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La
recension des Essais de Théodicée
dans les Acta Eruditorum par Wolff :
une
reconstruction systématique ?
par Arnaud
Lalanne,
professeur de
philosophie (Bordeaux), doctorant Université Paris IV-Sorbonne.
Pour
prolonger l’intérêt suscité par la célébration du tricentenaire de l’édition
des Essais de Théodicée (1710-2010)
de Leibniz, nous voulons proposer aujourd’hui une traduction française inédite
de la recension des Essais par
Christian Wolff, parue entre mars et avril 1711 dans les Acta Eruditorum. La célébration de cet autre tricentenaire ne vise
pas seulement les chercheurs leibniziens, mais s’adresse également aux
wolffiens qui travaillent sur l’idée de Théodicée. Déjà du vivant de
Leibniz, Wolff fut un de ceux qui permirent la diffusion du « leibnizianisme » - au point même
qu’on parla de « Leibniziano-wolffisme ».
Trois cents ans après la parution de cette recension, ce texte peut à nouveau
servir d’introduction et d’entrée dans l’œuvre leibnizienne.
Mais,
si les érudits du début du 18ème siècle préféraient la langue
latine, comme Wolff ici, pour exposer les « principes et les dogmes »
d’une pensée, il apparaît aujourd’hui que la langue vernaculaire est plus
« adaptée à ce projet » (voir recension p. 168). C’est donc par le
biais d’une traduction que nous avons pensé redonner aux lecteurs contemporains
l’accès à l’œuvre maîtresse de Leibniz. Nous avons d’ailleurs facilité le
va-et-vient entre la recension et la Théodicée en insérant des notes de renvoi
aux passages des Essais cités ou
traduits par Wolff. Ce texte constitue une introduction, ou plutôt un
« résumé » systématique et méthodique des Essais.
1. Le rôle de Wolff dans la diffusion des Essais de Théodicée :
Wolff
entra en contact avec Leibniz en lui envoyant son De algorithmo infinitesimali differentiali à la fin de l’année
1704. C’est apparemment Wolff qui a pris l’initiative de cet envoi, mais, dans
son autobiographie (Christian
Wolff’s eigene Lebensbeschreibung, édité par H. Wuttke. Leipzig 1841, p. 133), il rapporte que le premier
contact eu lieu par l’intermédiaire du rédacteur des Acta Eruditorum, Otto Mencke. Ce dernier envoya à Leibniz l’étude
de Wolff De Philosophia practica
universali et lui demanda son avis. La réponse de Leibniz a été si
élogieuse que Mencke engagea Wolff à collaborer aux Acta Eruditorum. L’impression si favorable de Leibniz n’était sans
doute pas sans lien avec l’envoi de la dissertation sur le calcul différentiel
(voir Gerhardt, Briefwechsel zwischen
Leibniz und Christian Wolff, Halle, 1860, pp. 11-13). Le travail aussi bien
de moraliste que de mathématicien de Wolff éveilla assurément l’intérêt de
Leibniz.
N’y
a-t-il pas également une forme de stratégie de la part de Leibniz qui s’assure
un soutien dans la lutte qu’il a à mener contre les Newtoniens qui lui
contestent la paternité du calcul différentiel ? Leibniz recommande donc
Wolff lors de ses différentes candidatures au poste de professeur de
Mathématiques : à Giessen d’abord en 1705, puis à Halle, à la fin de
l’année 1706, où Wolff fut finalement accepté grâce à Leibniz. Ce dernier peut
alors compter sur Wolff pour le défendre contre les différentes attaques qu’il
a à subir, en particulier après la publication des rapports de l’Académie
Royale de Londres.
Mais,
vers l’été 1707, ce n’est plus seulement au moraliste et au mathématicien, mais
au métaphysicien que Leibniz confie la charge de recopier certains passages des
Essais de Théodicée, comme nous
l’apprend une « note marginale de la main de Leibniz lui-même »[1].
Il ne s’agit pas de réduire Wolff au rôle de copiste ou de secrétaire, mais, au
contraire, d’y voir un moyen, pour Leibniz, de faire connaître à Wolff les
principes de sa philosophie[2].
C’est donc comme une marque de confiance et d’estime qu’il faut comprendre
cette mission. Et, s’il y eut plusieurs copistes du manuscrit, et différents
états du brouillon, cela ne signifie pas que Leibniz ait écarté Wolff de son
projet. Ce dernier a eu une connaissance directe de la genèse des Essais de Théodicée.
Là
encore, on pourrait voir dans le choix de Wolff une « stratégie » de
défense de la part de Leibniz. En effet, l’idée d’une théodicée a déjà
germé dans l’esprit de Leibniz vers 1697, mais qu’il en a constamment reporté
la publication. La rédaction des différents plans de l’œuvre s’explique par un
double contexte : celui des débats iréniques entre les églises
luthériennes du Hanovre et les églises calvinistes du Brandebourg, et celui des
débats à la cour de Berlin en 1702 à propos du Christianisme non mystérieux de Toland et de certains passages du Dictionnaire de Bayle. Or, après la mort
de Bayle en 1706, Leibniz reporte l’édition des Essais pour éviter de donner l’impression qu’il poursuit les
polémiques déjà engagées par Jaquelot ou même par Philippe Naudé (à partir de
1708). Ce n’est donc qu’en 1710 que les Essais
sont édités à Amsterdam chez Isaac Troyel. La première édition est faite sans
nom d’auteur : Leibniz craint d’être pris pour cible dans une nouvelle
polémique. S’il s’est résolu à cette édition, c’est parce qu’il pense que son
œuvre est nécessaire et utile, mais surtout, dans une stratégie de prudence,
qu’elle sera soutenue. On peut donc supposer que Leibniz ne révèle son identité
que lorsqu’il est sûr que son texte pourra être reçu de tous.
Wolff
est donc une garantie de soutien supplémentaire dans la polémique que pourrait
susciter la Théodicée. D’ailleurs,
les premières recensions des Essais,
publiées dans les Unschuldigen
Nachrichten de Leipzig (ville natale de Leibniz et ville où étaient édités
les Acta Eruditorum), ne furent pas
toujours élogieuses. En effet, l’auteur des Cogitata
ad Librum recensitum [pensées sur l’ouvrage ayant fait l’objet d’une
recension, i.e. les Essais de Théodicée]
qui se cache sous le pseudonyme de « Charitheus » est, en fait,
Valentin Ernst Löscher. Il s’agit d’un
collaborateur régulier des Acta
Eruditorum[3],
et son but est de défendre une stricte « orthodoxie » luthérienne en
matière de théologie, comme le souligne Stefan Lorenz[4],
en particulier en matière de salut ou du « décret d’élection ». Pour
lui, le système de l’harmonie préétablie est conçu comme une prédétermination
trop rationnelle, comme si Leibniz avait
voulu mettre la sagesse à la place de la Grâce[5].
On retrouvera le même type d’argumentation chez un autre collaborateur régulier
des Acta Eruditorum, Johann Franz
Budde, professeur à Iéna, qui fera d’ailleurs paraître, en 1712[6],
le principal écrit polémique contre les Essais.
C’est contre ces attaques que Leibniz doit se défendre de son vivant, mais
contre lesquelles Wolff devra se défendre à son tour après la mort de Leibniz[7].
En
considérant toutes ces circonstances, il nous a semblé que Leibniz ne pouvait
pas être totalement étranger au choix de Wolff comme recenseur de ses Essais dans les Acta Eruditorum. On imagine mal, en effet, Löscher ou Budde, les
principaux critiques des Essais du
vivant de Leibniz, faire une recension polémique dans la revue que Leibniz
animait depuis sa création. On ne trouve dans la correspondance de Leibniz
aucune preuve formelle de la participation de Wolff à la recension dans les Acta. Cependant, il est clair qu’il
devait en avoir été averti par Wolff ou même qu’il avait peut-être œuvré pour
que ce soit Wolff, plutôt que Löscher ou Budde, qui en soit chargé.
2. Une approche systématique des Essais de Théodicée ?
Il
nous semble que le principal intérêt du texte de Wolff, est sa volonté de
rendre les principes de la théodicée systématiques
et de proposer une reconstruction méthodique
des thèses et des arguments principaux. Wolff reprend en cela l’idée de Leibniz
qui avait proposé en Appendice un
« abrégé » et un court traité en latin, la Causa Dei, résumant les acquis théoriques de la discussion.
Les
thèmes « de la bonté de Dieu, de la liberté de l’homme et de l’origine du
mal » (sous-titre de l’œuvre) trouvent comme une architecture nouvelle,
mais en conformité avec le sens originel du projet de
« théo-dicée » : plaider la « cause de Dieu » (causa Dei) pour établir la
« justice divine ». Wolff reste fidèle à l’esprit de cette
« plaidoirie », puisqu’il place la discussion avant tout sur un plan
logique et théorique. Le propos de la théodicée est d’abord rationnel et
discursif : c’est comme du point de vue de l’entendement divin qu’il faut
se placer. Ainsi le reproche du théocentrisme que l’on adresse à Leibniz semble
assumé par Wolff dans cette recension[8].
Mais cela ne signifie en rien l’oubli du
problème du mal, ou de l’expérience humaine, comme le croyaient Budde et
Löscher ; au contraire, cela implique une prise en compte globale et
systématique, à l’aune de la « sagesse divine ». Aussi serait-il
exagéré d’accuser Wolff aussi bien que Leibniz « d’optimisme » naïf :
cela reviendrait à situer le débat hors de son lieu propre.
Or,
si les Essais de Théodicée forment
pour Leibniz une « quasi-sorte de science »[9],
le contenu de cette science n’est donné que pour répondre aux objections que
les adversaires de la cause de Dieu doivent formuler en premier. Le contenu
« doctrinal » (Rateau op. cit.
p. 53) des Essais est donc d’abord
une ligne de défense à opposer à d’éventuelles attaques contre la justice
divine. Comme le rappelle Leibniz, « un soutenant (respondens) n'est point obligé de rendre raison de sa these, mais
il est obligé de satisfaire aux instances d'un opposant. Un defendeur en
justice n'est point obligé (pour l'ordinaire) de prouver son droit, ou de
mettre en avant le titre de sa possession; mais il est obligé de repondre aux
raisons du demandeur. Et je me suis étonné cent fois qu'un auteur aussi exact
et aussi penetrant, que M. Bayle, mêle si souvent icy des choses où il y a
autant de difference qu'il y en a entre ces trois actes de la raison:
comprendre, prouver, et répondre aux objections; comme si lorsqu'il s'agit de
l'usage de la raison en Theologie, l'un valoit autant que l'autre » (Essais, discours préliminaire § 58 GP VI p. 82). C’est ce contenu de
l’argumentation leibnizienne que Wolff, le premier, a exposé dans sa recension
des Essais parue entre mars et avril
1711 dans les Acta Eruditorum.
La
recension de Wolff, lue dans toute la République des Lettres au début du 18ème
siècle, cherche donc à retirer l’essentiel de la doctrine leibnizienne, même si parfois le texte semble lu oculo fugitivo. Son principal mérite est
de donner une structure argumentative simple, qui servira d’ailleurs pour les
autres recensions. Peut-être remplit-elle la fonction de « fil
d’Ariane », tant souhaitée par Leibniz, pour se guider dans le labyrinthe des
controverses et pour servir d’essai d’une « métaphysique
démonstrative », où l’on ne doit retenir que ce qui est susceptible de
démonstration et de définition.
3. Les grandes lignes de la recension :
Jean-François
Goubet a déjà commenté précisément la recension de Wolff, en suivant l’ordre
des Essais (la préface, le discours
préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, les trois parties et
les annexes) : nous renvoyons naturellement à son remarquable article (op.
cit. pp. 104-111).
De
façon générale, nous pouvons souligner la parfaite conformité de Wolff avec
l’esprit des Essais. Il n’y a pas de
critique directe des principales affirmations des Essais, à la différence de la recension de Löscher. Au contraire,
le ton est plutôt à la louange, Leibniz étant toujours qualifié d’« illustre » et ses arguments étant
présentés comme décisifs. Mais, dans le détail, Jean-François Goubet relève
pourtant quelques éléments du futur désaccord de Wolff avec le système de son
maître : « certains points fondamentaux [i. e. le système de
l’Harmonie Préétablie et l’idée des Unités ou « Monades »] sont
purement et simplement tus, ce qui, à notre sens, révèle déjà des divergences,
voire des désaccords, entre Wolff et son aîné » (p.104).
3.1. La présence du
système de l’Harmonie Préétablie et de la théorie Monadologique :
Pour
Wolff, l’harmonie entre corps et esprit ne relève pas d’une théologie naturelle
(domaine de la Théodicée), mais de ce
qu’il appellera une « psychologie rationnelle » (ibid.). Wolff marquerait
ainsi par l’omission de ces thématiques son « désaveu » (ibid.).
Or,
le fait qu’il ne les évoque pas dans la Préface,
ne signifie pas qu’il les critique ou les « désavoue » par la suite.
Au contraire, ces thématiques interviennent de façon systématique, et sont
intégrées à l’argumentation de la Théodicée.
Pour
ce qui est d’abord de l’harmonie tant générale que préétablie, Wolff y recourt
à quatre reprises (p. 121, 161, 163 et 166), pour montrer premièrement que
« rien n’existe sinon par des causes concordantes », c’est-à-dire par
la liaison des causes efficientes et finales (p. 121, renvoi au §62 de la
première partie des Essais et aux
autres articles publiés par Leibniz dans les Acta, en particulier au De
ipsa natura), deuxièmement pour expliquer l’existence du mal et la
prévalence du bien, par l’exemple de la beauté des dissonances (p. 161 renvoi
au §247 de la troisième partie des Essais),
troisièmement pour prouver l’action propre et la spontanéité des substances (p.
163 renvoi au §291 de la troisième partie des Essais), et quatrièmement pour montrer que Dieu voit dans chaque
partie de l'univers, l'univers tout entier, à cause de la parfaite connexion
des choses (p. 166 renvoi au §360 de la troisième partie des Essais).
Pour
ce qui est ensuite des thématiques monadologiques, Wolff
recourt non seulement à la notion de substance, mais encore il la lie au
système de l’Harmonie préétablie : « La spontanéité nous correspond
pour autant que nous avons en nous-mêmes le principe de nos actions, les choses
extérieures n’exerçant pas d’influences physiques sur elles – ce qui apparaît
très bien à partir du système de l’harmonie préétablie, dans lequel il est
clair que, dans le cours ordinaire de la nature, n’importe quelle substance
proprement dite, c’est-à-dire simple, est la cause unique de ses propres
actions ; système dans lequel la même substance est exempte de toute
influence physique venant d’une autre substance, exception faite du concours
ordinaire de Dieu » (p.163). Wolff
renforce l’idée de « système » (le mot est d’ailleurs répété deux
fois) en explicitant le lien entre la liberté des substances spirituelles,
l’accord des mouvements corporels de façon harmonique et la possibilité du
concours divin, à partir de l’explication de la « spontanéité »[10],
Wolff met en perspective la théorie de la substance, le rapport entre le corps
et l’âme dans l’Harmonie préétablie et le thème de la Théodicée à travers l’intervention de Dieu.
Nous avons là l’illustration parfaite de la méthode
wolffienne de recension : condenser les idées essentielles d’un passage en
en montrant la cohérence argumentative et en y greffant des informations tirées
d’autres articles des Essais pour
reconstruire l’enchaînement logique et démonstratif des propositions du
système. Ce passage renvoie précisément à cet article des Essais : « §291. Pour mieux entendre ce point, il faut
savoir qu'une spontaneité exacte nous est commune avec toutes les substances
simples, et que dans la substance intelligente ou libre, elle devient un Empire
sur ses actions. Ce qui ne peut être mieux expliqué, que par le systeme de
l'harmonie préetablie, que j'ay proposé il y a déja plusieurs années. J'y fais
voir, que naturellement chaque substance simple a de la perception, et que son
individualité consiste dans la loy perpetuelle qui fait la suite des
perceptions qui luy sont affectées, et qui naissent naturellement les unes des
autres, pour representer le corps qui luy est assigné, et par son moyen
l'univers entier, suivant le point de veue propre à cette substance simple,
sans qu'elle ait besoin de recevoir aucune influence physique du corps: comme
le corps aussi de son côté s'accommode aux volontés de l'ame par ses propres
loix, et par consequent ne luy obeit, qu'autant que ces loix le portent. D'où
il s'ensuit, que l'ame a donc en elle même une parfaite spontaneité, en sorte
qu'elle ne depend que de Dieu et d'elle même dans ses actions » (GP
VI pp. 289-290). Leibniz donne un sens spirituel à la spontanéité de la
substance en reprenant la pensée de Thérèse d’Avila, selon laquelle
« l’âme doit souvent penser comme s’il n’y avoit que Dieu et elle au monde[11] »
(Discours de Métaphysique, article
XXXII). Ainsi, pour Wolff, il ne suffit pas de définir la liberté par
l’intelligence, la spontanéité et la contingence ; il faut en donner
toutes les conséquences théologique (ici la compatibilité avec le concours
divin et l’harmonie générale) et monadologique (doctrine des substances unes,
simples et dotées d’appétit et de perception ou de représentation). Or, la
liberté est la conséquence de cette définition de la substance. En effet,
comment comprendre la liberté sans expliquer que le sujet de l’action agit par
lui-même ? Si le sujet n’agit que par les lois du corps, alors il est
mécaniquement déterminé ; mais si les lois de la substance trouvent leur
fondement dans des principes métaphysiques, alors on comprend comment les
mouvements du corps s’accordent aux mouvements de l’esprit, sans qu’il y ait
d’action directe de l’un sur l’autre. Certes, la Monade est comme « sans
portes ni fenêtres », mais on oublie de rappeler qu’il n’y a de
communication qu’entre substances « spirituelles », et qu’à
proprement parler, il n’y a que Dieu qui puisse agir directement sur les âmes.
Aussi la liberté humaine suppose que les actions libres s’accordent avec la
volonté de Dieu, et donc avec un certain ordre préétabli. C’est pourquoi
l’action d’une substance vient d’elle-même (spontanément), mais doit avoir une
raison ou un motif pour être dite « libre », c’est-à-dire qu’elle
doit résulter de la représentation des principes d’actions (par l’intelligence
du choix). Il s’ensuit l’accord nécessaire de la causalité efficiente (règne de
la Nature) de la mécanique corporelle avec la causalité finale (règne de la
Grâce) des « substances rationnelles » ou esprits.
3.2. La
conformité de la foi avec la raison.
Comme
Leibniz, Wolff souligne l’accord de la raison et de la foi. Déjà dans son
commentaire de la Préface, il
remarquait que « la lumière doit être jointe à l’ardeur, et [que] des
perfections de l’entendement provient le complément des perfections de la
volonté. Et le but de la vraie religion est d’arriver à ce que les esprits des
hommes s’imprègnent de la connaissance des vérités salutaires » (p.112,
numérotée par erreur 114). Wolff retrouve le projet encyclopédique de Leibniz,
pour qui la pratique de la science s’accorde à l’exercice de la piété et de la
« vraie religion ». Les Lumières leibniziennes
ne s’opposent pas à la foi, mais la fondent. Or, ce fondement est donné par la
suite de ces trois principes : « 1. qu’une vérité ne peut pas
contredire une [autre] vérité ; 2. que l’objet de la foi est une vérité
révélée par Dieu de façon extraordinaire ; et 3. que la raison est
l’enchaînement des vérités qui ne peuvent être connues sans la lumière de la foi »
(p. 114, voir le §1 du Discours
préliminaire de Leibniz). Or, ce qui entre en contradiction avec la raison
n’est pas un objet de foi ; soit cet objet est conforme à la raison, soit
il est « au-dessus » de la raison, mais en aucun cas il n’est
« contre la raison ». Cela signifie que le Mystère peut être
incompréhensible, mais pas irrationnel et absurde. Enfin, les miracles
eux-mêmes, s’ils dépendent de la toute-puissance divine, ne doivent pas moins
se conformer à la sagesse divine et donc ne doivent pas être multipliés sans
raison. C’est ici que Wolff intègre une considération logique cruciale sur
l’art de disputer : la vérité n’est pas seulement dans la preuve positive,
mais aussi dans la réfutation de l’erreur, comme par une preuve « négative ».
Aussi la logique aristotélicienne n’est-elle pas à rejeter (comme l’a bien noté
J.F. Goubet p.108), mais au contraire à utiliser pour défendre la cause de la
justice de Dieu : elle est mise au service d’une logique théologique. La
controverse, la dispute, les objections, voire la contradiction, sont des
richesses, à condition que le débat ne soit réglé que par la raison et
l’expérience, sans passions ni préjugés.
Il
reste cependant encore à souligner l’importance de la première attribution
publiée du principe de raison à Leibniz. En effet, avant ce texte, à
notre connaissance, Leibniz n’avait jamais été directement identifié comme
auteur du principe de raison suffisante. Si, pour le lecteur contemporain, il
semble classique et ordinaire de parler du principe de
raison de Leibniz, c’est parce que
Wolff a attiré notre attention sur cette innovation leibnizienne. Il s’agit
d’ailleurs, à notre connaissance, du premier texte critique publié dans lequel
le nom de Leibniz est associé au principe de raison. Les Essais de Théodicée l’avaient certes rendu public, et une partie de
la correspondance de Leibniz l’avait également diffusé, puisque les lettres
étaient souvent lues ou communiquées à d’autres personnes, de telle sorte
qu’une grande partie de la République des Lettres connaissait déjà le principe
de raison leibnizien ; mais personne ne l’avait encore exposé comme un
principe systématique. C’est pourquoi la recension de Wolff a permis de donner
une vision plus complète de l’architectonique du système leibnizien, avec ses
deux pivots : le principe d’identité ou de contradiction et le principe de
raison.
Cette
attention aux différentes expressions de la raison peut s’interpréter dans le
sens d’une rationalisation systématique, c’est-à-dire dans le sens d’un primat
de la raison et de l’explication rationnelle en toute chose : le principe
de raison est alors principe d’intelligibilité, voire d’omniscience pour Dieu.
Mais, en même temps, Leibniz, et Wolff à sa suite, donnent l’envers de cette
rationalité humaine : notre « limitation originelle », aussi
bien dans l’expérience de notre liberté que dans le choix du mal.
3.3. La place du
problème du mal dans les Essais de
Théodicée.
Cette question est centrale dans la
recension, comme dans les Essais,
mais elle est traitée dans la perspective de la justice de Dieu. Le choix par
Dieu du meilleur des mondes possibles suppose, dans un premier temps, la
définition de la divinité (pp. 116-117 pour la première partie des Essais, en particulier le §7-8 qui donne
une preuve a posteriori de
l’existence de Dieu, et p. 166, pour la troisième partie - §384 - où la preuve de Weigel, maître de
Leibniz en mathématiques, est étudiée), et, dans un deuxième temps, de ses
trois attributs principaux : la puissance, la sagesse et la bonté, la
justice étant le point d’union des ces « primordialités ». Or, pour
comprendre la nature du mal, il faut d’abord connaître la nature divine. Pour
cela, encore faut-il se placer comme dans l’entendement et dans la volonté de
Dieu au moment du Fiat de la création :
pourquoi avoir fait le monde avec le péché au lieu de le faire sans aucun mal, parfait ? Comment expliquer
l’accord de ces propositions en apparence contradictoire : « Le mal
(ou le péché) existe » et « Ce monde est le meilleur », ou
encore « Il y a plus de bien que de mal en ce monde, alors que le péché a
été permis par Dieu » ?
Wolff répond à partir de l’idée d’un
choix divin du meilleur et par l’idée de la limitation originelle de la
créature : l’existence du mal est justifiée a priori du point de vue de Dieu et elle est expliquée a posteriori à partir d’une double
analogie entre la créature et son Créateur, et entre la créature libre et la
nature.
Le
choix du meilleur, d’abord, suppose le concours de la volonté et de
l’entendement divins : « Mais, parce que Dieu a choisi le meilleur,
de là on conclut à partir de l’effet que si un monde avait été sans péché, ce
monde venu d’ailleurs serait plus mauvais que le nôtre. Par conséquent la
permission du péché ne répugne pas à la Sagesse divine et les maux physiques
encore moins. » (p.117). Le mal n’est pas voulu par Dieu, mais seulement
« permis » afin qu’un plus grand bien puisse manifester la
« gloire de Dieu ».
La
limitation des créatures, ensuite, est comparée non pas au « péché
originel », mais à « l’inertie naturelle » des corps (p.118).
L’analogie est double : non seulement la créature est finie par rapport à
l’infinité divine, mais encore elle est limitée, pour ainsi dire, par le poids
de la nature. Cela ne signifie pas, comme le croyaient quelques anciens, que la
matière soit l’origine du péché ou du mal, mais simplement que la créature ne
se représente pas les choses avec une science parfaite de tous les possibles
(p. 117) et qu’elle agit de façon contingente, par inclination vers « le
bien apparent » : c’est à la fois la misère et la grandeur de la
liberté humaine. En effet, « on objecte, résume Wolff, quatre choses à la contingence et par conséquent à la
liberté : 1. la futurition, c’est-à-dire la vérité déterminée des futurs
contingents, 2. la prescience de Dieu, 3. la préordination, - et à ces
objections, il a été répondu et montré, autant qu’il était possible de le
prouver à partir de cela, que les choses sont déterminées, c’est-à-dire
certaines ou infaillibles, mais pas absolument nécessaires - 4. la dépendance
de l’effet aux causes. Or, cette dépendance n’est pas non plus d’une nécessité
absolue, mais seulement inclinante. » (p.120). Le fait que Dieu ait prévu de façon infaillible la faute
de la créature rationnelle, libre, ne signifie donc pas que Dieu est l’auteur
du péché en ce qu’il rendrait la faute absolument nécessaire, mais cela
signifie seulement que le mal permis par Dieu se fonde sur une harmonie
supérieure : celle non pas de nos raisons limitées, mais celle de la
« Raison Souveraine ». On retrouve donc la cohérence systématique des
propositions leibniziennes fondées non seulement a priori à partir de l’enchaînement des attributs divins, mais
encore expliquées analogiquement et a
posteriori à partir de la convenance des lois de la nature avec le règne de
la liberté humaine : « Il n’arrive rien dans la nature tout à fait
arbitrairement, ou qui ne dépende soit des vérités nécessaires, soit des
raisons de la convenance : c’est de là que naissent aussi bien les lois
des mouvements que celles des perceptions, et, concernant les opérations
divines, on doit en chercher les raisons dans le choix de la Raison
Souveraine » (p. 164 renvoyant au §340 des Essais). Le principe de raison suffisante s’exprime donc comme
principe du meilleur dans l’ordre contingent des actions humaines, et comme
principe de la « sagesse divine » lorsqu’il s’agit de trouver la
raison dernière de l’harmonie ou la loi générale des deux règnes, ou encore
« concernant les opérations divines », c’est-à-dire lorsqu’il s’agit
d’expliquer le concours de Dieu avec les créatures (pp.165-166).
Ces
deux éléments positifs de la
doctrine leibnizienne, le choix du meilleur et la limitation des créatures,
sont clairement privilégiés par Wolff, au détriment de ce que l’on pourrait
appeler les éléments négatifs ou
les réponses que Leibniz donne dans la réfutation point par point des
« dix-neuf maximes philosophiques » de Bayle (p. 159). C’est un choix
délibéré de Wolff, qu’il explique ainsi : « Il est vrai que la raison
ne permet pas à notre recension d’exposer chacune des objections de Bayle avec
toutes les réponses exactes du très perspicace Leibniz ; cependant nous
prenons la résolution de relever les principaux moments de toute la
controverse » (p.160). Ces passages essentiels sélectionnés par Wolff, au
nom de la « raison » (ratio), concernent tous la cause ou l’origine
du mal. Mais ils sont mis en relation les uns avec les autres, non pas par la
réfutation de Bayle, mais par les liens logiques qui forment les éléments du
système. C’est pourquoi la présentation des réfutations de Leibniz est exposée
à partir de Dieu, mais toujours dans une exigence de rationalité. Ainsi, par
exemple, le « décret absolu » (p. 160) n’est pas seulement présenté
par rapport à la question du salut ou de l’Election, mais il l’est surtout par
rapport à son caractère arbitraire ou non, et à sa compatibilité avec les
attributs de la sagesse et de la bonté. C’est sur cette base que Bayle, Hobbes,
Spinoza et Puffendorf sont critiqués.
C’est
le système de l’harmonie préétablie qui structure toute la recension de la
troisième partie des Essais. Or, si
pour J-F. Goubet, « tout se passe comme si Wolff n’avait déjà plus en vue
que la question de l’harmonie locale » (op. cit. p.110), il semble, comme
nous l’avons montré précédemment, que ce soit plutôt pour pouvoir expliquer
l’harmonie générale entre la liberté des créatures et la prescience et le
concours de Dieu, sans que ce dernier ne soit pourtant tenu pour responsable du
mal. Mais, si Wolff insiste sur les perceptions individuelles, c’est justement
pour prouver que l’harmonie générale s’explique aussi au niveau local par l’entr’expression des
substances simples ou de ce que Leibniz appelle les Monades. Wolff montre que,
de même que les lois du mouvement supposent une raison ou convenance, sans
arbitraire, de même les lois de la perception ou de la représentation supposent
un tel fondement dans la raison et dans les choses (p. 165). De sorte que
l’harmonie a lieu aussi bien entre les grands règnes des causes efficientes et
finales, qu’en petit dans la représentation du sujet, et « qu’en quelque
façon, la représentation doit exprimer la chose représentée » (ibid.). On
comprend ainsi comment le mal peut être à la fois choisi par la créature par un défaut de représentation du bien
véritable, et en même temps prévu par
Dieu lorsque celui-ci ne fait que considérer la concordance des représentations
des créatures avec celle des lois générales, et que le péché est ainsi conçu
non pas comme un fait, mais comme un possible dans
la représentation de la nature « idéale » de la créature (p.117). La
permission du mal ne lèse donc pas la liberté humaine, mais la suppose au
contraire ; et il faut encore ajouter que cette liberté est la condition
de la réalisation du meilleur. « C’est pourquoi, alors que les choses sont
représentées dans cette série idéale, ces choses, avant même leur existence,
sont futures, c’est-à-dire contingentes et libres » (p. 166), et que le
monde ainsi créé est à l’image de la liberté divine et que le mal y trouve des
« raisons harmoniques ».
Pour
conclure, nous pourrions dire que, pour Wolff, le respect de la pensée du
maître ne signifie ni une servilité, ni un dogmatisme. Wolff, même de façon
parfois « fugitive », a résumé les Essais et a dû sacrifier certains passages, mais toujours pour en
retirer l’essentiel, « ce qui appartient au sujet », selon le
principe de la cohérence et de la systématicité des propositions. Comme l’a
justement montré J-F. Goubet, c’est l’aspect « discursif » qui
intéresse Wolff : il « met l’accent sur des considérations logiques
que son œuvre future développera plus à loisir. L’œil mouvant du recenseur
s’arrête à des considérations fécondes qui pourront par après entrer dans des
chaînes de raisons propres » (op.
cit. p. 106). Il faudrait donc parler de l’apport de la lecture wolffienne
comme d’une rationalisation plutôt
que d’une simple « anthropologisation »
du point de vue divin. C’est bien vers une théologie
naturelle, quoique métaphysique, que s’oriente la pensée de Leibniz aussi
bien que celle de Wolff. Ainsi l’héritage de l’Aufklärung n’est pas seulement celui d’une raison sans Dieu, mais
bien plutôt celui d’une raison « harmonique », alliant le règne de la
nature à celui de la Grâce.
Christian WOLFF (1679-1754):
Recension des Essais de théodicée de LEIBNIZ (1646-1716), parue dans les Acta eruditorum, mars et avril 1711
Traduction d’Arnaud LALANNE (avril 2011).
Acta eruditorum Anno MDCCXI. Tentamen theodiceae circa
bonitatem Dei, libertatem hominis et originem mali, Amstaelodami, apud Isaacum Trojel, 1710, 8. Constat 2 Alph. 8
plag. |
Acta
eruditorum, pour l’année 1711, Recension des Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et
l’origine du mal, chez Isaac Troyel, 1710, in 8°. |
pp. 110-121 Quamvis difficultates, quibus
palmaria religionis tam naturalis, quam revelatae fundamenta acribus
quibusdam ingeniis premi visa sunt, exquisita doctrina tractaverint Viri
admodum docti ; nodos tamen Gordios interdum non tam solvisse, quam secuisse
videntur. Quamobrem non miramur, excellentis ingenii virum, de quo modo
diximus, Petrum Baelium easdem
denuo publice proposuisse, cumque hactenus summorum virorum [p.111] industriam
feffelerint, insolubiles venditasse. Intererat autem, ut contra eas diceret,
qui eodem studio difficillimis satisfacit, quo alii in facillimis
utuntur ; cui aditus patet ad ea, a quo alii natura non admodum invida
arcentur ; quem denique divino munere nobis datum suspiciunt docti et
intelligentes existimatores, ut abdita hactenus et a cognitione hominum remota
in apricum producat. Illustri adeo
Leibnitio reservavit providentia divina, ut, quo maxime opus erat,
tempore Theologorum Scholas eodem fulgore collustraret, quo Philosophorum
hactenus Lycea et Mathematicorum Acroateria plenissimo perfudit, vel hoc nomine
dignus, cui in illis eadem praeconia decernantur, quae tam in his quam in
istis et voluptati fuerunt hactenus et amori, eruntque per futura secula,
quibus in divinae sapientiae arcana admitti gaudebunt homines bona sua in
trutina nequaquam fallaci suspendentes. Nostrum est, ut praelibemus nectar,
sitim ardentissimam inopinata cum dulcedine restincturum. In
Praefatione igitur Vir illustris de
vera pietatis solidae indole discurrit, ad quam non minus veri cognitionem,
quam virtutis praxin requirit. Veritatem
vulgus in formulis fidei ; virtutem in ceremoniis ex ejus sententia
nimium ponit. Ipse utrumque adhiberi non improbat, modo formulae fidei sint
veritati salutari conformes et ceremoniae ad virtutis exercitium invitent.
Gentiles observat ceremoniis solis contentos de dogmatibus sacris publice ne
cogitasse quidem, inter Hebraeos tantum dogmatibus religionis publicis
vigentibus. Abrahamum et Mosen articulum fidei de uno Deo
omnium bonorum fonte, rerum omnium origine, ursisse : Mosen tamen doctrinam de immortalitate
animarum, utut ejus menti conformem et per traditionem tunc temporis
propagatam, legibus suis non admiscuisse. Christum
denique religioni Mosaicae complementum superaddidisse et summa cum
efficacia docuisse, animas immortales in vitam aliam migrare, praemium suarum
actionum recepturas, praetereaque ostendisse, bonitatem et justitiam divinam
in eo potissimum elucere, quod Deus animabus praeparat. Ipsum adeo
[p.112 (faussement numérotée 114)]
(etsi autoritate humana et armis non nitentem) religioni naturali autoritatem
dogmatis publici dedisse atque vigorem legis conciliasse. Eadem Theologiae
naturalis dogmata de Deo uno et immortalitate animae ad nationes eas
propagasse Mahomedem (etsi improba
admiscentem) ad quas Christianismus non pervenit. Esse autem Christianae
religionis ingenio et doctrinae Salvatoris consentaneum, ut Deus non tantum
sit objectum timoris ac venerationis, sed et amoris atque voluptatis, quo
felicitatis futurae jam in hac vita habeatur praegustus. Veram pietatem et
felicitatem in amore Dei consistere, sed vero, adeoque lumine intellectus
collustrato. Neque enim recte amari, qui non bene cognoscatur. Ex hoc autem
amore Dei boni publici studium enasci a gloriae divinae promotione non
diversum, nec ulla hominum ingratitudine, nec ullis obstaculis quomodocunque
positis interrumpendum. Praeter divinam
gratiam dotes naturales, bonam educationem, consuetudinem cum hominibus
virtute praeditis ad veram pietatem acquirendam multum conferre ; sed
maximum a bonis principiis subsidium exspectandum. Lumen enim ardori
jungendum, et a perfectionibus intellectus esse complementum perfectionum
voluntatis. Finem igitur verae religionis eo tendere, ut veritatum salutarium
cognitione animi hominum imbuantur. Quamobrem jure reprehendit, quod pietatem
et religionem alios edocturi de perfectionibus divinis subinde non satis
instruantur, bonitatem et justitiam Dei male concipientes, dum Numen fingunt,
quod nec amare, nec imitari convenit, atque ad potentiam irresistibilem et
despoticam recurrunt, ubi bonitatem supremam et potentiam sapientiae
perfectae regimini subditam depraedicare debebant. Has opiniones
in notionibus libertatis, necessitatis, decreti non satis explicatis radicari
: quarum adeo explicatio totius operis fundamentum absolvit. Idque doctrinae genus Theodicaeae nomine appellavit, quo
scilicet de jure Dei et divina justitia agitur. Monstrat nimirum, necessitatem absolutam, quam et Logicam, Metaphysicam, Geometricam vocat,
in actionibus liberis non reperiri [p.113] ; Deum ipsum continuo id quod
optimum est eligentem ex necessitate minime absoluta, sed morali, Sapiente
digna, agere ; leges naturae a Deo praescriptas a convenientia pendere et sic
medium locum inter veritates Geometricas et decreta arbitraria tenere ; et
peccare tam Spinozam, qui omnia
surdae et Geometricae necessitati tribuit, quam Cartesianos quosdam, qui cum Baelio pro divino arbitrio, nullo
naturalis convenientiae nexu, fieri putant, ut certae sensiones in anima
certis qualitatibus corporis respondeant et corpora ipsa certas leges
observent ; quasi Deus aeque recte et commode quidvis aliud substituere
potuisset. Docet deinde Autor, ut in divina,
ita etiam in humana libertate indifferentiam quandam observari, cum a
necessitate absoluta et Geometrica etiam exemtae sint actiones nostrae ;
nunquam tamen adesse indifferentiam perfecti aequilibrii, sed semper
inclinationem praevalentem. Ceterum actionibus liberis perfectam inesse
spontaneitatem, majorem ea, quam hucusque conceperunt ; necessitatem autem
hypotheticam et moralem, quae in actionibus liberis restat, adeo nil
inconvenientiae habere, ut potius omnem libertatis perfectionem laudemque
constituant. Docetur etiam, quomodo fieri possit, ut omnia a Deo pendeant, ut
ad omnes creaturarum actiones concurrat, ut creaturas continuo producat, nec
tamen autor peccati existat ; quomodo diversa a voluntate Numinis sit mali
origo et quod bene asseratur, Deum non velle, sed saltem permittere mala
culpae. Deum permittere peccatum et miseriam, immo ad utrumque concurrere sine
praejudicio sanctitatis et bonitatis supremae, utut absolute loquendo omnia
ista mala evitare potuisset ; sed minora in summa rerum perfectione, quam
eligi Deo non conveniebat. Nos quidem non converti nisi per gratiam Dei
praevenientem et sine ejus assistentia nil boni facere posse ; interim tamen
aliquid a nobis conferri, sed quod in nostris limitationibus
imperfectionibusque consistat, cum omnis perfectio a Deo patre luminum
oriatur. Deum velle salutem omnium hominum et non damnare nisi homines malae
voluntatis, omnibus [p.114] suppeditare gratiam sufficientem ;
electionem intuitu fidei finalis factam esse, utut fides ipsa sit donum Dei
et ad salutem electi ob fidem etiam praedestinati sint ad fidem per rationes
decreti superioris, quo oeconomiam mediorum salutis externorum et
circumstantias secundam Bathos [Bathos] divinae sapientiae, id est,
universalem rerum harmoniam quam optime dispensari constat : quae merito a Luthero et aliis Theologis nostris ad
Deum absconditum referentur et, cum infinitum involvant, a nobis distincte
exponi non possunt. Ut vero omnia rectius
intelligantur, Discursum de
conformitate fidei cum ratione praemittit ingeniosissimus Autor, in quo
multa reperies alibi non dicta, quamvis idem argumentum plurimorum virorum
doctorum ingenia jam exercuerit. Supponit autem,1 veritatem non posse
contradicere veritati ; 2 objectum fidei esse veritatem a Deo
extraordinario modo revelatam ; 3 rationem
esse concatenationem earum veritatum, quae sine lumine fidei congnosci
possunt. Veritates rationis in aeternas et positivas distinguit.
Illae sunt, quarum oppositum contradictionem involvit ; hae vero sunt
leges a Deo naturae datae quaeque ab his legibus pendent. Veritates positivae innotescunt vel a posteriori, per experientiam
scilicet ; vel a priori, per
rationem hoc est, per considerationes convenientiae, ob quam a Deo sunt
electae. Quoniam itaque Deus libere elegit, necessitas physica pendet
a necessitate morali, in sapientia
radicata. Utraque autem necessitas, tam physica, quam moralis, a Geometrica
distinguenda. Necessitas physica ordinem naturae constituit et in regulis motus
consistit, aliisque quibusdam legibus generalibus, quas Deo rebus ferre
placuit, dum iis essentiam est largitus. Cum ergo libere, utut non sine
ratione, hasce leges elegerit Deus, circa eas dispensare atque hinc producere
potest, quod naturae ipsorum non convenit : qualis effectus miraculum vocatur. Veritates contra
aeternae, quales Geometricae existunt, indispensabilis sunt necessitatis.
Quare si necessitas physica aut moralis cum Geometrica confundatur, veritates
philosophicae theologicis contradicere videntur. [p.115] Haec origo omnium
dubiorum circa religionem naturalem et Christianam hactenus ortorum.
Confundunt praeterea, qui Philosophiam Theologiae committunt, notiones a se
prorsus diversas alias, nempe explicationis,
comprehensionis, probationis et
defensionis ; id quod ipse Baelius
facit. Mysteria explicari posse,
concedit illustris Leibnitius, quantum
nimirum ad fidem sufficit, at non comprehendi :
eadem defendi posse largitur contra objectiones, at non
probari per rationes seu a priori, secus enim comprehenderentur. Postquam
historiam de quaestione, utrum Theologia fidei contraria nec ne, recensuit,
inter alia observans, Lutherum per
Philosophiam aliquando intellegere, quod ordinario cursui naturae conforme,
immo quod tunc temporis in scholis
docebatur ; phrases illas esse contra
rationem et esse supra rationem distincte
explicat. Contra rationem scilicet esse dicitur, quod veritatibus
aeternis ; supra rationem vero, quod positivis repugnat et cujus nullum
habemus nec nancisci possumus comprehensivum conceptum, qualia sunt S.
Trinitas, miracula, electio ordinis universi. Mox demonstrat, a veritate
alienum esse Baelium asserentem,
contra veritatem objectiones insolubiles afferri posse. Etenim objectio est
argumentum, cujus conclusio thesi contradicit. Quod si invincibile fuerit,
demonstratio erit. Thesis ergo, cui contradicit, falsa. Neque vero difficilem
arbitratur objectionum quarumcunque
solutionem, cum Logica Aristotelis
(sine ratione a vulgo eruditorum hodie spreta) media infallibilia in
objectionibus examinandis errori resistendi suppeditet : quamvis
lubenter concedat, artem conjectandi non aeque ac artem demonstrandi in ea
tradi. Equidem ubi demonstratio adfuerit, non necessariam esse statuit
objectionum, quae fieri possunt, examinationem, et oppositi formidinem
frustraneam esse minimeque adeo conservandam ; objectionum tamen examen
propria experientia edoctus ad magis illustrandam veritatem admodum proficuum
reputat, siquidem ingeniosae fuerint. Porro ut in examine objectionum
rationem rectam a corrupta, hoc est, catenam veritatum [p.116] a mixtura
praejudiciorum et passionum discernas, non alio criterio, nec alio judice
opus esse arbitratur, nisi ut nulla thesis sine probatione, nulla vero
probatio admittatur, quae in forma bona non sit secundum regulas Logicae
maxime vulgares. Ex hactenus dictis non modo apparet, illustrem Leibnitium negare, quod Philosophia
Theologiae contradicat ; sed etiam fontes indicare solutionum, ad quos in
objectionibus trutinandis recurrendum. Multa etiam inspergit ad historiam
hujus controversiae de conformitate fidei et rationis facientia, et variis Baelii difficultatibus per opera ejus
dispersis satisfacit. Inter alia ad difficultatem de sensuum deceptionibus
respondet, non proprie sensus externos falli aut fallere, sed sensum communem
et rationem ; nec veritatem, sed phaenomena promitti a sensibus ;
nec ab imperfectione semper sensuum, sed interdum a perfectissimo sensu res
aliter exhiberi debere, quam sint, veluti cum circulus oblique spectatus in
ovalis speciem transformatur. Explicat etiam verum discrimen inter rationem humanam et id quod ei analogum est in
brutis, nuspiam hactenus distincte compositum. Hisce
praemissis in Parte prima operis ad difficultates sigillatim enodandas
progreditur, quas contra religionem nonnulli facessere solent non sine aliqua
veritatis specie. Primae quidem originem mali concernunt, tam physici, quam
moralis. In eam igitur inquisiturus de Dei existentia et perfectionibus
nonnulla praemittit. Scilicet cum mundus sit congeries mere contingentium,
materia ad motus, figuras et ordinem quemlibet indifferente ; ratio, cur
talis sit, extra ipsum quaerenda est, adeoque a se esse nequit. Datur igitur
ens a se aliud, causa mundi, idque intelligens et volens, propterea quod ex
pluribus mundis aeque possibilibus unum eligit. Est vero idem ens absolute
potens et sapiens, quoniam ejus potentia et sapientia ad omnia possibilia
extenditur. Est praeterea summe bonum : mundum enim optimum elegit,
quoniam dari debet ratio electionis. Est denique numero unicum, quoniam in
mundo omnia inter se cohaerent. [p.117] Enim vero quia optimum Deus elegit,
hinc ex effectu colligitur, mundum, qui sine peccato foret, fore aliunde
deteriorem nostro. Permissio igitur peccati sapientiae divinae non repugnat
et mala physica multo minus. Utut autem a priori demonstrari nequeat, mundum
hunc, in quo dantur mala physica et moralia, esse iis meliorem, a quibus
absint, intellectu finito infinitam omnium possibilium scientiam non
capiente ; aliquo tamen modo adumbrari et illustrari potest. Rectius sentiuntur bona malis
permixta : nec malorum cumulus bona superare credendus, cum exigua pars
universi vel, si mavis, civitatis Dei nobis nota sit, et exigua mali
specimina sufficiant ad utilitatem, quam bonum capit ex malo. Nihil prohibet
etiam fixas innumeras incoli a creaturis felicibus et in spatiis coelum
stellatum ambientibus bona abundare. Quaerenda autem est origo mali in natura
ideali creaturae, quatenus in veritatibus aeternis ut possibilis includitur,
quae independenter a voluntate Numinis in ejus intellectu existunt. In creatura enim essentialiter
limitata imperfectio quaedam originalis ante peccatum datur : unde est,
quod non omnia sciat et hinc se fallere possit. Haec regio veritatum
aeternarum est causa idealis mali ; physica vero positiva seu efficiens
nulla datur, sed potius deficiens, formali quippe mali ratione in privatione
consistente. Est itaque malum licet non
necessarium, possibile tamen, et quia mundum etiam possibilum optimum
ingreditur, Deus ad id admittendum per suam sapientiam determinatus fuit. Ut vero rectius intelligatur, quomodo Deus malum velit vel permittat,
tenendum est, voluntatem consistere in inclinatione ad aliquid faciendum pro
ratione boni, quod includit. Tendit adeo voluntas antecedens seu praevia ad
omnia bona pro cujusque gradu, consequens vero voluntas seu decretoria ex
conflictu omnium antecedentium voluntatum resultat. Malum morale Deus prorsus non vult, physicum non vult absolute, sed
interdum tanquam poenam culpae debitum, interdum tanquam medium ad finem
quendam consequendum aptum. Malum morale non admittitur, nisi quatenus [p.118]
spectatur ut necessarium consequens officii indispensabilis. Et hoc Autor
generale principium permittendi mali statuit commune Deo vel alteri
substantiae rationali, ut tum demum permittatur peccatum alienum, cum non
potest excludi sine proprii officii violatione, ejus nempe quod quis vel
aliis, vel sibi debet. Recte igitur Theologis
Scholasticis Deus est causa ejus, quod est materiale in peccato, non autem
ipsius formalis peccati, id est positivi, non privativi. Omnis nempe perfectio a Deo ; imperfectiones
vero et defectus operationum sunt a limitatione creaturarum originali. Exempli causa
voluntas hominis generatim appetit bona et voluntas oritur ex sensu
perfectionis. Sed si in sensuum externorum
voluptate, quae confusa est, acquiescamus, nec ultra progrediamur ad
distinctas voluptates, quas lucida veritatis perceptio et nascens inde virtus
comitatur ; ex hoc defectu progressus ulterioris malum morale enascitur.
Deus dat conatum animae ad bona, sed ipsa
per suas imperfectiones ad limites huic conatui praescribendos determinatur,
uti flumen navem onerariam deferens dat ei impetum, sed qui ab onere tardatur,
ut navis tardius procedat, quam si minus onerata foret. Materiale ergo seu
positivum motus vel ipsa velocitas a flumine est, formale tarditatis seu
limitatio ab onere seu inertia materiae, quam primus Keplerus eleganter observavit. Vidimus hactenus originem mali
non pugnare cum attributis divinis. Consideremus nunc porro, quomodo
difficultates circa libertatem hominis et contingentiam rerum ortas tollat
illustris Autor. Statuit nempe, liberam esse
animam non modo a coactione, sed etiam a necessitate, Geometrica scilicet. Nequaquam tamen largitur libertatem in indifferentia
perfecti aequilibrii consistere, tum quod istiusmodi aequilibrium impossibile
intelligatur, tum quod experientiae repugnet : semper enim datur aliqua
ratio, cur anima in hanc potius, quam aliam partem propendeat. Itaque omnes
boni et graves autores semper statuerunt, a boni malive impressione
voluntatem ad agendum inclinari : fictitia autem aequilibrii [p.119]
indifferentia exemplo caret et in cerebro quorumdam Scholasticorum nata est,
quasi unquam contingat omnia intus extraque pro utraque parte se perfecte
eodem modo habere. Sed etsi inclinatio semper adsit ad id quod agimus, ea
tamen non est necessitas. Quamobrem actiones humanae liberae existunt et,
quae iis tribui potest soletve, necessitatis species non est absoluta, nec
moralitati repugnans, cum actionum earum oppositum contradictionem minime
involvat; verum hypothetica, quatenus eam Deus ut liberam praevidit.
Necessitas autem absoluta, non hypothetica contrariatur libertati et
contingentiae. Praescientia divina veritati futurorum contingentium nil
superaddit, nisi quod cognoscatur. Neque enim veritatem magis determinat; sed
e contrario praevidetur, quia est determinata et vera. Determinatio autem seu certitudo objectiva infallibilis a natura
veritatis proficiscitur, nec libertati praejudicium facit. Contingentia vero
in eo consistit, quod contrarium non involvat contradictionem. Nempe duo
ratiocinandi dantur principia ; alterum contradictionis, vi cujus ex duabus propositionibus
contradictoriis altera vera est, altera falsa ; alterum rationis determinantis vel sufficientis, vi cujus nihil
contingit, quod non habet causam aliquam seu rationem determinantem.
Necessariae veritates possunt probari a priori per solum principium indentitatis
seu contradictionis, et earum oppositum redigi potest ad absurdum seu
impossibile. Contingentes vero veritates pendent ex principio rationis
sufficientis et oppositum earum est inconveniens. Semper ideo ratio aliqua praevalet, quae voluntatem ad electionem
determinat ; sed ut conservetur libertas, sufficit quod saltem inclinet,
non necessitet. Ita Deus eligit quidem optimum, sed ad electionem non cogitur,
neque ex parte objecti ulla est necessitas, quoniam alia rerum series aeque
est possibilis. Electio itaque libera est et a necessitate independens, quia
fit inter plura possibilia, et voluntas non determinatur nisi per bonitatem
objecti praevalentem. Similiter se res habet cum libertate hominis, ubi tamen
non semper bonum verum, sed saepe apparens praevalet. Interim [p.120]
quantuscunque sit affectus, quantumcunque praejudicium, semper tamen resisti
posset, si quis viribus, quas habet, recte uteretur. Datur autem semper praedeterminatio
quaedam in statu praecedente creaturae liberae, quae ad ipsam ad se
determinandum inclinat, alioqui nulla ratio
sufficiens eventus daretur. Neque vero aut haec praedeterminatio, aut
decretum Dei rerum contingentiae et libertati contrariatur, quoniam decretum
hoc Dei nihil aliud est, quam voluntas producendi hunc mundum, omnem
praeteritorum, praesentium et futurorum seriem complexum, quem ex innumeris
possibilibus optimum invenit, et in cujus statu possibili seu ideali omnia
jam videt, qualia sunt eruntque, libera nempe et contingentia, ita ut tantum
accedat divinum verbum Fiat. Ita
nonnisi unum decretum concipitur pro toto hoc universo, neque magis hoc modo
divina providentia seu praeordinatio, quam praescientia libertati et
contingentiae praejudicium facit, cum providentia possibilitati seriei tantum
addat approbationem, praescientia autem ex hac ipsa decretoria approbatione
nascatur. Revera enim Dei praescientia ex ipsius decreto universali pendet.
Licet autem jam nihil stante sapientia divina in mundo mutari possit, cum in
Deo errori et poenitentiae locus non sit ; non tamen inde sequitur, Deum non
posse miracula patrare, aut preces, vota, merita, demerita esse inutilia.
Etenim haec omnia fuere ante Deum praesentia et in serie universi eligenda
jam contenta, antequam eorum existentiam decerneret, et idealiter jam tum valuere
Deumque ad decernendum pro parte sua moverunt, uti postea actu ipso movent ad
decreti executionem. Nam talia omnia
repraesentata sunt, qualia nunc actu existunt. In summa, quatuor objiciuntur
contingentiae, adeoque libertati, 1 futuritio, seu futurorum contingentium
determinata veritas, 2 praescientia Dei, 3 praeordinatio. His jam
satisfactum est et ostensum, tantum hinc probari posse, res esse determinatas
sive certas vel infallibiles, sed non ideo esse absolute necessarias.
Quartum, quod objicitur, est dependentia effectus ex causis. At illa quoque
non est absolutae necessitatis, sed tantum inclinans. [p.121] Et tantum
abest, ut hic nexus fatum absurdum, seu Turcicum faciat, ut potius tollat, et
remedium contra ipsium, et a fato Christiano discrimen suppeditet. Fati enim
absurdi hoc proprium est, ut effectum divellat a causa, tanquam proditurus
sit absoluta quadam necessitate, quicquid agas aut non agas. Hinc Turcis
attribuitur, quod hominem morti ex peste destinatum peste moriturum putant,
sive evitet contagium sive non, quod absurdum est. Nam qui providetur peste obiturus, etiam praevidetur causas ad pestem
ducentes non evitaturus, nempe ut Germanico proverbio recte dicitur :
mors vult habere causam. Itaque si quis peste moritur, si quis damnatur etc., hoc
fit, non quicquid agat aut non agat, sed quia contagium non evitat, quia
impoenitens decedit etc. Fatum igitur Christianum et rationi conveniens
monet, ut qui bonum quaerit, qui malum fugit, sciat esse sibi expetendas
boni, vitandas mali causas, quia nihil nisi per causas consenteneas existit.
Hac occasione systema suum harmoniae praestabilitae attingit Autor, quod
universalem rerum nexum ostendit, de quo nonnihil dictum est alibi in his Actis. Concedit Hobbio et aliis necessitatem absolutam defendentibus, si (per
impossibile) actiones humanae absolute necessariae forent, non ideo omnino
poenas et praemia sublatum iri : nam etiam poenas medicinales, quae
tendunt ad emendationem et exemplum, fore necessarias et praemia itidem. Sed
hinc tamen non sequitur, eas poenas locum habituras, quae (seclusa omni
emendatione et exemplo) ex vi justiciae vindicativae oriuntur et quas
convenientia rerum sapienti extorquet. Sed talis absoluta actionum humanarum
necessitas sine fundamento ab Hobbio
et Spinosa post antiquos nonnullos
fingitur, nec cum natura rerum consistere potest. Tantum hac vice, reliqua
proxime. |
pp. 110-121 Quelles que soient les
difficultés auxquelles certains esprits pénétrants semblent soumettre les
fondements « triomphants » de la religion tant naturelle que
révélée, des hommes tout à fait doctes ont traité cette doctrine
subtile ; cependant, ils n’ont pas tant dénoué les nœuds Gordiens,
qu’ils ne les ont tranchés. C’est pourquoi nous ne nous étonnons pas qu’un
homme, dont nous avons dit que l’esprit excelle, Pierre Bayle, ait de nouveau proposé publiquement ces questions
réputées insolubles, alors même que jusqu’ici l’industrie des plus grands y
avait échoué. [p.111] Or il importait que cet homme répondît à ces questions,
lui qui satisfait aux plus difficiles avec la même recherche que les autres
mettent aux plus faciles ; que ce fût à lui que s’ouvre l’accès à ces
questions, lui, dont les autres sont maintenus loin par une nature presque
jalouse ; et qu’enfin ce fût celui que les critiques doctes et
intelligents considèrent comme nous avoir été donné par une faveur divine,
qui mette au grand jour ce qui était secret jusque là et caché à la
connaissance des hommes. Mais la providence divine avait réservé jusque là à
l’illustre à Leibniz, lui dont on avait grand besoin, d’illuminer à ce moment les Ecoles des théologiens du même éclair que celui qui a pleinement
parcouru jusqu’ici le Lycée des philosophes et les cercles acroatiques des
mathématiciens ; du moins est-il digne du nom d’illustre celui à qui les mêmes éloges sont décernés aussi bien
dans les questions théologiques que philosophiques ou mathématiques, lesquels
ne furent jusqu’à présent aussi bien dans les unes que dans les autres que
plaisir et amour, et qui le seront également pour les siècles futurs, au
cours desquels se réjouiront d’être admis dans les arcanes de la Sagesse
divine les hommes qui suspendent leurs propres biens à la balance qui ne
trompe pas. Il ne tient qu’à nous de donner un avant-goût du nectar qui
étanchera notre soif ardente par une douceur inopinée. Dans la Préface, donc, l’homme illustre discourt de la vraie nature d’une
solide piété[i], qui est
requise non moins pour la connaissance du vrai que pour la pratique des
vertus. A son avis, le commun des hommes place trop la vérité dans des
formulaires de la croyance, et la vertu dans les cérémonies. Lui-même ne
désapprouve pas d’adhérer aux deux, dans la mesure où les formulaires de la
croyance seraient conformes à une vérité salutaire, et où les cérémonies
inviteraient à l’exercice de la vertu. Il observe que les païens, se
contentant des seules cérémonies, n’avaient pas même pensé à des dogmes
sacrés publics, et que ce sont seulement les Hébreux qui ont mis en vigueur
les dogmes publics de la religion[ii].
Abraham et Moïse ont produit l’article de foi concernant le Dieu unique,
source de tout bien, origine de toutes choses ; cependant Moïse n’a pas mêlé à ses lois la
doctrine de l’immortalité des âmes, quoiqu’elle était conforme à son propre
esprit et propagée par la tradition de cette époque-là. C’est le Christ enfin qui a ajouté à la
religion Mosaïque ce complément et l’a enseigné avec la plus grande
efficacité, à savoir que les âmes immortelles migrent[12]
dans une autre vie, qu’elles recevront la récompense de leurs propres
actions, et qui a en outre montré que la bonté et la justice de Dieu se
manifestent au plus haut point dans ce que Dieu prépare aux âmes[iii].
[p.112 (faussement numérotée 114)]
C’est le Christ lui-même (sans s’appuyer sur l’autorité humaine, ni sur les
armes) qui a donné à la religion naturelle l’autorité d’un dogme public et
qui lui a associé la vigueur de la loi. Ces mêmes dogmes de théologie
naturelle sur le Dieu unique et l’immortalité de l’âme, Mahomet (quoiqu’en y mêlant des choses mauvaises) les a propagés
dans ces nations dans lesquelles le Christianisme n’était pas parvenu[iv].
Or il est conforme au génie de la religion chrétienne et à la doctrine du
Sauveur, que Dieu soit non seulement l’objet de crainte et de vénération,
mais aussi d’amour et de plaisir, grâce à quoi nous est déjà donné en cette
vie un avant-goût de la félicité future[v].
La vraie piété et la vraie félicité consistent dans l’amour de Dieu, mais
pour autant qu’elles soient éclairées par la lumière de l’intellect. Et il ne
peut pas bien être aimé celui qui n’est pas bien connu. Or, à partir de cet
amour de Dieu, naît une étude du bien public qui n’oppose pas à l’avancement
de la gloire de Dieu, et qui ne doit
être interrompue par aucune ingratitude humaine, ni par aucun obstacle
interposé d’aucune façon[vi].
Excepté la Grâce divine -, les dons naturels, la bonne éducation et
l’habitude de fréquenter des hommes doués de vertu rapprochent beaucoup de la
vraie piété qu’il faut acquérir ; mais le plus grand secours doit être
attendu de bons principes. En effet, la lumière doit être jointe à l’ardeur,
et des perfections de l’entendement provient le complément des perfections de
la volonté. Et le but de la vraie religion est d’arriver à ce que les esprits
des hommes s’imprègnent de la connaissance des vérités salutaires[vii].
C’est pourquoi on fait à juste titre ce reproche : ceux qui sont destinés à
éduquer les autres à la piété et à la religion ne sont souvent pas
suffisamment instruits des perfections divines, concevant mal la bonté et la
justice de Dieu, lorsqu’ils imaginent une divinité qu’il ne convient ni
d’aimer, ni d’imiter – et ils recourent à la puissance irrésistible et
despotique là où ils devraient faire appel à la bonté suprême et à la
puissance soumise au régime de la parfaite Sagesse. Ces opinions sur les
notions insuffisamment expliquées de liberté, de nécessité et de décret[13],
sont éradiquées : l’explication de ces notions achève à cet endroit le
fondement de l’œuvre tout entière. Et il a appelé ce genre de doctrine du nom
de « Théodicée »,
c’est-à-dire ce qui traite du droit de Dieu et de la justice divine[viii].
Il démontre assurément que la « nécessité absolue », qu’il appelle
aussi Logique, Métaphysique et
Géométrique, ne se trouve pas [p.113] dans les actions libres[ix] ;
que Dieu lui-même choisissant continuellement ce qui est le meilleur, agit
par la nécessité la moins absolue, mais au contraire la nécessité morale,
celle qui est digne du Sage. Les lois de la nature prescrites par Dieu
dépendent de la convenance et tiennent ainsi le milieu entre les vérités
géométriques et les décrets arbitraires ; et Spinoza pèche autant en attribuant toutes choses à une nécessité
sourde et Géométrique que certains cartésiens qui pensent avec Bayle qu’en vertu de l’arbitre divin,
sans aucune liaison avec la convenance naturelle, sentiments déterminés dans
l’âme correspondent à qualités déterminées du corps et que les corps
eux-mêmes observeraient lois déterminées, comme si Dieu avait pu leur avoir
substitué de façon aussi juste et aussi appropriée n’importe quoi d’autre à
la place. Ensuite l’Auteur enseigne qu’on oberve dans la liberté divine aussi
bien qu’humaine une certaine indifférence, du moment que nos actions sont
exemptes aussi de nécessité absolue ou Géométrique, et qu’il n’y a jamais une
indifférence de parfait équilibre, mais toujours une inclination prévalente.
D’ailleurs on trouve dans les actions libres une parfaite spontanéité, plus
grande que celle qu’on avait conçue jusqu’ici ; et la nécessité
seulement hypothétique et morale qui reste dans ces actions ne comporte aucun
inconvénient au point qu’elle constitue même plutôt toute la perfection et
tout le mérite de la liberté[x].
On apprend aussi comment il peut se faire que toutes choses dépendent de
Dieu, en tant qu’il concourt à toutes les actions des créatures, qu’il
produit continuellement les créatures, et qu’il n’existe pourtant pas en tant
qu’auteur du péché ; comment l’origine du mal se distingue de la volonté
de la divinité et – ce qui est bien dit – que Dieu ne veut pas, mais permet
seulement le mal de coulpe. Dieu permet le péché et la misère, bien plus il
concourt à l’un et à l’autre toujours sans préjudice à sa sainteté et à sa
bonté suprêmes, quoiqu’absolument parlant il aurait pu éviter tous ces maux,
mais il permet des maux plus petits par rapport à la plus haute perfection
des choses que ceux qu’il ne convenait pas qu’il choisisse[xi].
Certes nous ne sommes convertis que par la Grâce prévenante de Dieu et nous
ne pouvons rien faire de bon sans son assistance ; cependant quelque
chose est apporté par nous, mais qui consiste en nos limitations et
imperfections, puisque toute perfection a son origine en Dieu, Père de
[toutes] lumières. Dieu veut le salut de tous les hommes, et ne damne que les
hommes de mauvaise volonté, procure à tous une grâce suffisante [p.114].
L’élection a été faite en prévision de la foi finale, quoique la foi
elle-même soit un don de Dieu, et que les élus pour le salut par la foi
soient déjà prédestinés à la foi par les raisons d’un décret supérieur[xii],
par lequel il est établi que l’économie des moyens extérieurs du salut et les
circonstances sont dispensées pour le mieux selon le Bathos [profondeur] de la sagesse divine, c’est-à-dire
l’harmonie universelle des choses : ces sujets, rapportés avec raison par
Luther et par nos autres théologiens au Dieu
caché, puisqu’ils en contiennent infiniment, ne peuvent pas être exposés
distinctement par nous. Mais afin de comprendre plus
correctement tout cela, le très ingénieux auteur place auparavant un Discours de la conformité de la foi avec
la raison dans lequel on trouve beaucoup d’idées inédites, quoique le
même sujet ait déjà exercé l’esprit de très nombreux savants. Il suppose
effectivement 1. qu’une vérité ne peut pas contredire une [autre]
vérité ; 2. que l’objet de la foi est une vérité révélée par Dieu de
façon extraordinaire ; et 3. que la raison
est l’enchaînement des vérités qui ne peuvent être connues sans la lumière de
la foi[xiii].
Il distingue les vérités de raison
en vérités éternelles et en vérités
positives. Ces vérités sont celles
dont l’opposé implique contradiction ; mais celles-ci sont les lois
données par Dieu à la nature, lesquelles dépendent de ces lois. Les vérités
positives se font connaître ou bien a
posteriori, à savoir par expérience, ou bien a priori, c’est-à-dire par la raison, en considération de la
convenance pour laquelle elles ont été choisies par Dieu. Ainsi, puisque Dieu
a choisi librement, la nécessité
physique dépend d’une nécessité
morale, rapportée à la sagesse. Or, la nécessité physique et la nécessité
morale, autant l’une que l’autre, sont à distinguer de la nécessité
Géométrique[xiv]. La
nécessité physique constitue l’ordre de la nature et consiste dans les règles
du mouvement et en certaines autres lois générales qu’il a plu à Dieu
d’apporter aux choses, en même temps qu’il leur a donné une essence. Donc,
alors que Dieu a choisi librement, quoique non sans raison, ces lois-ci, il
peut dispenser et de là produire, concernant ces lois, ce qui ne convient pas
à leur propre nature : un tel effet est appelé « miracle ». En revanche, les
vérités éternelles, comme les « géométriques », sont d’une
nécessité indispensable. C’est pourquoi si la nécessité physique ou morale
est confondue avec la géométrique, les vérités philosophiques semblent entrer
en contradiction [p.115] avec les théologiques[xv].
Telle est l’origine de tous les doutes nés jusqu’à aujourd’hui concernant la
religion naturelle et Chrétienne. Avant tout, ceux qui font se combattre la
Philosophie et la Théologie confondent d’autres notions absolument
différentes en elles-mêmes, à savoir celles d’explication, de compréhension, de preuve et de défense ;
c’est ce que fait Bayle lui-même.
L’illustre Leibniz concède que les
Mystères puissent être expliqués,
autant que cela est suffisant à la foi, mais pas qu’ils puissent être compris ; de même il accorde largement que les Mystères
puissent être défendus contre les objections, et non pas prouvés par des raisons ou a priori, car sinon ils seraient
« compris »[xvi].
Après, il recense l’histoire de la question de la Théologie contraire ou non
à la foi, observant, entre autres, que Luther comprend parfois par
Philosophie ce qui est conforme au cours ordinaire de la nature, et même ce
qu’on enseignait alors à son époque dans les Ecoles. Il explique clairement
la distinction entre ce qui est contre la raison et ce qui est supérieur à la
raison. On dit être contre la raison, ce qui répugne aux vérités
éternelles ; mais supérieur à la raison, ce qui répugne aux vérités
positives, et dont n’avons ou ne pouvons pas trouver un concept
compréhensible, comme par exemple la Ste Trinité, les miracles ou le choix de
l’ordre de l’univers[xvii].
Il démontre ensuite que Bayle
affirmant quelque chose d’étranger à la vérité pouvait apporter des
objections insolubles contre la vérité. Et, en effet, l’objection est un
argument, dont la conclusion contredit la thèse. Et si cet argument a été
invincible, il y aura alors démonstration. Donc la thèse, que l’argument
réfute, est fausse. Mais on ne juge pas difficile la solution à ce type
d’objections, lorsque la Logique d’Aristote
(méprisée aujourd’hui, sans raison, par le commun des érudits) fournit en
abondance les moyens infaillibles de résister à l’erreur dans l’examen des
objections, quoiqu’il concède volontiers qu’on doit s’en remettre en ce domaine
pas tant à l’art de conjecturer qu’à l’art de démontrer[xviii].
Certes, il établit que, là où il y a démonstration, l’examen des objections
possibles n’est pas nécessaire, et qu’il faut conserver le moins possible la
vaine crainte de l’opposé ; cependant l’examen des objections, instruit
de ses propres expériences, est en quelque façon avantageux à la plus grande
mise en lumière de la vérité, du moins si ces objections ont été ingénieuses.
En outre, afin de distinguer dans l’examen des objections la droite raison de
la raison corrompue[xix],
c’est-à-dire de distinguer la chaîne des vérités [p.116] du mélange des
préjugés et des passions, Leibniz juge qu’il n’y a pas besoin d’autre critère
ou jugement de n’admettre aucune thèse sans preuve, et de n’admettre aucune
preuve qui ne soit pas donnée « en bonne forme », selon les règles
les plus communes de la Logique. Et de tout ce qui a été dit jusqu’ici il
apparaît non seulement que l’illustre Leibniz
nie que la philosophie contredise la théologie, mais encore qu’il indique les
sources des solutions auxquelles on doit recourir pour mettre en balance les
objections. Il apporte également beaucoup de faits à l’histoire de cette
controverse de la conformité de la foi et de la raison, et il résout de
nombreuses difficultés dispersées dans les œuvres de Bayle. Entre autres, il répond à la difficulté des déceptions des
sens[xx],
en montrant que ce ne sont pas les sens externes spécifiquement qui sont
trompés ou trompent, mais le sens commun et la raison ; que ce n’est pas
la vérité qui est assurée par les sens, mais les phénomènes ; et qu’on
ne doit pas toujours présenter les choses autrement qu’elles ne sont à partir
de l’imperfection des sens, mais qu’on doit parfois le faire à partir du sens
le plus parfait, comme lorsqu’un cercle regardé obliquement change son aspect
en ovale. Il explique ainsi la vraie différence entre la raison humaine et ce
qui lui est analogue dans les brutes – différence qui restait composée
distinctement jusqu’à présent. A partir de ces prémisses on arrive
dans la première partie de l’œuvre aux difficultés qui doivent être
expliquées une à une et que quelques uns, non sans quelque apparence de
vérité, ont coutume d’occasionner contre la religion. Les premières
concernent l’origine du mal aussi bien le mal physique que le mal moral[xxi].
Leibniz annonce qu’il y étudiera quelques difficultés concernant l’existence
de Dieu et ses perfections. A savoir qu’étant donné que le monde est un
simple amas de choses contingentes, il provient d’une matière tout à fait indifférente
aux mouvements, aux figures et à l’ordre. Or on doit chercher la raison pour
laquelle le monde est tel hors de lui-même, dans la mesure où il ne peut pas
être par lui-même[xxii].
On accorde donc un Etre Autre par soi-même, cause du monde, et qui est intelligent
et doué de volonté, parce qu’il choisit un seul monde parmi tous les mondes
également possibles. Mais c’est le même Etre qui est absolument puissant et
sage, puisque sa puissance et sa sagesse s’étendent à tous les possibles. Il
est en outre le Souverain Bien, car il a choisi le monde le meilleur,
puisqu’on doit rendre raison de son choix. Il est enfin unique par le seul
nombre, puisque dans le monde toutes choses sont en cohésion entre elles.
[p.117] Mais, parce que Dieu a choisi le meilleur, de là on conclut à partir
de l’effet que si un monde avait été sans péché, ce monde venu d’ailleurs
serait plus mauvais que le nôtre. Par conséquent la permission du péché ne
répugne pas à la Sagesse divine et les maux physiques encore moins[xxiii].
Or, quoiqu’on ne puisse pas démontrer a priori que ce monde-ci, dans lequel
se trouvent les maux physiques et moraux, soit meilleur que les mondes dont
ils seraient absents – notre entendement fini ne saisissant pas la science
infinie de tous les possibles -, on peut, cependant, en quelque façon,
l’esquisser et l’illustrer. On ressent avec plus de justesse les biens mêlés
aux maux[xxiv], et il
ne faut pas croire que l’accumulation des maux dépasse les biens, alors que
seulement une petite parcelle de l’univers ou, si vous préférez, de la Cité
de Dieu, nous est connue et que de petits échantillons de mal suffisent à
l’utilité que le bien tire du mal. Rien n’empêche que les étoiles fixes
innombrables soient habitées par des créatures heureuses et que les biens
abondent dans les espaces environnant le ciel étoilé[xxv].
Or, il faut chercher l’origine du mal dans la nature idéale de la créature,
pour autant qu’on l’inclue comme possible dans les vétités éternelles qui
existent indépendamment de la volonté de la Divinité dans son entendement. En
effet, dans la créature limitée par essence se trouve une certaine
imperfection originale avant le péché : d’où il vient que la créature ne
sache pas tout et qu’elle puisse ainsi se tromper. Cette région des vérités
éternelles est la cause idéale du mal ; mais il n’y a aucune cause
physique positive ou efficiente du mal, mais plutôt une cause déficiente,
puisque la raison formelle du mal consiste dans la privation[xxvi].
C’est pourquoi, bien que le mal ne soit pas nécessaire, il est cependant
possible, et parce que le monde entre également dans le meilleur des
possibles, Dieu fut déterminé à l’admettre par sa propre sagesse. Mais, pour
mieux comprendre comment Dieu veut ou plutôt permet le mal, on doit soutenir
que la volonté consiste dans l’inclination à faire quelque chose en raison du
bien qu’il contient. Ainsi la volonté antécédente ou prévue tend à tous les
biens selon le degré de chacun, mais la volonté conséquente ou de décret
résulte du conflit de toutes les volontés antécédentes[xxvii].
Dieu ne veut pas du tout le mal moral, ne veut pas absolument le mal
physique, mais veut parfois le mal comme dû pour la peine de coulpe, et veut
parfois le mal comme moyen consécutif adapté à une certaine fin. Il n’admet
pas le mal moral, sinon [p.118] en tant qu’il est considéré comme le
conséquent nécessaire d’un devoir indispensable. Et l’Auteur a posé ce
principe général de la permission du mal, commun à Dieu ou à toute autre
substance rationnelle, à condition expresse de ne permettre le péché d’autrui
que lorsqu’on ne peut pas l’exclure sans violation de son propre devoir,
c’est-à-dire de celui que quelqu’un doit ou bien aux autres, ou bien à
soi-même[xxviii].
Ainsi à juste titre, pour les théologiens scolastiques, Dieu est la cause de
ce qui est matériel dans le péché, et non pas cause du péché formel lui-même,
c’est-à-dire positif, et non pas privatif[xxix].
Certes toute perfection vient de Dieu, mais les imperfections et les défauts
des opérations proviennent de la limitation originelle des créatures[xxx].
Par exemple, la volonté de l’homme tend généralement vers les biens, et la
volonté naît du sentiment de la perfection. Mais, si nous nous complaisons
dans le plaisir des sens externes, qui est confus, et que nous n’atteignons
pas ces plaisirs distincts que la perception claire de la vérité et la vertu
qui en découle accompagnent, alors le mal moral naît de ce manque d’une plus
grande avancée. Dieu donne à l’âme la tendance aux biens, mais l’âme
elle-même par ses propres imperfections est ramenée aux limites prescrites à
cet effort, de même qu’un fleuve portant un navire chargé lui donne un
mouvement, mais qui est retardé par sa charge, en sorte que le navire se
déplace plus lentement que s’il avait été moins chargé. Donc le mouvement
matériel ou positif, c’est-à-dire la vélocité elle-même vient du
fleuve ; le [mouvement] formel du retard ou la limitation vient de la
charge ou de l’inertie de la matière, ce que Kepler a élegamment observé le premier. Nous avons vu ainsi à
quel point l’origine du mal n’entre pas en contradiction avec les attributs
divins. Maintenant considérons de quelle façon l’illustre Auteur supprime les
difficultés nées de la liberté humaine et de la contingence des choses. Il pose que l’âme est bien libre
non seulement de la coaction, mais aussi de la nécessité géométrique[xxxi].
Il n’accorde cependant pas du tout que la liberté consiste dans
l’indifférence de parfait équilibre, autant parce qu’un équilibre de ce genre
est impossible que parce qu’il répugne à l’expérience. En effet, il y a
toujours une raison pour laquelle l’âme penche de ce côté plutôt que de
l’autre[xxxii]. C’est
pourquoi tous les auteurs, dont les propos sont bons et sérieux, ont toujours
posé que la volonté incline à agir en fonction de l’impression du bien ou du
mal. Or l’indifférence apparente d’équilibre [p.119] manque d’exemple et a
pris naissance dans le cerveau de certains scolastiques, comme s’il
n’arrivait pratiquement jamais que les choses ne se comportassent exactement
à l’intérieur de la même façon qu’à l’extérieur de chacun des deux côtés. Et,
bien qu’il y ait toujours une inclination vers ce que nous faisons, celle-ci
n’est cependant pas une nécessité. C’est pourquoi les actions humaines sont
libres, et cette apparence de nécessité qu’il est possible ou habituel de
leur attribuer n’est pas absolue, et ne porte pas atteinte pas à la moralité,
lorsque l’opposé de ces actions implique très peu de contradiction, mais est,
à la vérité, hypothétique, en tant que Dieu la prévoit libre. Or, c’est la
nécessité absolue, et non pas la nécessité hypothétique qui contredit la
liberté et la contingence. La prescience divine n’ajoute rien à la vérité des
futurs contingents, excepté le fait qu’elle soit connue. En effet, cette
prescience ne détermine pas plus la vérité, mais elle est prévue [en
raisonnant] à partir du contraire, parce qu’elle est déjà déterminée et
vraie. Or, la détermination ou la
certitude objective infaillible dérive de la nature de la vérité, et ne porte
aucun préjudice à la liberté[xxxiii].
Mais la contingence consiste en ceci que le contraire n’implique pas
contradiction. Il y a précisément deux principes du raisonnement[xxxiv] :
l’un de contradiction, par la force
duquel de deux propositions contradictoires l’une est vraie et l’autre est
fausse ; et l’autre de raison déterminante ou
suffisante, par la force duquel rien n’arrive qui n’ait quelque
cause ou raison déterminante. Les vérités nécessaires peuvent être prouvées a
priori par le seul principe d’identité ou de contradiction, et leur opposé peut être ramené à l’absurde ou à l’impossible. Mais les vérités
contingentes dépendent du principe de raison suffisante, et leur opposé ne
convient pas. C’est pourquoi il y a toujours quelque raison qui prévaut et
qui détermine la volonté au choix ; mais pour conserver la liberté, il
suffit du moins qu’elle incline, sans nécessiter[xxxv].
Ainsi Dieu choisit certes le meilleur, mais il n’est pas contraint à ce
choix, et il n’y aucune nécessité de la part de l’objet, puisque une autre
série des choses est également possible. C’est pourquoi le choix est libre et
est indépendant de la nécessité, parce qu’il se fait entre plusieurs
possibles, et que la volonté n’est pas déterminée si ce n’est par la bonté
prévalente de l’objet[xxxvi].
Semblablement, il en est ainsi de la liberté de l’homme, où ce n’est pourtant
pas toujours le bien véritable qui prévaut, mais souvent le bien apparent.
[p.120] Si grands soient l’affect et le préjudice, cependant on peut toujours
y résister à condition d’utiliser correctement les forces à notre
disposition. Or, il y a toujours une certaine prédétermination dans l’état précédent de la créature libre, qui
l’incline à se déterminer elle-même, sans quoi il n’y aurait aucune raison suffisante de l’événement. Mais
cette prédétermination aussi bien que le décret de Dieu ne sont pas opposées
à la contingence des choses et à la liberté, puisque ce décret de Dieu n’est
rien d’autre que la volonté de produire ce monde, c’est-à-dire toute la série
complexe des choses passées, présentes et futures, monde qu’il a trouvé le
meilleur parmi l’infinité des possibles, et dans l’état possible ou idéal
duquel il voit déjà toutes choses
telles qu’elles sont et seront, bien sûr libres et contingentes, à la
condition seulement que la Parole divine « Fiat » le fasse accéder [à l’existence][xxxvii].
C’est pourquoi on ne conçoit qu’un seul décret pour tout cet univers et de
cette façon la providence divine ou préordination ne porte pas plus préjudice
que la prescience à la liberté et à la contingence, lorsque la providence
apporte seulement son approbation à la possibilité de la série et que la
prescience naît de cette approbation décrétatoire. En effet, la prescience de
Dieu dépend réellement de son propre décret universel. Or, bien que rien dans
le monde ne puisse être changé sans appui de la Sagesse divine, étant donné
qu’en Dieu il n’y a pas de place pour l’erreur, ni pour le repentir[xxxviii],
il ne s’ensuit pas cependant que Dieu ne puisse pas accomplir de miracles, ou
encore que les prières, les vœux, les mérites et les démérites seraient
inutiles[xxxix]. Le
fait est que toutes ces choses furent présentes avant Dieu et déjà contenues
dans la série de l’univers qui devait être choisie, avant que Dieu ne décide
de leur existence, et qu’elles prévalurent déjà en idées et poussèrent Dieu à
décider en leur faveur, jusqu’à obtenir ensuite l’exécution du décret en
acte-même. Car toutes ces choses sont représentées telles qu’elles existent
maintenant en acte. En somme, on objecte quatre choses à la contingence et
par conséquent à la liberté : 1. la futurition, c’est-à-dire la vérité
déterminée des futurs contingents, 2. la prescience de Dieu, 3. la
préordination, - et à ces objections, il a été répondu et montré, autant
qu’il était possible de le prouver à partir de cela, que les choses sont
déterminées, c’est-à-dire certaines ou infaillibles, mais pas absolument
nécessaires - 4. la dépendance de l’effet aux causes. Or, cette dépendance
n’est pas non plus d’une nécessité absolue, mais seulement inclinante.
[p.121] Et il s’en faut de beaucoup pour que ce lien de dépendance rende la
fatalité « absurde » ou « à la Turque » ; bien
plutôt il la supprime et ajoute à la fois un remède contre elle et un moyen
de la distinguer du « fatum chrétien ». En effet, le propre de la
fatalité « absurde » est de séparer l’effet de sa cause, comme si
l’effet devait être produit en raison d’une certaine nécessité absolue, quoi
que l’on fasse ou ne fasse pas. On attribue ainsi aux Turcs la pensée selon
laquelle l’homme destiné à mourir de la peste mourra de la peste, qu’il évite
ou non la contagion – ce qui est absurde. Car celui dont on prévoit qu’il
mourra de la peste, on prévoit aussi qu’il n’évitera pas les causes qui
entraînent la peste, comme le dit à juste titre un proverbe allemand : la mort veut avoir une cause[xl].
C’est pourquoi si quelqu’un meurt de la peste, ou si quelqu’un est damné,
etc., cela se réalise non pas quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, mais parce
que il n’évite pas la contagion, ou parce qu’il est mort impénitent, etc.
Donc le fatum « chrétien », qui s’accorde aussi à la raison,
enseigne que celui qui cherche le bien et évite le mal sait qu’il doit, pour
lui-même, rechercher les causes du bien et se garder de celles du mal,
puisque rien n’existe sinon par des causes concordantes. A cette occasion,
l’auteur aborde son système de l’harmonie préétablie[xli],
qui montre le lien universel des choses, et dont il a abondamment parlé
ailleurs dans les Acta Eruditorum[xlii].
Il concède à Hobbes et aux autres
défenseurs de la nécessité absolue[xliii],
que, si (par impossible) les actions humaines étaient absolument nécessaires,
cela ne supprimerait pas pour autant les peines et les récompenses, car même
les peines médicales qui tendent au rétablissement et qui sont faites pour
l’exemple, seraient nécessaires, et semblablement les récompenses. Mais de là
il ne s’ensuit pas, cependant, qu’aient leur place ces peines qui naissent de
la force de la justice vindicative (mises à part les peines pour la guérison
et pour l’exemple) et que la convenance des choses extorque au sage. Mais une
telle nécessité absolue des actions humaines a été forgée sans fondement par Hobbes et Spinoza à la suite de quelques anciens, et cette nécessité ne
peut en aucune façon convenir à la nature des choses. En voilà assez pour cette
fois-ci ; le reste arrive prochainement ! |
pp. 159-168 (mois d’avril) ESSAIS DE THEODICEE : h. e. TENTAMEN THEODICAEAE Amtelodami, apud Isaacum Trojel, 1710, in 8. Exposuimus nuper principia, quibus Illustris Leibnitius ad vindicandam veritatem religionis tam naturalis,
quam revelatae, et dissolvendas objectiones contra eam factas, utitur, sicque
satisfecimus pro scopo nostro Discursui
praeliminari et Parti primae operis prorsus eximii. Restat igitur,
ut enarremus, quaenam in Partibus reliquis et Appendicibus contineantur. Nimirum Parte secunda et tertia objectiones Baelianas [p.160] ad trutinam accuratam Autor appendit et nodos,
quos pro insolubilibus venditaverat, felicissime solvit. Et Pars quidem secunda objectionibus satisfacit, quae respiciunt causam moralem
mali moralis seu peccati, eamque a Deo in hominem transferre conantur. Pars vero tertia agit, tum de causa morali mali physici seu dolorum, tum
denique de causa physica mali moralis, Deique ad peccatum concursu. Equidem
instituti nostri ratio non permittit, ut singulas objectiones Baelianas, cum responsionibus exactis
perspicacissimi Leibnitii, in
medium proferamus ; praecipua
tamen totius controversiae momenta annotari consultum ducimus. Primo igitur
loco Vir profundi ingenii expendit novendecim propositiones Philosophicas,
quas septem aliis Theologicis opponit doctissimus Baelius. Ubi inter alia arguit errorem Baelii sibi persuadentis, corruptionem originalem per operationem
quandam divinam et quasi per miraculum in mente hominis effectam esse, cum
potius naturale peccati consequens extiterit, et miratur, ipsum hypothesi de
duobus principiis tantum tribuere, quasi ea melior originis mali explicatio
haberi debeat, quae proprium mali principium idque inexplicabile admittit,
cum contra potius talis hypothesis sit similis scholasticae, cujus defensores
pulchre chyli aut sanguinis aliorumque rationem se reddidisse putant, si
facultatem chylificam vel sanguificam fingant. Difficultates vero circa
malorum originem enatas sublaturus, variorum ea de re errores, Hobbii inprimis et Spinosae fatum coecum, Calvinianorum
quorundam supralapsariorum decretum Dei indifferens et arbitrarium,
aliorumque naturam justitiae arbitrariam refellit. Contra hos ostendit,
divinae Majestati parum consuli, si Deus dominium in creaturas despoticum
exercere, aut justitiam et virtutem pro arbitrio suo, sine naturae rationalis
fundamento, constituisse dicatur : revera enim actiones non esse bonas,
virtuosas, justas, nisi quatenus perfectioni serviunt, vel imperfectionem
impediunt : quae adeo statui ideali creaturae rationalis conveniunt,
antequam Deus eam creare decernit, et hinc recte per se bonae dicuntur. Puffendorfium in talibus minus
versatum, rem non satis [p.161] perpendisse notat : qui absolutum
decretum acriter in suo Faeciali
impugnans, id quod est maxime in eo absurdum, et sine quo tolerari facilius
poterat, concedit et propugnat. Evincit praeterea Noster, tolerari non posse
illorum sententiam, qui mundum meliorem a Deo fieri potuisse affirmant,
utpote sapientiae ac bonitati Numinis derogantem : ubi tamen notat, Alphonsum Castellae Regem, quem
culpant, quod asseruerit, systema mundi melius construi potuisse, nonnisi de
Sytemate Ptolemaico tunc temporis
recepto judicasse. Ceterum totius
hujus praejudicii fundamentum in eo ponit, quod perperam assumatur, quod
optimum est in parte, idem esse optimum in toto, cum tamen malum partium
saepius bonum totius augeat, et ad boni in toto incrementum tendat. Hanc vero de origine malorum doctrinam in Parte tertia fusius persequitur. Mala quidem Metaphysica, id est,
imperfecta et inordinata, quorum exempla sunt monstra aliaeque
irregularitates, contineri statuit in ordine rerum, tanquam medium ad ordinem
perveniendi, imo tanquam requisita necessaria ad ordinem explendum in toto.
Ita e. gr. tellurem multas passam esse notat mutationes, ut in eum ordinem
redigerentur terrestria, in quo nunc comparent, et ubi humanis commodis sunt
adaptata. Dubia hic enata statim evanescere arbitratur, ubi ad Systema
harmoniae generalis respicimus : cum etiam in Musicis constet,
dissonantias apte inspersas gratiorem reddere totam melodiam. Quod si urgeas
Deum per miraculum aliquod exiguum ingentem malorum numerum antevertere
potuisse, lapsu scilicet Evae praeternaturaliter impedito : generaliter
quidem respondet, in optima rerum serie semel electa nihil immutari potuisse,
ut tamen idem distinctius appareat, in miraculorum indolem penitius inquirit.
In duo itaque genera miracula despescit. Alia esse naturalia (etsi supra
naturam nobis notam) et ea posse produci cum ope aliarum naturarum
occultarum, tum speciatim ministerio angelorum corporibus junctorum multo
subtilioribus et efficacioribus quam nostra ; alia vero superare omnem
naturam creatam, et omnem vim creaturarum transcendere. Haec totum universi
cursum turbant propter corporum connexionem, et Deus in nonnullis [p.162]
miraculose statum maturalem mutans, etiam in ceteris miraculose efficere
tenetur, ne nimia oriatur perturbatio et ut omnia demum ad verum modum
redeant. Unde ratio sufficiens apparet, cur non tam facile miracula vere
supernaturalia sint admittenda. Ceterum, dum Baelius perfectionibus divinis indignum judicat, quod mala
praedominentur bonis ; erroneam hanc esse ipsius suppositionem,
clarissime Autor demonstrat, cum Cartesio
defendi debere ratus, in hac etiam vita plus boni quam mali esse. Bonum
namque physicum non modo in voluptate, sed et in statu medio, qualis est e.
gr. sanitas, consistit, et probe considerandum, usum voluptatis nimis
frequentem ipsasque voluptates nimis intensas maximum quoddam fore malum. De voluptatum
indole tractans monet, voluptates mentis esse magis puras et constantes
voluptatibus corporis, ita ut Cardanus senex
statum suum cum juvene divite, sed indocto non commutasset. Habent enim
scientiae aliquid dulcedinis, quam concipere nesciunt nisi experti. Notat
etiam, multam animi inquietudinem, et pleraque incommoda locum non habitura,
siquidem principiis veris mentem imbuamus, eamque ad virtutem
exerceamus : ita enim obtinetur, ne metuamus, quae nobis destinata sunt,
nec conqueramur de iis, quae obtingunt. Addit, posse nos non tantum obtinere
patientiam et nudam tranquillitatem, quia ferendum est, quod mutari non
potest ; sed etiam laetitiam et animum contentum, quia res a Deo
perfectissime et pro nobis etiam ipsis (si modo velimus) felicissime sunt
ordinatae. Ut taceam, multa mala per bonam educationem, aut per consuetudinem
vel diminui, vel plane tolli et insensibilia reddi posse. Mala praevalere
vulgo credi notat, quoniam magis excitant attentionem nostram quam bona,
quibus assuevimus, et quae proinde sunt frequentiora. Et si quis vellet bona
a Deo reddi magis sensibilia, eum non intellecturum, quid petat, et in sua
ipsum vota pugnaturum esse. Ita enim futurum, ut mala sint frequentiora, bona
rariora. Quod mala culpae seu peccata concernit, concedit equidem, quod bonis
apud homines praedominentur ; eorum tamen opinionem improbat, qui nimium
faciunt hoc [p.163] praedominium, adeo ut virtutes ethnicorum splendida peccata (cf. Augustin. De Lib. arb., lib. 1, с. 2 [41]) appellent. Ceterum non
judicandum de civitate Dei ex parte exigua ejus nobis nota, cum ipsius etiam
historiae generis humani nonnisi exiguam partem cognoscamus, et alias
substantias rationales universi fere penitus ignoremus. Hinc sufficit ad salvandam sapientiam
et bonitatem Numinis, quod in universo sit plus boni, quam mali, licet in
genere humano plus mali, quam boni existeret, quod tamen ipsum non penitus
conceditur. Minus negotii facessunt mala poenae, cum ex malis culpae quadam
naturae necessitate consequantur. Cum igitur illa sancte permittere potuerit
Deus ; multo minus haec declinari omnino necessarium fuit. Immo poena
plerumque emendationem continet culpae. Malum vero poenae quoniam ex malo
culpae enascitur, quamdiu durat malum culpae, tamdiu durare debere malum
poenae infert : quo admisso, manifesta redditur ratio damnationis aeternae,
ut non necesse sit ad infinitatem Dei laesi recurrere. Hanc in rem
celeberrimum Fechtium aliosque
Theologos nostros allegat. Et quia quidam libertatem hominis impugnant, ut
probent, mala non ipsi, sed Deo attribui debere, Autor responsurus ad
libertatem tria requirit, 1 cognitionem sufficientem objecti ad
liberandum ; 2 spontaneitatem, qua principium est in nobis, ut nos
determinemus ; 3 contingentiam determinationis, quae necessitatem
absolutam seu logicam aut Metaphysicam excludit. Cognitio est vel distincta,
nempe rationis, vel confusa, nempe sensuum. Neutra libertati repugnat,
ubicunque cum electione agimus : et post deliberationem ad illud propendimus,
quod nobis melius apparet, aut nos magis afficit. Spontaneitas eatenus nobis
competit, quatenus in nobis principium nostrarum actionum habemus, rebus
externis physice in eas non influentibus : id quod ex systemate harmoniae
praestabilitae optime apparet ; in quo liquet, in cursu naturae ordinario
quamlibet subtantiam proprie dictam seu simplicem esse causam unicam suarum
actionum ; eandemque exemtam esse ab omni influentia physica alterius
substantiae, excepto ordinario Dei concursu. Falli autem monstrat, quotquot
cognitionem boni [p.164] malique nostrae
determinationi inservientem, libertati adversam statuunt. Licet enim
intellectus ipse necessitetur, si perceptio clara et distincta adsit,
affirmationem eo ipso jam involvens, et licet voluntas appetat bonum, quod
intellectus evidentius repraesentat ; haec tamen ideo necessitati non est
obnoxia. Est nimirum voluntas conatus agendi ex boni vel mali perceptione
ortus, qui antequam perficiatur, tempore opus habet. Hinc variis incidentibus
suspendi aut per novam perceptionem vel cogitationem mutari potest, ut adeo
anima veritati vel errori multis modis resistere queat, nec nexus usque adeo
necessarius inter intellectum et voluntatem deprehendatur. Sane hinc etiam,
ubi nihil tale intervenit, ut in Deo, semper tamen verum manet, voluntatem
non necessitari, sed tantum inclinari ab intellectu. Interim apud nos fit, ut
indirectam quandam potestatem voluntates nostras mutandi habeamus. Divinae
autem voluntates semel positae mutari non possunt, etsi per se sint liberae,
optima electione, certa quidem sed non necessitante natae. Falli quoque demonstrat Cartesianos et cum ipsis Baelium, nimiam Deo indifferentiam
tribuentes, veluti cum statuunt, quasi Deus ad tales motus, quales producit
corpus calidum, ideam quam sentimus mero quodam arbitrio constituerit, ita ut
nobis ad eosdem motus dare potuerit ideam, quam nunc habemus frigoris et vice
versa, si voluisset. Nihil enim in natura contingit plane arbitrarie, aut
quod non dependet vel a veritatibus necessariis, vel a rationibus
convenientiae : unde tam leges motuum, quam perceptionum nascuntur, et
in operationibus Dei rationes ab electione rationis summae sunt petendae. Equidem vulgo supponunt, leges motus
esse arbitrarias ; sed judice Leibnitio
hoc inde fit, quod eas non satis examinarunt. Quamvis namque concedat, eas
pure Geometrice, seu ex principiis merae necessitatis demonstrari non
posse ; enasci tamen docuit ex principio perfectionis et ordinis cum
rationibus Geometricis conjuncto, ut adeo existentiam causae intelligentis ac
liberae optime evincant. In his Actis passim
jam observavit, quod harum legum ratio reddi possit, si supponatur effectus
viribus causae aequalis, [p.165] seu, quod idem est, eandem semper virtutem
conservari : hoc vero axioma Geometrice demonstrari nequit. Simile principium est, actionem semper esse aequalem
reactioni, quod repugnantiam materiae adversus mutationem externam supponit,
nec ab extensione, nec ab impenetrabilitate petendam. Aliaque id genus
principia hic occurrunt, non a necessitate
quadam absoluta et Geometrica, sed convenientia
petenda, quae inter necessarium et arbitrarium quodammodo medium tenet.
Hinc vero optime elucescit discrimen inter necessitatem omnimodam et, ut sic
dicas, brutam, quae a causis
efficientibus positis mathematica quasi consequentia pendet, ac inter moralem, vel, hujus filiam, physicam a libera electione sapientis
intuituque causarum finalium ortam : quod discrimen speciosum Naturalistarum
fundamentum evertit. Quemadmodum vero leges motuum, ita et perceptionum mere
arbitrariae non sunt, et speciatim quod ideae rerum sensibilium mero arbitrio
Dei constitutae non sint, hunc in modum exponit illustris Autor.
Repraesentatio aliquo modo exprimere debet rem repraesentatam. Quare ideae
caloris, frigoris, colorum, respondentes eis motus in organis repraesentant,
sed valde exiguos et multiplices. Unde fit, ut ipsa multitudo et exiguitas
repraesentationem distinctam impediat : idque etiam sensibus cognosci potest
et ex confusa perceptione fieri distincta e. gr. oculo armato, qui in colore
viridi particulas flavas et caeruleas distinguit, quas nudus discernere
nequit. Unde facile intelligitur, multa inesse, quae nec nudus, nec armatus
distinguere queat. Quemadmodum igitur idea coloris viridis a Deo nobis data
non est arbitraria, sed ex confusione perceptionum flavi et coerulei oritur, ita facile judicari
potest, similiter ipsam flavi vel coerulei, vel etiam quamcunque sensibilem
ideam in repraesentationes causarum has qualitates ingredientium resolutum
iri, si nos analysin aliquo artificio vel ingenio eo usque promovere
possemus. Porro praescientiam Dei non
praejudicare libertati hominis et rerum contingentiae, multis modis ostendit
et illustrat ; sed illud inprimis inculcat, totam rerum seriem a Deo
ceteris praeferendam judicante cum mentis actu [p.166] atque decreto electam
et ad existendum destinatam fuisse, cum omnibus partibus et circumstantiis
eam ingredientibus. Itaque cum in illa serie ideali ante existentiam res
repraesententur, quales futurae sunt (nempe contingentes et liberae), per
praescientiam autem et decretum Dei nihil accedat nisi actualis
futuritio : patet, neque praescientia, neque decreto contingentiam
libertatemque ullo modo laedi, causarum etiam cum effectibus connexionem
omnia quidem certa et determinata reddere ; sed certitudinem hanc non
magis quam praescientiam libertati obstare. Causarum enim contingentium nexus
semper esse inclinantes, nunquam necessitantes. Et hunc nexum in perfecta
quadam totius universi partiumque ejus harmonia consistere, quae tanta est,
ut Deus in praesenti statu rei statum ejus praeteritum et futurum, immo in
qualibet parte integrum universum videat. Denique quod concursus divinus
libertati et contingentiae rerum non obsit ; ex ejus indole monstrat.
Dat ex ipsius mente Deus continuo, quicquid realitatis in nobis et actionibus
nostris deprehenditur, quatenus perfectionem involvit : ast quicquid
limitationis aut imperfectionis occurrit, limitationum praecedentium, quae
creaturis originarie insunt, consequens habendum. Hac vero occasione ostendit, argumentum
Weigelii, Professoris quondam
Mathematum Jenensis, pro existentia Dei a continuata creatione desumtum et in
Philosophia Mathematica p. 33 et
seqq. pro demonstratione Mathematica quavis Euclidea fortiore perperam
venditatum, a vera demonstratione quam longissime abesse. Cum enim, inquit Weigelius, totus mundus singulis
momentis loco nihili reddatur recens, neque tamen ulla res in mundo id
efficere possit ; necessum est ut detur extra mundum, praeter mundum,
infinitum ens, quod indefessus sit creator. Ergo datur Deus. Optime vero
perspicacissimus Leibnitius
observat, probari debere, creaturam continuo ex nihilo prodire et statim in
id recidere, nec nisi ens necessarium per naturam suam ultra momentum durare
debere : immo difficultatibus de compositione continui idem argumentum
implicari, quae Labyrinthus Philosophorum existunt. Quemadmodum vero omnis
actio [p.167] creaturae est quaedam modificationum ipsius mutatio : evidens
est, actionem a creatura proficisci intuitu limitationum aut negationum, quas
includit et quae per hanc mutationem variantur. Omnis substantia suas
producit actiones et passiones internas, neque opus est, ut propterea
sciamus, quomodo eas producamus, etenim non ex voluntate, sed ex natura
nostra fluunt, quae quoad perceptiones confusas infinitum involvit, nec a
nobis perfecte cognosci potest. Clauditur Pars
tertia seu ultima fictione quadam eleganti, rem populariter exhibente,
coepta a Laurentio Valla, sed non
absoluta, cum nodum Gordium quasi gladio secasset : quam Autor ita ad
finem deducit, ut simul solutio nodi appareat. Ibi Apollo praescientiam, seu scientiam visionis ; Jupiter providentiam ; Pallas scientiam simplicis
intelligentiae repraesentant. Binae quoque in Parte prima et secunda
digressiones elegantes inseruntur, quae legi merentur ; una de
conjectura Autoris historica, quod Ormaesdes
et Arimanius, quibus Zoroaster duo principia, unum boni,
alterum mali, designavit, videantur nomina fuisse duorum magnorum Principum, Ormisdae, antiquissimi superioris
Asiae Regis, et Irminis sive Hermanni, Ducis Celto-Scytharum, ex
Germania et Sarmatia in Asiam irrumpentium ; altera de Theologia quadam
Astronomica fictitia, quam nescio quis commentus est. Sequuntur appendices. Et primum, quae
fusius contra Baelium et alios in
Parte secunda et tertia disputata sunt, in brevissima epitome exhibentur, argumentis
ad nonnullorum disederia in formam
redactis et responsionibus juxta leges disputantium adjunctis. Occurrunt deinde Animadversiones in opus
Hobbesii de libertate, necessitate et contingentia et tandem aliae in opus Kingii de origine mali. Opus Thomae Hobbesii, de quo hic agitur,
nondum hactenus, nisi lingua Anglicana prodiit. Fuit ipsi lis de illo
argumento cum Johanne Bramhallo,
Episcopo Remensi, mutuis aliquot scriptis agitata, quae uno volumine in 4
prodiere. Hobbesium quaedam
eleganter et ingeniose exposuisse, agnoscit ingeniosissimus Autor Tentaminum, quae recensemus, et
confusas quorundan [p.168] Philosophorum et Theologorum notiones non male
exagitasse, sed in necessitate absoluta eventibus adscribenda modum
excessisse ; nec recte id, quod nec fuit, nec est, nec erit, cum
impossibili confuidisse. Kingii,
Ecclesiae Anglicanae Praelati celebris, ingenium et eloquentiam laudat, et
dimidiam fere systematis ejus partem probat, sed alteram impugnat, dum
scilicet Vir doctus sibi persuadet, voluntatem divinam humanamque habere facultatem
rebus per se indifferentibus tam vere, quam apparenter, sine ulla ratione
dandi boni malique qualitatem et gradum, ipsa electione aut rejectione nullo
plane fundamento nixa, et in illa tam mira facultate res sibi accommodandi
omnem consistere vim, omnem usum abusumque libertatis. Quae Autor noster cum
praxi vitae veraeque rationis principiis prorsus pugnare ostendit. Subjungitur
demum Operi Tractatus Latinus, isque mole exiguus, in quo Autoris principia
et dogmata in compendium methodicum missa leguntur, in usum eruditorum, qui
fuse et populariter ad captum plerumque lectorum exposita, nunc ad scholarum
morem nervosis thesibus comprehensa, in conspectu habere fortasse
desiderabunt : cui instituto Latinus sermo aptior est visus. Methodus
etiam hujus compendii Tabella in fine adjecta tanquam compendio compendii
repraesentatur. Qua in Tabella cum error aliquis errore typographi admissus
sit, eum hic corrigere operae pretium erit. In parte scilicet secundae
Tabulae vel, si mavis, in Tabula secunda sic formanda est ejus pars : |
pp. 159-168 Nous avons exposé auparavant les
principes que l’Illustre Leibniz a
utilisés pour défendre la vérité de la religion aussi bien naturelle que
révélée et pour résoudre les objections faites contre elle, et ainsi nous
avons satisfait notre objectif pour le Discours
préliminaire et la première partie de cette œuvre tout à fait
remarquable. Il reste donc à développer certains points contenus dans les
autres parties et dans les Appendices.
Assurément, l’auteur, dans la seconde
partie et dans la troisième, met sérieusement à l’examen
les objections de Bayle [p.160] et
il résout très heureusement les nœuds qu’il avait pourtant donnés pour
insolubles. Certes, la seconde partie
satisfait aux objections qui regardent la cause morale du mal moral ou du
péché, et celles qui s’efforcent de la transférer de Dieu à l’homme ;
mais la troisième partie traite
aussi bien de la cause morale du mal physique ou des douleurs, que de la
cause physique du mal moral et du concours de Dieu au péché. Il est vrai que
la raison ne permet pas à notre recension d’exposer chacune des objections de
Bayle avec toutes les réponses
exactes du très perspicace Leibniz ;
cependant nous prenons la résolution de relever les principaux moments de
toute la controverse. Ainsi donc, en premier lieu, cet homme d’un profond
talent juge avec soin les 19 propositions philosophiques que le très docte Bayle oppose à sept autres
propositions théologiques[xliv].
Là, entre autres, il argumente contre l’erreur de Bayle qui se persuadait que la corruption originelle s’est
effectuée dans l’esprit humain par une certaine opération divine et comme par
miracle, alors qu’elle est plutôt la conséquence naturelle du péché[xlv],
et Leibniz s’étonne que Bayle l’ait
attribuée seulement à l’hypothèse des deux principes[xlvi],
comme si on devait soutenir une explication de l’origine du mal qui admette
un principe propre du mal, principe inexplicable, alors qu’au contraire une
telle hypothèse est plutôt semblable à celle de la scolastique, lorsque ses
défenseurs pensent rendre raison admirablement de la chyle ou du sang et de
tout le reste en forgeant une faculté chylifique ou sanguifique[xlvii].
Mais il va supprimer les difficultés nées à propos de l’origine des maux, et
il réfute les erreurs de différentes personnes à ce sujet, à savoir la
fatalité aveugle de Hobbes en
premier[xlviii] et de
Spinoza, le décret absolu de Dieu,
indifférent et arbitraire, selon certains Calvinistes supralapsaires, et la
nature arbitraire de la justice conçue par d’autres personnes[xlix].
Il montre contre eux qu’au sujet de la Majesté divine on n’a pas suffisamment
examiné, si l’on dit que Dieu exerce un pouvoir despotique sur les créatures,
ou qu’il a constitué la justice et la vertu par son propre arbitre, sans
fondement de nature rationnelle : en réalité, les actions ne sont
bonnes, vertueuses et justes que pour autant qu’elles servent à la perfection
ou empêchent l’imperfection ; pour autant qu’elles conviennent à l’état
idéal de la créature rationnelle, avant que Dieu ne décide de la créer, et ainsi
qu’elles soient dites convenablement « bonnes par soi »[l].
Leibniz note que Puffendorf, moins
versé dans de telles questions, n’a pas assez pesé la chose [p.161];
Puffendorf qui, combattant le décret absolu durement dans son Jus faeciale, concède et défend ce qui
y est le plus absurde, et sans lequel il pouvait être plus facilement toléré[li].
Notre Leibniz obtient avant tout que ne puisse être tolérée l’opinion de ceux
qui affirment que Dieu aurait pu faire le monde meilleur, dérogeant quelque
peu à la sagesse et à la bonté de la Divinité ; pourtant, il note qu’on
accuse Alphonse, roi de Castille,
d’avoir affirmé qu’un meilleur système du monde aurait pu construire, et de
ne pas l’avoir pensé seulement du système Ptolémaïque
reçu de son temps[lii].
Du reste, il place le fondement de tout ce genre de préjugés, en ce qu’on
assure faussement que ce qui est meilleur dans la partie est aussi meilleur
dans le tout, bien que le mal des parties augmente plus souvent le bien du
tout et tend à l’accroissement du bien dans le tout. Mais, dans la troisième Partie, il expose plus amplement cette doctrine de l’origine des
maux. Il affirme que les maux métaphysiques, c’est-à-dire imparfaits et
non-ordonnés, dont les exemples sont les monstres ou d’autres irrégularités,
sont contenus dans l’ordre des choses, aussi bien comme moyens de parvenir à
l’ordre, que comme réquisit nécessaire pour atteindre l’ordre dans le tout[liii].
Il remarque, par exemple, que la terre a souffert de tels changements que les
choses terrestres ont été conduites à l’ordre dans lequel elles sont
actuellement disposées, et là où elles sont adaptées aux commodités humaines[liv].
Celui-ci juge que les doutes s’évanouissent aussitôt nés, quand on considère
le Système de l’harmonie générale[lv] :
comme il est aussi établi en musique que les dissonances convenablement
insérées rendent toute la mélodie plus gracieuse. Et si on insiste en
objectant que Dieu aurait pu détourner auparavant par un petit miracle le
nombre immense des maux, en empêchant surnaturellement la chute d’Eve, on
répondra généralement que rien n’aurait pu être changé dans la meilleure
série des choses, qui est choisie en sorte que la même chose apparaisse
cependant plus distinctement, si l’on enquête de façon plus approfondie sur
la nature des miracles[lvi].
C’est pourquoi on distingue deux genres de miracles : les uns sont
naturels (même s’ils sont au-dessus de la nature que nous connaissons) et
ceux-ci peuvent être produits avec l’aide d’autres natures occultes, et
spécialement avec le ministère des anges joints ensemble par des corps qui
sont plus subtiles et plus efficaces que les nôtres ; mais les autres
[genres de miracles] dépassent toute nature créée et transcendent toute force
des créatures[lvii]. Ces
derniers miracles perturbent tout le cours de l’univers en raison de la
connexion des corps, et Dieu changeant dans quelques corps l’état naturel
[p.162] par miracle, est tenu de le changer également par miracle dans les
autres corps, afin qu’il ne s’ensuive pas une excessive perturbation et que toute chose soit rendue précisément
à son mode véritable. Apparaît ainsi la raison suffisante pour laquelle il ne
faut vraiment pas admettre si facilement les miracles surnaturels. Du reste,
pendant que Bayle juge indigne des
perfections divines que les maux prédominent sur les choses bonnes, notre
très célèbre auteur démontre que cette supposition est erronée, et il estime
devoir soutenir avec Descartes
qu’il y a plus de bien que de mal en cette vie[lviii].
En effet, le bien physique ne consiste pas seulement dans le plaisir, mais
aussi dans un état intermédiaire, par exemple la santé, et l’on doit
considérer correctement que l’usage trop fréquent du plaisir et des voluptés
trop intenses elles-mêmes seraient le plus grand mal[lix].
Traitant de la nature des plaisirs, il enseigne que les plaisirs de l’esprit
sont plus purs et plus constants que les plaisirs du corps, à l’exemple de Cardan qui, âgé, n’aurait pas voulu
échanger son propre état contre celui d’un jeune homme riche, mais ignorant[lx].
En effet, les sciences ont quelque chose de doux que ne peuvent concevoir que
ceux qui en ont l’expérience. Leibniz remarque aussi qu’il n’y aurait pas
autant d’inquiétudes et d’incommodités, si nous habituions notre esprit à de
vrais principes et que nous l’exercions à la vertu : en effet, nous obtenons
alors sans crainte les choses qui nous sont destinées, mais nous ne nous
plaignons pas de celles qui arrivent [par accident]. Il ajoute que nous
pouvons non seulement acquérir la patience et la simple tranquillité, parce
qu’on doit supporter ce qui ne peut pas être changé, mais encore la joie et
le contentement de l’esprit, parce que les choses sont ordonnées par Dieu de
façon parfaite et pour nous-mêmes aussi en vue de la béatitude, pourvu que
nous le voulions. Et je tais que beaucoup de maux, par une bonne éducation ou
par l’habitude, pourraient être ou bien diminués ou bien complètement
supprimés et rendus insensibles[lxi].
Il remarque qu’on croit ordinairement que les maux prévalent, puisqu’ils
excitent davantage notre attention que les choses auxquelles nous sommes
habituées et qui sont par conséquent plus fréquentes. Et, si on voulait
rendre les choses bonnes plus sensibles, on ne comprendrait pas ce qu’on
demande et cela répugnerait à nos propres vœux. Ainsi on ferait que les maux
seraient plus fréquents et les choses bonnes plus rares. En ce qui concerne
les maux de coulpe ou les péchés, il concède également qu’ils prédominent sur
les biens en l’homme ; cependant, il désapprouve l’opinion de ceux qui
font cette prédominance [p.163] telle qu’ils appellent vertus les splendides péchés des païens[lxii].
Du reste, il ne faut pas juger de la cité de Dieu à partir de la partie
minuscule qui nous est connue, alors que nous ne connaissons qu’une mince
partie de l’histoire du genre humain et que nous ignorons presque totalement
les autres substances rationnelles de l’univers[lxiii].
D’où il suffit à la sagesse salvifique et à la bonté de la Divinité qu’il y
ait dans l’univers plus de bien que de mal, quoiqu’il existe plus de mal que
de bien dans le genre humain – ce qu’on ne concède pas absolument. Les maux
de peine créent moins d’embarras, puisqu’ils sont la conséquence des maux de
coulpe par une certaine nécessité de la nature[lxiv].
Et Dieu aurait donc pu permettre saintement ces maux de peine-là, sans du
moins qu’il soit tout à fait nécessaire de rejeter ces maux de coulpe-ci. Le
plus souvent la peine contient la correction de la faute. Mais le mal de la
peine, puisqu’il naît du mal de coulpe, autant que dure le mal de coulpe,
implique que le mal de peine doit durer aussi longtemps ; cela admis, la
raison de la damnation éternelle est rendue manifeste, sans qu’il soit
nécessaire de recourir à quelque chose qui lèse l’infinité de Dieu. Il
allègue pour cette question le très célèbre Fecht et quelques uns de nos théologiens [Luthériens][lxv].
Et parce que certains attaquent la liberté de l’homme, au point d’approuver
que les maux ne doivent pas être attribués à eux-mêmes, mais à Dieu, l’auteur
va répondre qu’il y a trois réquisits à la liberté[lxvi] :
1. la connaissance suffisante de l’objet de la liberté ; 2. la
spontanéité, par laquelle le principe de nos actes est en nous, en sorte que
nous nous déterminions nous-mêmes ; 3. la contingence de la
détermination qui exclut la nécessité absolue, c’est-à-dire logique ou
métaphysique. La connaissance est soit distincte, c’est-à-dire rationnelle,
soit confuse, c’est-à-dire sensible[lxvii].
Ni l’une, ni l’autre ne répugnent à la liberté, partout où nous agissons par
choix ; et après délibération, nous avons de la propension à ce qui nous
semble le meilleur ou à ce qui nous touche plus. La spontanéité[lxviii]
nous correspond pour autant que nous avons en nous-mêmes le principe de nos
actions, les choses extérieures n’exerçant pas d’influences physiques sur
elles – ce qui apparaît très bien à partir du système de l’harmonie
préétablie[lxix], dans
lequel il est clair que, dans le cours ordinaire de la nature, n’importe
quelle substance proprement dite, c’est-à-dire simple, est la cause unique de
ses propres actions ; système dans lequel la même substance est exempte
de toute influence physique venant d’une autre substance, exception faite du
concours ordinaire de Dieu. Or, Leibniz montre que ceux qui établissent que
la connaissance [p.164] du bien et du mal servant à notre détermination est
contraire à la liberté, se trompent[lxx].
En effet, il convient que l’entendement lui-même soit nécessité, si une
perception claire et distincte est présente, enveloppant en elle-même une
affirmation, et il convient également que la volonté recherche le bien que
l’entendement lui représente avec plus d’évidence[lxxi].
Et c’est la raison pour laquelle la volonté n’est pas soumise à la nécessité.
Du moins, est-elle un effort d’agir né de la perception du bien ou du mal, et
qui, avant d’être accompli, a besoin de temps. De là, la volonté peut être
suspendue à cause de divers incidents, ou bien être changée par une nouvelle
perception ou par une nouvelle pensée, au point que l’âme peut résister en
quelque façon à la vérité ou à l’erreur, et que le lien jusqu’ici nécessaire
entre l’entendement et la volonté n’a pas été compris. Il s’ensuit
également que là où rien de tel n’intervient, comme en Dieu, il reste
cependant toujours vrai que la volonté n’est pas nécessitée, mais seulement
inclinée par l’entendement. Entre temps, en nous, il arrive que nous
possédions une certaine puissance indirecte de changer nos volontés. Or, les
volontés divines, ayant posées une fois pour toutes, ne peuvent être
changées, même si elles sont libres par elles-mêmes et nées du meilleur
choix, choix certain assurément, mais non pas nécessitant. Il démontre aussi
que les Cartésiens et, avec eux, Bayle, se trompent, en attribuant une
trop grande indifférence à Dieu, quand ils établissent qu’il a constitué
l’idée que nous sentons par simple arbitraire, comme si elle convenait à ces
mouvements qui produisent un corps chaud, en sorte qu’il aurait pu nous
donner, à partir de ces mouvements, l’idée que nous avons maintenant du
froid, et vice versa, s’il l’avait voulu[lxxii].
Or, il n’arrive rien dans la nature tout à fait arbitrairement ; ou bien
qui ne dépende soit des vérités nécessaires, soit des raisons de la
convenance : c’est de là que naissent aussi bien les lois des mouvements
que celles des perceptions, et, concernant les opérations divines, on
doit en chercher les raisons dans le choix de la Raison Souveraine[lxxiii].
De même, ils supposent ordinairement que les lois du mouvement sont
arbitraires, mais, au jugement de Leibniz,
cela vient de ce que ces lois n’ont pas été suffisamment examinées. Car,
quoiqu’on concède que ces lois ne puissent pas être démontrées de façon
purement géométrique, ou bien par des principes de la pure nécessité,
cependant il enseigne qu’elles naissent du principe de la perfection et de
l’ordre, joint aux raisons géométriques, en sorte qu’elles prouvent au mieux
l’existence de la cause intelligente et libre. Dans les Acta[lxxiv],
il a déjà observé qu’on peut rendre raison de ces lois, si l’on suppose que
l’effet est égal [p.165] aux forces de la cause, ou bien ce qui est la même
chose, que la même force est toujours conservée. Mais cet axiome ne peut pas
être démontré géométriquement. De la même façon, le principe selon lequel
l’action est toujours égale à la réaction, qui suppose une résistance de la
matière au changement extérieur, n’est requis ni à partir de l’étendue, ni à
partir de l’impénétrabilité[lxxv].
D’autres principes du même genre apparaissent ici, exigés non par une
certaine nécessité absolue et
géométrique, mais par la convenance,
qui tient d’une certaine façon le milieu entre le nécessaire et l’arbitraire.
Ainsi on éclaircit au mieux la différence entre la nécessité omnimodale et,
comme on dit, « brute »,
qui dépend des causes efficientes posées par une conséquence quasi
mathématique, et la nécessité morale
ou, de sa fille, la nécessité physique,
née du libre choix d’un sage et de la saisie intuitive des causes finales.
Cette distinction élégante bouleverse les fondements des Naturalistes[lxxvi]. Mais,
de la même façon que les lois des
mouvements ne sont pas purement arbitraires, celles des perceptions ne
le sont pas non plus, spécialement parce que les idées des choses sensibles
ne sont pas constituées par le pur arbitre de Dieu, ainsi que l’expose
l’illustre Auteur. En quelque façon, la représentation doit exprimer la chose
représentée. C’est pourquoi les idées de chaleur, de froid, de couleur
représentent les mouvements qui leur répondent dans les organes, mais en
petit et multipliés ; de telle sorte que la multitude et l’exiguïté
empêchent une représentation distincte. Et cela peut également être connu par
les sens, et l’on peut faire, à partir d’une représentation confuse, une
distincte[lxxvii]. Par
exemple, un œil équipé d’un instrument distingue dans la couleur verte les
particules bleues et jaunes qu’on ne peut pas discerner à l’œil nu. Ainsi on
comprend facilement qu’il y a beaucoup de choses qui ne peuvent être
distinguées, ni à l’œil nu, ni à l’aide d’un instrument. De la même façon
donc que l’idée de couleur verte ne nous est pas donnée arbitrairement par
Dieu, mais qu’elle naît du mélange des perceptions du bleu et du jaune,
semblablement on peut facilement juger que l’idée sensible, pour ainsi dire,
de jaune ou de bleu sera résolue dans la représentation des causes qui
entrent dans ces qualités, si nous pouvons porter l’analyse jusqu’à ce point
par quelque artifice ou par notre esprit[lxxviii].
De plus, il montre et illustre en diverses façons que la prescience divine ne
porte pas préjudice à la liberté des hommes et à la contingence des
choses ; mais il suggère en premier cela, à savoir que toute la série
des choses, jugée préférable à toutes les autres par Dieu, a été choisie par
un acte de son esprit et par décret, [p.166] et qu’elle a été destinée à
l’existence, avec toutes ses parties et toutes les circonstances qui y
étaient contenues ; c’est pourquoi, alors que les choses sont
représentées dans cette série idéale, ces choses, avant même leur existence,
sont futures, c’est-à-dire contingentes et libres[lxxix].
Or, rien n’arrive par la prescience et par le décret de Dieu, si ce n’est la
futurition actuelle[lxxx].
Il apparaît qu’en aucune façon la prescience et le décret de Dieu ne lèsent
la contingence et la liberté, et que la connexion des causes avec les effets
rend toutes choses certaines et déterminées, mais que cette certitude ne fait
pas plus obstacle à la liberté que la prescience. En effet, les liens des
causes contingentes sont toujours inclinants, et jamais nécessitants, et ce
lien consiste dans une certaine harmonie parfaite de tout l’univers et de ses
parties, harmonie[lxxxi]
si grande que Dieu voit dans l’état présent d’une chose son état passé et
futur, et bien plus, dans chaque partie, l’univers intégral[lxxxii].
Enfin Leibniz montre que le concours divin tire de sa nature de ne pas faire
obstacle à la liberté et à la contingence des choses. C’est à partir de son
propre esprit que Dieu donne continuellement à la fois ce que l’on saisit de réalité en nous et
en nos actions, pour autant que cela contienne quelque perfection, mais aussi
ce qui arrive comme limitation ou imperfection devant suivre des limitations
antérieures contenues originellement dans la créature[lxxxiii].
Il montre à cette occasion que
l’argument en faveur de l’existence de Dieu de Weigel[lxxxiv],
professeur de mathématiques à Iéna, argument tiré de l’idée de création
continuée, présenté dans la Philosophie
Mathématique p. 33 et sq. par une espèce de démonstration mathématique
assez faussement euclidienne, s’éloigne de très loin d’une véritable
démonstration. En effet, dit Weigel,
alors que le monde entier, à chaque instant, retourne au néant et que
cependant aucune chose au monde ne peut produire cela, il est donc nécessaire
que soit donné hors du monde et avant le monde, un Etre infini, qui soit un
créateur inlassable. Donc Dieu existe. Mais Leibniz observe avec beaucoup de perspicacité qu’on doit prouver
que la créature est continuellement produite à partir du néant et qu’elle y
retourne aussitôt et qu’elle ne doit pas durer plus d’un instant par
elle-même, à moins qu’elle ne soit un Etre nécessaire. Mais le même argument
implique aussi les difficultés de la composition du continu, dont provient le
labyrinthe des Philosophes. Or, de la même façon que [p.167] toute action de
la créature est un certain changement de ses propres modifications, de même
il est évident que l’action provient de la créature, considérant les
limitations et les négations qu’elle contient et qui sont changées au cours
de cette transformation.[lxxxv]
Toute substance produit ses propres actions et passions internes, et il n’est
pas besoin de savoir comment nous les produisons ; en effet, elles
découlent non pas de la volonté, mais de notre nature qui contient jusqu’à
l’infini des perceptions confuses et qui ne peut pas être parfaitement connue
de nous[lxxxvi]. La Troisième ou ultime Partie se termine par une élégante
fiction, présentant le sujet de façon populaire, laquelle a été commencée par
Laurenzo Valla, mais laissée inachevée, comme si le nœud gordien avait été
tranché par un glaive. L’auteur l’amène à sa fin, pour qu’apparaisse la
solution de ce nœud. Apollon
représente la prescience, ou science de vision ; Jupiter, la Providence ; Pallas,
la science de simple intelligence. Dans la première et dans la deuxième
partie , sont également insérées deux élégantes digressions qui méritent
d’être lues : l’une à propos de la conjecture historique de Leibniz[lxxxvii],
selon laquelle Oromasdès et Ariman, à qui Zoroastre attribue les deux principes, l’un du bien, l’autre du
mal, seraient [respectivement], semble-t-il, les noms de deux grands princes,
Ormisdas, le très ancien roi de
l’Asie supérieure, et Irmin ou Hermann, chef des Celtoscythes, qui,
venant de Germanie et de Sarmatie, ont fait irruption en Asie ; l’autre
digression concerne une « Théologie Astronomique » fictive, dont
j’ignore l’auteur[lxxxviii]. Suivent des appendices. En premier,
ceux qui sont discutés plus amplement contre Bayle et contre d’autres dans les deuxième et troisième parties,
et sont présentés dans un très bref Abrégé,
par des arguments rédigés en forme à la demande de quelques uns et augmentés
des réponses qui suivent les lois observées dans les disputes. On trouve
ensuite des Reflexions sur l'ouvrage
que M. Hobbes a publié en Anglois, de la Liberté, de la Necessité et du
Hazard, et enfin d’autres sur l’œuvre de King intitulée De origine mali. L’œuvre de Thomas Hobbes dont il s’agit ici n’est
accessible jusqu’à présent qu’en langue anglaise. Le différend lui-même fut
agité au sujet du même argument avec John
Bramhall, évêque de Derry, et dans quelques échanges mutuels qui ont été
édités dans un seul volume in quarto. Le très ingénieux Auteur des Essais que nous recensons a reconnu
que Hobbes avait exposé toutes ces
choses élégamment et ingénieusement, et n’avait pas mal débrouillé les
notions confuses de certains [p.168] philosophes et théologiens, mais qu’il
avait dépassé la mesure en assignant les événements à la nécessité absolue,
et que ce n’était pas avec justesse qu’il avait confondu ce qui n’a pas été,
ce qui n’est pas, et ce qui ne sera pas avec ce qui est impossible. Il loue
l’éloquence et l’esprit de King,
célèbre prélat de l’Eglise anglicane, et il approuve à peu près la moitié du
système, mais il attaque l’autre, à savoir lorsque cet homme docte se
persuade que la volonté tant divine qu’humaine a la faculté, pour des choses
indifférentes par soi tant réellement qu’en apparence, de donner un degré et
une qualité de bien et de mal sans aucune raison, le choix ou le rejet ayant
été faits entièrement sans aucun fondement, et que c’est en une si admirable
faculté que consistent tout pouvoir d’accommoder les choses pour soi et tout
usage ou abus de la liberté – ce que notre auteur démontre être tout à fait
incompatible avec la pratique de la vie et les principes de la vraie raison. Enfin est joint à l’œuvre un traité en
latin [Causa Dei], de plus petite
taille, dans lequel sont rassemblés les principes et les dogmes de l’auteur,
mis en abrégé méthodique, à l’usage d’érudits qui désireront peut-être avoir
sous le regard les principes qui étaient précedemment exposés amplement et en
langage commun pour être mis à la portée de la plupart des lecteurs, et qui
sont maintenant saisis ensemble en thèses saillantes selon la pratique des
Ecoles : la langue latine, en effet, semble plus adaptée à ce projet. De
plus, la méthode de cet abrégé est figurée par une table ajoutée à la fin
comme en résumé de l’abrégé. C’est dans cette table, étant donné qu’une
certaine erreur a été commise dans les caractères typographiques, qu’il sera
précieux pour l’œuvre de l’y corriger : à savoir dans une partie du
second tableau, ou, si vous préférez, dans le second tableau dont une partie
de celui-ci doit être changée ainsi : |
/
[1] G. W. Leibniz, Textes
inédits d’après les manuscrits de la Bibliothèque provinciale de Hanovre
publiés et annotés par Gaston Grua, PUF Epiméthée, 1948, tome 2, p. 494,
note 449 : « Hâtivement rédigé depuis janvier 1707, le brouillon de la Théodicée est confié à Wolf, pour être
copié en partie, de juin à septembre 1707 » (Grua mentionne le passage
d’une lettre de Wolff à Leibniz, datée du 8 novembre 1710 : « Avebam
igitur scire, num quodnam sit illud altius principium et quomodo ab eodem
Mechanismi leges deriventur, alicubi jam ostensum sit ab E. V. [Leibniz], num
forte in quodam opere, quod Msc. [Manuscriptum] vidi et nunc in Belgia
prodiisse intelligo » in Briefwechsel…
Gerhardt op. cit., p. 128 ;
mais ce passage ne dit pas explicitement que Wolff a « copié » le
brouillon des Essais). Giuseppe
Tognon affirme également que Wolff fut le « copiste » du manuscrit
durant l’été 1707, mais sans autre précision (« … nell’estate del 1707, il
filosofo di Breslau fu il copista del manoscritto leibniziano », Cf. « Christian Wolff e gli "Essais de Theodicée" di
Leibniz », In Lexicon philosophicum
: quaderni di terminologia filosofica e storia delle idee, 1989, n°4, p.
117). Jean-François Goubet ajoute enfin cette précision importante :
« Wolff copia en personne une partie du manuscrit, ainsi que l’atteste
entre autres une remarque marginale de Leibniz » (« La première réception
wolffienne de la Théodicée leibnizienne », In L’idée de théodicée de Leibniz à Kant, Paul Rateau (dir.),
Sonderheft 36 des Studia Leibnitiana,
Franz Steiner Verlag, p. 103). Nous n’avons malheureusement pas trouvé la
référence exacte de cette « remarque marginale ».
[2] On peut citer à ce propos une lettre de Leibniz à Remond, datée de juillet 1714 :
« Monsieur Wolfius est entré dans quelques uns de mes sentimens; mais
comme il est fort occupé à enseigner, surtout les Mathematiques, et que nous
n’avons pas eu beaucoup de communication ensemble sur la philosophie, il ne
sauroit connoitre presque de mes sentimens que ce que j’en ay publié. J’ay vû
quelque chose que des jeunes gens avoient écrit sous luy; j’y trouvay bien du
bon, il y avoit pourtant des endroits dont je ne convenois pas. Ainsi s’il a
écrit quelque chose sur l’Ame, en
Allemand ou autrement, je tacheray de le voir pour en parler. » (GP III p.
619). On peut lire ce passage de deux façons : soit on insiste sur le fait
que Wolff partage les sentiments de Leibniz, qu’il y a « bien du
bon » dans ses pensées, et qu’il est un disciple fiable ; soit on
insiste, au contraire, sur le fait que la connaissance que Wolff a de la
philosophie de Leibniz est lacunaire ou superficielle (« presque »
que par ses publications). Mais, dans les deux cas, Leibniz joue quand même le
rôle de Maître ou de Mentor, et il « répond » de son disciple.
Wolff est un intermédiaire sûr.
[3] Nous nous appuyons pour dire cela sur
la liste des auteurs des recensions des Acta
Eruditorum publiée dans la thèse de A.H. Laeven: « De Acta Eruditorum onder redactie van Otto
Mencke. De geschiedenis van een internationaal gelerdenperiodiek tussen 1682 en
1707 », APA-Holland Universiteits Pers, Amsterdam & Maarsen, 1986.
Nous voyons ainsi que Budde et Löscher s’occupent presqu’exclusivement des recensions
des écrits théologiques. En revanche, si l’on observe la liste des recensions
de Wolff dans les Acta, telles
qu’elles ont été publiées dans ses Œuvres
complètes (en particulier le volume 38.2 des Gesammelte Werke, intitulé Sämtliche
Rezensionen in den Acta Eruditorum (1705-1731), Teil 2. 1711-1718, Georg
Olms, 2001, pp. 518-529 ; 538-547), on constate que les Essais de Théodicée forment comme une
exception à cette époque, même si Wolff semble avoir été chargé par la suite de
la recension de toutes les œuvres de Leibniz.
[4] De mundo optimo,
Studien zu Leibniz’ Theodizee und ihrer rezeption in Deutschland (1710-1791),
Studia Leibnitiana, Sonderheft 31, Franz Steiner Verlag, 1991, pp.103-105.
[5] « Afin que la sagesse obtienne la place suprême
dans le décret d’élection, place qui doit être attribuée [normalement] à la
Justice d’une Grâce tempérée » : « ut sapientia in electionis
decreto supremum obtineat locum, qui gratiae justitia temperatae tribuendus
est » (Lorenz, op. cit. p. 105 et note 29).
[6] Q. D. B. V. Doctrinae
orthodoxae de origine mali contra recentiorum quorundam hypotheses modesta
assertio […] praeside Jo. Francisco Buddeo […] die Mart. Anno 1712
eruditorum examini submittet auctor et respondens Georgius Christianus
Knoerrius. Ienae.
[7] C’est dans ce contexte de polémique
contre l’idée de théodicée que peut s’expliquer l’apparent reniement de Wolff
par rapport à son maître ; Wolff écrit au Comte de Manteuffel le 13
décembre 1743 : « Le Professeur Bose, qui veut partout se mêler des belles
lettres, ne m’a pas plu, et il n’est pas plus aujourd’hui de mon goût qu’en
Hollande. C’est pourquoi je n’ai pas la patience de lire ce qu’il a
produit : je ne fais que le parcourir, comme je n’ai pas pu, pour cette
raison aussi, lire intégralement la Théodicée
de Monsieur de Leibniz, mais l’ai bien plutôt feuilletée seulement d’un œil
rapide (nur oculo fugitivo), bien que
j’en aie fait la recension dans les Acta
[Eruditorum] ; cependant,
j’en retirais ce qui appartenait au sujet : en quoi, moi-même, j’ai
suffisamment fait pour Monsieur de Leibniz » (voir la correspondance Leibniz-Wolff , ed. Gerhardt,
op. cit., note 8, page 13 :
« Wolf schreibt an den Grafen von Manteuffel den 13. December 1743: Dass
er (Prof. Bose) die belles lettres überall einmengen will, hat mir nicht
gefallen und ist heut zu Tage nirgends mehr der Geschmack davon, als in
Holland. Daher nehme ich mir nicht die Gedult, was dahin gehöret zu lesen,
sondern übergehe es: wie ich auch aus dieser Ursache des H. von Leibnitz
Theodicée nicht gantz durchlesen können, sondern vielmehr nur oculo fugitivo durchblättert habe, ob
ich gleich davon die recensionem in die Acta
gemacht, indem ich mir das herausgenommen, was zur Sache gehört: worinnen ich
ihm auch selbst ein Gnügen gethan (Christian
Wolff’s eigene Lebensbeschreibung, herausgegeben von H. Wuttke. Leipzig 1841, p.83) »). Comme l’a bien
montré G. Tognon (op. cit.), on doit
lire l’expression oculo fugitivo
comme une méthode d’appropriation de ce qui est essentiel.
[8] Nous renvoyons à la note 19 de l’article de
Jean-François Goubet (op. cit . : « Sans doute la visée anthropocentrique
est-elle déjà en germe dès 1711 » (p. 111). Faustino Fabbianelli, dans son
article : « Leibniz, Budde et Wolff. Trois modèles de
Théodicée » (La Revue philosophique
de France et de l’étranger, 2003, N°3, pp. 293-306), a montré que Wolff
aussi bien que Budde avaient déplacé la perspective théocentrée de Leibniz vers
une anthropologie (p. 294, 298, 301, 304 etc.). Ce ne serait plus à partir de
l’entendement divin que serait pensée la justice divine, mais à partir de
l’expérience qu’en fait l’homme. Pourtant, dans la recension de Wolff, il
semble que le propos reste surtout théocentré, ou du moins suppose une analyse
fondée sur les attributs divins (puissance, sagesse et bonté), comme d’ailleurs
dans ses écrits ultérieurs sur la « théologie naturelle ».
[9] Leibniz à Des
Bosses : « Titulum tentaminum Theodicaeae, nisi aliter judicas,
servari posse putem; est enim Theodicaea quasi scientiae quoddam genus,
doctrina scilicet de justitia (id est sapientia simul et bonitate) Dei. »
(GP II p. 47, lettre du 5 février 1712 : « Je pense qu’on peut
conserver le titre des Essais de
théodicée, si tu n’en juges pas autrement ; la théodicée est, en
effet, une quasi-sorte de science, à savoir la doctrine de la justice –
c’est-à-dire la sagesse en même temps que la bonté – de Dieu »). Pour
l’étude précise de cette notion de
« quasi-sorte de science », nous renvoyons à la troisième partie de
l’ouvrage de Paul Rateau : La
question du mal chez Leibniz : Fondements et élaboration de la théodicée, Honoré Champion, 2008 (p. 493
sq.).
[10] Pelletier A. (2006), « ‘C’est donc dans
l’Entéléchie que la spontanéité se trouve’ :l’émergence de la spontanéité chez
Leibniz », Einheit in der Vielheit, Hannover, Hartmann, p. 788-795.
[11] Le livre de la vie
de sainte Thérèse d’Avila, chapitre XIII, § 9. traduction d’Arnauld D’Andilly,
édition de 1671 p. 68 : « Rien ne luy peut estre plus utile que de se
considérer seul dans le monde avec Dieu seul ».
[12] Leibniz n’emploie pas le mot « migrer » en
français, mais « passer » dans une autre vie.
[13] Leibniz écrit : « destin ».
[i] Préface des Essais
de Théodicée, édition Gerhardt (abrégée GP), tome VI, p. 25.
[ii] Préface des Essais de Théodicée, GP VI pp. 25-26.
[iii] Préface des Essais
de Théodicée, GP pp. 26-27.
[iv] Ibid.
[v] Ibid.
[vi] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 27.
[vii] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 28.
[viii] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 29.
[ix] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 37.
[x] Ibid.
[xi] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 37-38.
[xii] Préface des Essais
de Théodicée, GP VI p. 38.
[xiii] Essais de
Théodicée, Discours préliminaire de la conformité de la foy avec la raison
(abrégé DP), GP VI p.49 §1.
[xiv]Essais de Théodicée, DP, GP VI p. 50, §2.
[xv] Essais de
Théodicée, DP, GP VI p. 50-51, §3.
[xvi] Essais de
Théodicée, DP, GP VI p. 52, §5.
[xvii] Essais de
Théodicée, DP, GP VI p. 64, §23 ; Autre occurrence : GP VI p.83-
84, §§ 60-61.
[xviii] Essais de
Théodicée, DP, GP VI p. 66-67, § 27.
[xix] Essais de
Théodicée, DP, GP VI
p. 84-85, §62.
[xx] Essais de
Théodicée, DP, GP VI p. 87, §§64-65.
[xxi] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 102, §1.
[xxii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 106-107, § 7.
[xxiii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 107, § 8.
[xxiv] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 108-109 (et p.110), §10 /§
12-13./§15.
[xxv] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 113-114 , §19.
[xxvi] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 114-115, §20.
[xxvii] Essais de Théodicée,
Première partie, GP VI p. 115-116, §21-23.
[xxviii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 117, §§24-25.
[xxix] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p.122, §33.
[xxx] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI pp. 119-121, §31
[xxxi] Ibid. § 34.
[xxxii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 123, §35.
[xxxiii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 123-124, §§36-37.
[xxxiv] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p.127, §44.
[xxxv]Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p.127,
§45.
[xxxvi] Essais de Théodicée,
Première partie, GP VI p.128, §46.
[xxxvii] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI
p.131, §52.
[xxxviii] Ibid. §53.
[xxxix] Essais de Théodicée, Première partie, GP
VI p. 132, §54.
[xl] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 132-133, §55.
[xli] Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p. 137, §62.
[xlii] De Ipsa Natura
sive de vi insita actionibusque creaturarum, pro Dynamicis suis confirmandis et
illustrandis,1698, §10 p. 433
[xliii]Essais de
Théodicée, Première partie, GP VI p.
139, §67.
[xliv] Essais
de Théodicée, Deuxième partie, GP VI partie II p.162-163, §108.
[xlv] Essais
de Théodicée, Deuxième partie, GP VI p. 164-165, §112.
[xlvi] Essais
de Théodicée, Deuxième partie, GP VI pp. 189-190, §136.
[xlvii] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI pp. 200-201, §§152-153.
[xlviii] Essais de Théodicée,
Deuxième partie, GP VI pp. 216-217, §§172-173.
[xlix] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI pp. 219-220, §176.
[l] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI p. 222-223, §181.
[li] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI p. 223-224, § 182.
[lii] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI p. 231, §193.
[liii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 261, §241.
[liv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 262-263, §§244-245.
[lv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 264, §247.
[lvi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 264-265, §248.
[lvii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 265, §249.
[lviii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 266-267, §251.
[lix] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 267, §252.
[lx] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 267-268, §254.
[lxi]Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI
p.269, §257.
[lxii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 270-271, §259.
[lxiii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p.273, §262.
[lxiv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 274-275, §265.
[lxv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 275, §266.
[lxvi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p.288, §288.
[lxvii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp.288-289, §289.
[lxviii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, Ibid., §290.
[lxix] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 289-290, §291.
[lxx] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 290, §292.
[lxxi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 300-301, §§310-311.
[lxxii] Essais de Théodicée,
Troisième partie, GP VI pp. 297-298, §305.
[lxxiii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 316-317, §340.
[lxxiv] Référence probable au De ipsa Natura.
[lxxv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 319-320, §346.
[lxxvi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 319-322, §§349-350.
[lxxvii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 326-327, §356.
[lxxviii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI p. 327, §357.
[lxxix] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp.328-329, §360.
[lxxx] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 311-312, §331.
[lxxxi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 328-329, §360.
[lxxxii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 331-332, §365.
[lxxxiii] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp.339-340, §377.
[lxxxiv] Essais de Théodicée,
Troisième partie, GP VI p.343, §384.
[lxxxv] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 345-346, §388.
[lxxxvi] Essais de
Théodicée, Troisième partie, GP VI pp. 353-354, §400.
[lxxxvii] Essais de
Théodicée, Deuxième partie, GP VI p.191, §138.
[lxxxviii] Essais de Théodicée,
Première partie, GP VI pp. 112-113, §18. Peut-être Leibniz pense-t-il aux
ouvrages de Cabalistes comme Van Helmont ?
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© THÈMES, Revue de la Bibliothèque
de philosophie comparée, I/2011, mise ligne le 7 mai 2011