui est simultanément un principe de l'animalité et de l'intelligence'.

- 7 Moi-même est 'un principe actif dans une certaine nature en tant que le principe est conscient de soi-même'.

- 8. La personne est 'un sujet intellectif en tant qu'il contient un principe suprême actif'8 .

Dès le début de cet ouvrage, continue-t-il, j'ai défini l'être humain comme un sujet animal, intellectif et volitif. Puis j'ai divisé la définition en deux parties de telle façon que l'on pourrait discuter chaque partie séparément. Ces parties sont au nombre de trois : l'animalité, l'intelligence, et le principe commun à la fois à l'animalité et à l'intelligence (le sujet). Jusqu'ici, je n'ai traité que des deux premiers, l'animalité et l'intelligence ; maintenant, je dois considérer le sujet  humain qui est simultanément un principe animal et intelligent. J'aurais alors accompli, de mon mieux, la tâche que je me suis donné, c'est-à-dire d'examiner la définition de l'être humain en toutes ses parties, ce qui est la fin ultime de l'anthropologie.

Il me faut donc commencer par examiner ce que veut dire sujet en général. Ce faisant, l'on prépare le chemin à la discussion sur le sujet humain9».

Désormais, Rosmini discute la signification de sujet  par rapport à l'être humain jusqu'à ce qu'il se sente capable de renouveler et d'épurer la définition qu'il a donné de la personne. Je présente la matière encore une fois selon ses propres mots. Il est à noter qu'il parle de personne en général. Plus tard, j'ajouterai l'élément constitutif, spécifique de la personne humaine pour faire une observation sur ce qu'il dit ici.

On peut définir la personne comme un sujet intelligent. Une définition plus précise serait : La personne est un individu substantiel, intelligent en tant que l'individu contient un principe suprême, actif, et incommunicable.

Si nous comparons cette définition avec celle déjà donnée de sujet, nous voyons que les mots sujet et personne expriment l'ordre intrinsèque de l'être dans un sentiment individuel. Ils ont chacun, comme leur fondation, un rapport entre le principe intrinsèque (de quoi dépendent la subsistence et toute l'activité de l'individu) et toute autre chose dans l'individu qui est soutenue et activée par le principe.

Il est vrai que toutes les choses dans un individu substantiel ne constituent à proprement parler ni le sujet, ni la personne, mais, comme je l'ai dit, le sujet et la personne sont fondés sur le principe suprême au sein de l'individu. Les autres éléments, qui peuvent vraiment former une partie de l'individu lui-même n'appartiennent au sujet ou bien à la personne qu'au moyen de leur lien très serré avec le principe suprême, en vertu de quoi ils subsistent, et avec quoi ils forment un seul individu.

Donc, de la même façon que nous appelons sujet ce qui est un principe d'activité dans un sentiment individuel quelconque, soit intelligent soit non intelligent, nous appelons personne ce qui est le principe suprême dans un individu intelligent. Ainsi, la différence entre le sujet et la personne est la différence entre le genre et l'espèce, parce que nous prenons le sentiment au sens le plus universel, y compris la compréhension (la compréhension peut se réduire à un type particulier du sentiment). Par conséquent, la personne est une classe des sujets les plus nobles, les plus intellectifs10 .

La définition indique aussi les autres propriétés de la personne. La personne doit être :

 

   Premièrement, une substance.         

   Deuxièmement, un individu, par conséquent, un individu qui appartient aux choses réelles, non purement idéales.

   Troisièmement, intelligent.

   Quatrièmement, un principe actif – en ce cas, on doit comprendre activité  au sens le plus large, y compris d'une certaine façon, la passivité. La personne est le principe auquel, comme à une source ultime, s'est référée toute la passivité et l'activité de l'individu.

   Cinquièmement, un principe suprême, de telle sorte que dans l'individu, rien n'est présent qui soit supérieur à ce principe et change son existence. Si d'autres principes sont présents, ils doivent dépendre du principe suprême et ne subsistent dans l'individu qu'au moyen de leur lien avec l'individu.

Il faut noter que le principe personnel s'appelle suprême, non parce qu'il doit avoir d'autres principes en-dessous de lui, mais parce qu'il exclue tout principe au dessus de lui. Le mot 'suprême' pourrait donner l'impression d'avoir quelque chose en dessous de lui puisqu'il a l'air d'impliquer un rapport avec quelque chose de plus bas. Mais appeler suprême ce qui pourrait être en effet unique ne peut pas être inacceptable – par exemple, premier peut signifie une chose sans référence à d'autres choses. Cependant, indépendant, ou quoique ce soit de semblable, pourrait être substitué à suprême.

Sixièmement, incommunicable. Ceci est une conséquence des propriétés précédentes, et d'une certaine façon est compris dans la notion de l'individu. Un individu ne peut pas se communiquer sans cesser d'être l'individu qu'il était. Il faut que l'incommunicabilité du sujet et de la personne soit comprise de cette manière.

Tous ces faits nous indiquent que la personne n'est pas absolument et nécessairement identique à ce qui est exprimé par le mot moi-même. Il y là une différence marquée, une différence de concept, entre la personne et moi-même comme il y a également une différence entre sujet et moi-même. Il est vrai que moi-même  exprime principalement un sujet intelligent, et nous nous servons du mot pour signifier seulement notre propre personnalité dont nous sommes conscients. Pour cette raison moi  s'exprime avec un pronom personnel. Mais si nous considérons la matière avec soin, nous pouvons imaginer sans contradiction dans l'individu un principe intellectif qui est conscient de lui-même sans être principe suprême. Le mot moi, mais non pas le mot personne  pourrait être appliqué avec raison à ce principe11 .

Il est à noter avec Rosmini, que la personne ne peut pas signifier simplement substance ou rapport. Le mot doit signifier une relation substantielle, c'est-à-dire une relation fondée dans l'ordre intrinsèque de l'être d'une substance. La référence implicite à la Bienheureuse Trinité, et les relations qui constituent les Trois Personnes, est manifeste. On pourrait développer encore davantage l'argument mais pour être bref, il faut que nous nous contentions d'offrir la définition de relation d'après Rosmini, ce qui peut nous ouvrir les yeux à de merveilleuses conclusions en ce qui concerne la Bienheureuse Trinité Rosmini dit que 'relation' désigne 'l'entité que notre esprit voit au moyen de la comparaison de deux autres entités, une entité qu'il ne pourrait voir en une seule entité, si l'autre est complètement laissée à part12 .

Relativement à la référence à la personne humaine et au principe suprême actif qui, dans le sujet humain, fait le rapport entre le sujet et la personne, il suffit de nous rappeler ce qui suit : "Dès les premiers moments de l'existence humaine, la personnalité humaine a son siège dans le principe objectif d'action (la volonté), et se développe avec ce principe… Supposons que le principe objectif où est situé la personne se soit pleinement développé et ait atteint la phase de la liberté, alors (s'il en est ainsi) le principe ne peut agir librement que parce que la liberté est son activité suprême. En d'autres mots il doit agir librement parce que la personne, en accord avec sa manière d'action, est gouvernée par cette loi ; elle doit agir toujours par son activité très sublime, étant donné les conditions nécessaires pour exercer son action13.

 

 

 

Le contenu de sa pensée théologique au sujet de la personne en référence à s. Thomas d'Aquin.

 

En ce qui concerne la personne, on peut accepter Rosmini comme disciple fidèle de s. Thomas si l'on compare les descriptions de la personne données par chacun. S. Thomas dit que Personne  signifie ce qui est le plus parfait de toute nature, c'est à dire ce qui subsiste dans une nature rationnelle. Rosmini : "La personne est un sujet intellectif en tant qu'il contient un principe suprême, actif". Au niveau métaphysique et religieux le plus profond, les deux penseurs ont soin d'indiquer le composant suprême de la personne comme quelque chose qui n'est pas nécessairement la volonté, soit humaine, soit divine : ce qui est parfait de toute la nature, un sujet intellectif en tant qu'il contient un principe suprême actif. Tous deux se rendent bien compte qu'admettre la volonté (ou bien simplement l'intellect) - telle qu'elle est- comme l'élément constitutif de la personne mène inévitablement à l'hérésie. Il y a trois Personnes en Dieu, mais pas trois volontés ; il n'y a qu'une Personne en Christ, mais deux volontés (et deux intellects). La volonté, comme l'élément constitutif essentiel de la personne nous conduirait à avancer une Personne en Dieu et deux Personnes en Christ. Pourtant, si le principe suprême actif dans un être simplement humain est la volonté humaine, il est alors l'élément constitutif de la personne dans cet être, mais non nécessairement en quelque autre être. Dans le Christ, le principe suprême actif et ce qui est le plus parfait de la nature est le Verbe, lui-même Personne à cause de sa relation au Père, de la même façon que les trois Personnes de la Bienheureuse Trinité, à cause non pas de la volonté divine mais de leur relations l'une à l'autre.

Rosmini, alors est-il disciple fidèle de Thomas au niveau de la personne humaine où, comme il dit, le principe suprême actif est la volonté? Une réponse en quelques mots n'est pas possible. Toutefois, l'on peut en dire suffisamment pour écarter le doute sur sa fidélité de disciple en cette matière. Comme nous l'avons vu, s. Thomas fait mention de ce qui est plus parfaitd'une nature rationnelle en attirant notre attention sur l'élément constitutif de personne ; Rosmini parle d'un principe suprême actif. Or, la volonté d'après s. Thomas est certainement suprême (le plus parfait) en tant qu'elle meut activement (per modum agentis) d'autres facultés, y compris l'intellect ; "de cette manière, la volonté meut l'intellect et tous les pouvoirs de l'âme14". En appelant la volonté le principe suprême actif dans la personne humaine, Rosmini rend simplement explicite ce que s. Thomas appelle le plus parfait dans sa référence à la personne. C'est pourquoi l'on peut dire que Rosmini accomplit sa tâche en se servant de s Thomas lui-même.



4 L'importance qu'accorde la théologie à la philosophie est souvent occultée. Il en est un exemple, souligné par Rosmini lui-même, en la valeur d'enseignement de l'Eucharistie, dans la perspective de la notion de corps véritable. Si, dans ce cas, le corps de Jésus dans l'Eucharistie est celui né de la Vierge Marie, mais présent aussi dans le sacrement sans sa forme visible, où donc se situe l'essence du corps? Le problème se pose non à cause d'un manque de foi, mais plutôt parce que "visus in te fallitur"…"nil hoc verbo Veritatis verius".

5 Teosofia, 192

6 Spiritualité n'est pas ici employé dans le sens vie spirituelle, mais en référence à l'esprit comme élément constitutif de la subjectivité humaine.

7 La lumière naturelle rationnelle est le reflet du splendide visage de Dieu en l'homme…

…lumière rationnelle par laquelle nous discernons soit ce qui est bien, soit ce qui est mal - ce qui relève de la loi naturelle- ne visant rien d'autre que ce qui est imprimé par la lumière divine en nous.

8 Veritatis splendor, 43. La partie finale de la proposition est de s. Thomas d'Aquin, S.T., 1-11, q. 91, art.1.

9 Antropologia in servicio della scienza morale, 764-770, Roma, 1981.

10 Comp.S.T., I, q.29, art.3, rép.et (S.T., I, q. 29, 3 sol. 2).

11 Ibid, 822-837.

12 Teosofia, 904.

13 Antropologia in servizio della scienza morale, 860.

14 S.T., I-II, q.82, art. 4; v. ibid., art. 3 pour une discussion sur le point de savoir comment l'intellect est supérieur à la volonté, et la volonté à l'intellect.